Le sondage publié cette semaine dans le Journal de Montréal donne froid dans le dos : 65 % des francophones sont d’accord avec la Charte des valeurs québécoises proposée par le PQ alors que 72 % des anglophones sont contre, et les allophones, quelque part entre les deux. Une scission comme on n’en avait pas vu depuis longtemps et qui promet un automne archi-acrimonieux. D’autant plus que le tiers francophone qui n’est pas d’accord avec cette proposition n’est vraiment pas d’accord. Je me compte d’ailleurs parmi eux, peu importe combien de fois on invoquera, comme un genre de hochet pacificateur, « l’égalité hommes-femmes ».
Le fait est qu’il n’existe aucun consensus sur la laïcité, ni à gauche ni à droite, ni chez les hommes, les femmes, les jeunes ou les vieux. On est tiraillés sensiblement dans les mêmes proportions (40-60), et avec le même degré d’émotion, que devant la souveraineté, mais à cette différence près : alors que la classe politique s’efforce de taire ce débat-là depuis 20 ans, on monte celui-ci en épingle. La raison est simple : le débat sur la laïcité est vachement plus payant. Vous avez vu les sondages ? Même la CAQ comprend le millage à faire ici.
À défaut de dévoiler les détails de sa Charte, la stratégie du PQ, au moins, est claire. Les allusions à la loi 101 en font foi : on veut nous vendre la laïcité comme une autre manche dans la lutte pour la survie québécoise. De la même façon que nous n’avons pas eu froid aux yeux en 1977, endurant insultes et menaces sur l’inconstitutionnalité de la loi, il faut braver aujourd’hui la tempête au nom de l’identité et de la durée québécoise.
C’est d’ailleurs pourquoi l’égalité des sexes est constamment invoquée : il faut une (vraie) bonne raison pour monter au front, une cause qui fouette les troupes, et la laïcité, que d’ailleurs presque personne ne comprend, n’en est pas une. Un peuple qui refuse à 55 % - et à quasi 100 % chez nos élus - d’enlever le crucifix à l’Assemblée nationale, le symbole par excellence de l’État, a, pour ainsi dire, la laïcité assez molle. Visiblement, on n’est pas prêt à se transformer en chair à canon pour la séparation de l’Église et de l’État.
La substantifique moelle, dans ce nouveau combat devant les forces ennemies, est donc l’égalité hommes-femmes. Le problème, c’est que, contrairement à la langue, l’égalité des sexes n’est ni particulièrement québécoise ni directement liée à la survie de la nation. De plus, l’utilisation incessante de ce principe permet de cibler injustement les juifs et les musulmans qui ont la religion plus ostentatoire, certains diraient plus discriminatoire, que la majorité chrétienne. Ajoutez à cela les passe-droits que la majorité francophone semble vouloir accorder aux pratiquants ou aux symboles catholiques et l’injustice devient clairement intolérable, voire xénophobe.
Bien sûr, on ne veut pas d’hommes qui refusent de traiter avec des femmes parce que ce sont des femmes. On ne veut pas que le « Y » givre ses fenêtres pour cacher les filles en collants. On ne veut pas de prêcheurs misogynes qui voient les femmes comme des salopes. Mais on ne veut pas d’hommes qui battent leur conjointe non plus. Et pourtant, il y en a plusieurs au Québec. Des conseils d’administration qui excluent les femmes, aussi. Et j’en passe. Ce qu’il y a d’inacceptable, dans ce débat, c’est que les problèmes sont toujours ceux des autres, et les « règles », davantage pour les autres que pour nous.
Et puis, voulons-nous vraiment être les premiers à hiérarchiser des droits fondamentaux ? À mettre l’égalité hommes-femmes devant la liberté de religion ? Il y a de bonnes raisons pour lesquelles c’est généralement proscrit : accorder plus de valeur à l’une qu’à l’autre revient à dire qu’un droit est moins défendable, voire légitime. Or, la liberté de religion n’est rien d’autre que la liberté de penser ce qu’on veut. On devrait tous être prêts à se coucher devant des bulldozers pour garantir ce droit-là. Les femmes se sont d’ailleurs battues précisément pour la liberté de se penser et d’agir autrement.
Dans ce grand débat qui n’est pas prêt de nous lâcher, il faut arrêter ces automatismes qui consistent à faire de l’égalité des sexes une panacée et de la religion (des autres) une calamité. Arrêtons aussi de prêter attention à ceux qui nous prédisent le même sort que l’Algérie. Le danger n’est pas là. Le danger est l’érosion de principes démocratiques et la ghettoïsation d’un bon nombre de nos concitoyens, notamment de sexe féminin.
« L’État est neutre, les individus sont libres », rappelait récemment Charles Taylor. Voilà la règle de base à ne pas perdre de vue dans ce périlleux débat.
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