En février 2008, alors qu'il était chef de l'opposition, Mario Dumont avait fait escale à Paris avant de s'envoler pour Barcelone. C'était l'époque où il s'était mis dans la tête de prêcher le modèle catalan au Québec. Cette étrange idée lui avait probablement été soufflée par le brillant universitaire Guy Laforest, qui s'était lui aussi entiché de la Catalogne. Ceux qui connaissent cette région autonome du nord-est de l'Espagne savent pourtant que, depuis trois décennies, c'est plutôt la Catalogne qui s'est inspirée du Québec dans ses lois linguistiques ou pour le doublage des films.
Sans qu'on ait jamais vraiment compris pourquoi, Mario Dumont rêvait de renverser l'équation. Sur un ton espiègle, je l'avoue, j'avais donc posé la question suivante: «Si la Catalogne représente un exemple pour le Québec, quand proposerez-vous l'application de la loi 101 au cégep? Chacun sait qu'en Catalogne, l'enseignement est en catalan de la maternelle à l'université.»
Mesurant soudainement le terrain glissant sur lequel il s'était engagé, le chef de l'opposition avait eu un moment d'hésitation. Puis, il avait détourné le regard avant de trouver une esquive. Et pourtant, s'il est un domaine où la Catalogne pourrait nous inspirer, c'est bien celui-là. Même si les Catalans dits de souche ne représentent plus que 50 % de la population, le système scolaire, lui, est en catalan jusqu'à l'université. Dans un tel contexte, vous comprendrez que les largesses de nos collèges, qui permettent à 41 % des collégiens issus de l'immigration de s'angliciser aux frais de l'État, passeraient pour de la folie pure.
Lorsqu'on l'examine à partir de l'étranger, l'idée d'appliquer la loi 101 aux collèges est loin d'être l'hérésie que certains dénoncent chez nous. On pourrait même dire que cette façon de faire est devenue la norme dans les fédérations modernes où coexistent plusieurs nations.
Prenez la Belgique. Dans les années 80, le pays n'a retrouvé une certaine paix qu'en appliquant un strict régime de séparation linguistique. Je ne dis pas que la situation est aujourd'hui idéale, mais au moins on ne s'affronte plus dans les rues. À l'exception de certaines communes dites «à facilités», l'école est en néerlandais en Flandre et en français en Wallonie. Et ce régime s'étend jusqu'à l'université. En 1968, l'éclatement de l'Université de Louvain, entre sa partie francophone (maintenant à Louvain-la-Neuve) et sa partie flamande, avait fait grand bruit. Elle est aujourd'hui considérée comme normale et l'idée ne viendrait à personne de revenir au libre choix.
Seul Bruxelles, considéré comme un district bilingue, jouit de la liberté de choix. Or cette «liberté» a toujours joué contre les Flamands qui, en moins d'un siècle, y sont devenus une minorité. Malgré un certain regain des écoles flamandes ces dernières années, la plupart des immigrants qui vivent à Bruxelles choisissent la langue dominante, le français, contribuant ainsi à la minorisation des Flamands dans leur propre capitale. L'exemple n'est-il pas éloquent pour Montréal?
On pourrait aussi parler de la Suisse, où chaque canton administre ses écoles dans sa langue. Vue sous cet angle, la minorité anglophone du Québec est certainement la plus choyée du monde. Elle jouit de beaucoup plus d'«accommodements raisonnables» -- que l'on me pardonne l'expression -- que les Castillans en Catalogne, les Wallons en Flandres et les Suisses alémaniques en Suisse romande. Cette tolérance honore les Québécois, mais de là à pousser la naïveté jusqu'à financer l'anglicisation des immigrants qui fréquentent le cégep, il y a une marge que ni les Suisses, ni les Flamands, ni les Catalans ne seraient prêts à franchir.
Vu d'Europe, un dernier élément rend la situation des cégeps québécois parfaitement incongrue. Partout, l'enseignement collégial fait dorénavant partie de l'enseignement de base. En France, c'est 80 % d'une classe d'âge qui devrait bientôt obtenir le diplôme collégial. Il y a longtemps que le collège n'est plus considéré comme un niveau complémentaire, bien qu'il ne fasse pas entièrement partie de la scolarité obligatoire. C'est pourquoi, contrairement à l'université, le collège conserve dans de nombreux pays (dont le Québec) un fort tronc commun dispensant un enseignement jugé essentiel pour tous. Il ne viendrait pas à l'idée d'un Catalan ou d'un Flamand qu'un immigrant puisse s'intégrer correctement et occuper des postes de responsabilité sans avoir suivi, par exemple, les cours de littérature, d'histoire et de philosophie que dispensent les collèges catalans et flamands. Bref, sans communier à la culture de la majorité qui s'acquiert en bonne partie au collège. De plus, on ne fera croire à personne qu'un collégien qui étudie en anglais parle aussi bien notre langue que celui qui étudie en français. Le français parlé par nos élites est-il à ce point satisfaisant que nous puissions dispenser 41 % des immigrants et 4 % des francophones des cours et de la pratique du français offerts dans les cégeps francophones?
Dans le débat qui s'amorce, nombreux sont ceux qui brandiront la liberté de choix linguistique au collège comme un principe universel et intouchable. Sachons que, dans ce domaine, c'est plutôt le Québec qui fait figure d'exception.
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