L’ancien chef du Parti québécois Jean-François Lisée entend raconter l’histoire de sa société dans une série de petits livres, selon une perspective nationaliste dont il ne fait pas secret. Les deux premiers titres viennent de paraître.
Le premier est consacré aux sentiments indépendantistes qu’il prête à John F. Kennedy ; l’autre, à l’influence qu’eut Charles de Gaulle sur le mûrissement de ces mêmes sentiments.
« Je commence par deux géants du XXe siècle », explique l’ancien reporter en entrevue au Devoir, tout en expliquant qu’il veut parler, par la suite, d’autres grandes figures et de quelques événements politiques, des années 1960 à nos jours. « Je mets évidemment le Québec au centre du monde. »
La perspective historique adoptée par Jean-François Lisée est celle où les grands personnages sont les principaux moteurs de l’histoire. « C’est un choix. Je ne prétends pas qu’il ne faut pas parler de l’histoire selon une perspective sociale, féministe ou autre. Mais ce n’est pas mon fort. C’est tout. Ce dans quoi j’ai été plongé, c’est plutôt l’histoire des crises et des personnes dans les crises. »
De quoi d'autre parlera-t-il ? « Je ne veux pas tout vous dire… » Mais il sera question, pour bientôt, des débats entre René Lévesque et Pierre Elliott Trudeau. « À l’automne, il y aura aussi un autre petit livre consacré à la crise d’Octobre », dont on souligne cette année le demi-siècle. L’ensemble promet en tout cas, à en juger par les pièces au dossier, d’être envisagé à la lorgnette d’une idée principe : celle de l’indépendance du Québec.
La séparation sans régression
« Dans l’imaginaire collectif américain, écrit Lisée, l’idée de séparation, de sécession, est associée à̀ celles de régression, de tragédie, de myopie politique. » René Lévesque, par exemple, va l’apprendre à ses dépens en 1977, alors qu’il tente sans succès, devant l’Economic Club à New York, de comparer le projet québécois à celui de l’indépendance américaine de 1776.
Dans La tentation québécoise de John F. Kennedy, Lisée reprend des travaux qui ont servi à la rédaction de son livre intitulé Dans l’œil de l’aigle (1990), tout en observant l’idée que « souverainistes comme fédéralistes ont ce penchant, ce besoin presque, de projeter sur le voisin américain leurs espoirs et leurs peurs ». Sous le prétexte de traiter de la pensée de Kennedy, Lisée s’intéresse en fait beaucoup à diverses figures de la politique québécoise, à commencer par René Lévesque.
Si le jeune Lévesque, comme bien d’autres de ses compatriotes, trouve quelques-unes de ses étoiles politiques dans le ciel américain, la réciproque n’est certes pas vraie. Peut-on en effet concevoir qu’un Kennedy ait vraiment beaucoup réfléchi aux questions politiques québécoises ?
Le Québec de Kennedy
Selon l’ancien ministre péquiste, il n’en demeure pas moins que Kennedy avait des perspectives plus développées qu’on ne pourrait le croire sur la question québécoise. Il en tient pour preuve les contacts qu’aurait eu l’homme politique avec un obscur aumônier des marins français d’Amérique, le père Morrisette, un curé franco-américain dont on conviendra cependant bien vite que l’influence sur la trajectoire des affaires et des idées à Washington demeure mince.
Bien sûr, on peut bien se livrer à l’exercice de supputer quelles auraient été les pensées de Kennedy à l’égard du Québec s’il eut vécu plus longtemps. Mais la fiction n’est pas du rayon de Lisée, affirme-t-il.
« Il faut rester proche des faits », plaide en entrevue au Devoir l’ancien conseiller de deux premiers ministres. « Je parle d’un témoin direct. Il n’est pas question de quitter le terrain de la preuve », explique-t-il.
« Évidemment, on aimerait avoir une lettre, un enregistrement, d’autres témoignages directs, pour établir fermement la preuve de la tentation québécoise de Kennedy », écrit Lisée. Or cela n’existe pas. Lisée convient que seul un Québécois peut être tenté, comme il l’a été, de savoir ce que pensait Kennedy de la question du Québec. « Personne d’autre qu’un Québécois ne veut mettre une loupe là-dessus. »
Pour écrire La tentation québécoise de John F. Kennedy, Lisée a repris l’essentiel d’une thèse déjà présentée dans son livre intitulé Dans l’œil de l’aigle (1990), désormais épuisé.
Colonialisme et Parti québécois
Son second ouvrage, De Gaulle l’indépendantiste, est en revanche entièrement inédit. « J’ai lu tout ce qui a été produit ces dernières années » au sujet de l’ancien président français, explique Lisée, histoire de mieux comprendre l’importance de la pensée indépendantiste du général, tout en considérant de près ses positions à l’égard du Québec.
Un jour, une peuplade s’est transformée en un peuple, mais sans pour autant échapper à son statut colonial. C’est sous ce rapport du colonialisme que Jean-François Lisée se tourne, comme beaucoup d’indépendantistes québécois, vers le général de Gaulle comme une sorte d’oracle. Selon Lisée, la visite du général en 1967 aura eu en tout cas pour résultat immédiat de semer, dans les consciences de tous les partis politiques, la « conviction que le Québec deviendrait indépendant », un jour ou l’autre.
Et Lisée de citer cette analyse livrée par le général, deux mois après sa visite canadienne : « Il n’y a pas de plus grand malheur pour un peuple que d’être vaincu. Ce peuple a tellement vécu dans l’écrasement de la défaite pendant deux siècles, qu’il reste toujours aussi craintif. Tant qu’ils n’auront pas complètement relevé la tête, ils s’enliseront dans l’immobilisme. »
L’immobilisme risque-t-il de gagner le Parti québécois à l’heure où la course à sa succession est entravée par une pandémie qui a tout paralysé ? Au moment de réaliser cet entretien, la course à la succession n’était pas encore arrêtée. Jean-François Lisée s’en disait heureux. « Moi, je suis content qu’elle ait lieu avec des personnages qui ont une personnalité et une notoriété. » Il ajoutait, chemin faisant, se dire confiant pour l’avenir de ce parti qu’il a conseillé pendant des années, puis dirigé lors de la dernière élection.