(Québec) Ils ont sorti l'avion, l'ont amené sur la piste de décollage. Ils ont même fait démarrer les moteurs, mais il y a fort à parier que le feu vert ne s'allumera pas. La fenêtre est trop petite, trop proche et surtout, depuis quelques jours, remplie de brouillard.
Les sorties successives des ex-premiers ministres Jacques Parizeau et Lucien Bouchard - et même de Bernard Landry hier - sont susceptibles de refroidir les tenants d'une élection rapide.
Avec le projet de charte des valeurs comme cheval de bataille, le gouvernement Marois serait bien vulnérable aux quolibets, désavoué par ses trois anciens chefs. L'ascendant de Lucien Bouchard sur les péquistes est probablement bien émoussé, mais Jacques Parizeau, le fiduciaire de l'option souverainiste, est un obstacle embêtant pour les défenseurs du projet de Bernard Drainville. Revenir à une position de compromis, plus proche de celle de la commission Bouchard-Taylor, serait une retraite bien humiliante pour le «ministre de l'Identité".
Dans les cercles péquistes, les «lignes de presse» sont répétées ad nauseam depuis deux jours: on se dit soulagé devant le texte plutôt nuancé de M. Parizeau et on souligne que personne n'appuie la liberté absolue pour le port de signes religieux, la position prônée par le PLQ. Mais en privé, tout le monde convient que les belles-mères sont venues brouiller les cartes. La Charte ne sera pas le tremplin espéré par plusieurs.
Trop petite
Les sondages publiés jusqu'ici débouchent sur une lecture bien nuancée de la situation. À ce stade-ci, difficile de dire si le gouvernement serait libéral ou péquiste, mais on peut parier qu'il serait minoritaire.
Tout le monde s'entend pour dire que l'avance du Parti libéral du Québec a fondu comme neige au soleil depuis la rentrée et que le PQ remonte la pente. Mais, en même temps, l'insatisfaction à l'endroit du gouvernement reste importante et, surtout, obstinément stable.
Le gouvernement n'a rien ménagé pour rebrasser les cartes avec plus de 200 annonces d'investissements ou de subventions depuis le début du mois de septembre. Mme Marois est de toutes les conférences de presse où on annonce un nouvel emploi. Elle a tenu à être accolée, lundi, à l'annonce de la politique économique de Nicolas Marceau - elle a fait une allocution, à un jet de pierre de là, tout de suite après la conférence de presse.
Période de questions après période de questions, le chef libéral Jean-Marc Fournier ouvre les hostilités en interrogeant les élus péquistes sur l'économie, les résultats de l'emploi, la croissance ou surtout l'absence de croissance. Les libéraux proclament à tout vent que le gouvernement va déclencher des élections cet automne. Ils visent surtout à mobiliser leurs propres troupes, à amener d'éventuels candidats à se commettre.
Le gouvernement Marois ne craint pas l'abandon du déficit zéro - le mouvement est déjà escompté par le marché, comme on dit à la Bourse; les électeurs s'y attendent.
Trop proche
Dans les cercles péquistes, on piaffe d'impatience, avec la conviction que la fenêtre qui s'ouvre cet automne est une occasion à ne pas rater. Mais, dans les instances, on reste plutôt calme. Les associations de circonscription se sont fait demander d'être prêtes pour des élections dès la mi-octobre - elles doivent repérer des locaux et des candidats potentiels. Le PQ a appelé des entreprises spécialisées dans la production d'affiches plastifiées; on leur a demandé des soumissions en les prévenant qu'on reprendrait contact avec elles, histoire de s'assurer que les élections municipales n'auront pas épuisé les stocks.
Au dernier conseil de direction du PQ, il y a une semaine, cette fébrilité ne transparaissait pas: on a parlé d'élections, mais les feux verts ne sont pas venus pour la plateforme électorale, pour les comités de communications ni même d'investitures. Prochaine réunion en novembre, afin de préparer un conseil national à Montréal.
Bien sûr, ce programme peut être chambardé du jour au lendemain; Mme Marois lève un doigt et les investitures démarrent - 54 circonscriptions ont déjà un député péquiste, voilà qui est réglé. Dans plusieurs autres, les libéraux sont indélogeables, un "poteau" fait l'affaire. Mais la fameuse fenêtre est bien rapprochée. Pour un scrutin le 9 décembre, Mme Marois devrait aller demander au lieutenant-gouverneur de dissoudre la Chambre le 6 novembre. Un déclenchement dans un mois? Les marmitons s'agiteraient bien davantage dans la cuisine.
Et les adversaires?
Les adversaires? On peut penser qu'un scrutin rapide prendrait de court les libéraux de Philippe Couillard. Lucien Bouchard avait fait de même en 1998: il n'avait pas laissé au nouveau chef Jean Charest le temps de s'organiser - il avait déclenché les élections dès l'automne. Mais sa cote personnelle était très forte. Le PQ avait fait campagne sur «la confiance» envers Lucien Bouchard.
Bien des péquistes prévoient cependant que le printemps sera difficile pour le PLQ quand la commission Charbonneau abordera les décisions du ministère québécois des Transports, un argument pour attendre en 2014.
Du côté de la Coalition avenir Québec, le portrait est plus mouvant. François Legault devra composer avec l'absence de Jacques Duchesneau aux prochaines élections; or, la candidature de l'ancien policier avait propulsé la campagne caquiste en août 2012. Hélène Daneault non plus ne sera pas candidate aux prochaines élections, et Christian Dubé ira voir ailleurs si les sondages continuent de condamner la CAQ aux arrière-banquettes.
Le gouvernement Marois récupère sans vergogne les éléments les plus populaires de la plateforme caquiste: il évoque l'abolition des commissions scolaires, lance l'idée de faire payer les entrepreneurs qui ont donné dans la collusion, des solutions qu'il repoussait de la main quand la CAQ les mettait de l'avant.
C'est peut-être l'argument le plus lourd pour attendre avant de lancer l'appel aux urnes: dans le 450, la CAQ a fait bien mal au PQ lors des dernières élections. Quelques mois encore et cet adversaire ne sera plus une menace.
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