Jean-Claude Barreau fut directeur de l’Office des Migrations Internationales sous François Mitterrand, président de l’INED, inspecteur général honoraire de l’Education nationale, et conseiller spécial de François Mitterrand à l’Elysée. Dans son essai Liberté, égalité, immigration ? publié en 2016 après les attentats de Charlie Hebdo, il revient sur la nature et l’évolution de l’immigration en France. Selon lui, l’immigration a plus que triplé entre 1989 et 2014, année durant laquelle on comptabilisa environ 250000 arrivées extra-européennes par an (1). Selon lui, entre 1918 et 1980 l’immigration fut nécessaire et « heureuse » : la France avait besoin de main d’oeuvre, et la République n’avait pas peur d’ « assimiler » les étrangers. Depuis 1980, en revanche, l’immigration alla croissante, alors que ni la démographie ni l’économie ne le justifiaient. Par ailleurs, le refus de l’ « assimilation » imposé par l’Union Européenne (2) a favorisé l’émergence de communautarismes. Il dénonce un choix absurde imposé par la « dictature européenne », soucieuse de déliter les nations, au risque de faire mourir un des plus vieux Etats au monde.
« C’est que la propagande immigrationniste est intense, multiple et se moque absolument des faits.
Le 10 juin 2015, au cours d’un débat sur France 3, j’entendis Mme Catherine Wihtol de Wenden porte-parole quasi officielle de l’immigrationnisme, expliquer : « L’immigration est absolument nécessaire à l’Europe pour remplacer les enfants qu’elle ne fait plus. L’accroissement démographique de l’Union provient entièrement de l’immigration. »
C’est un avis biaisé. En tant qu’ancien président de l’INED, je pourrais faire remarquer à cette dame que, s’il est vrai que nos voisins européens sont en crise démographique et ne remplacent plus leurs générations, c’est faux pour la France où depuis soixante ans naissent environ huit cent mille enfants par an pour cinq cent mille décès, soit un croît démographique de trois cent mille, équivalent au surplus de natalité de toute l’Europe.
Et ce sont les classes moyennes et supérieures qui font les enfants, ce qui est aussi un trait particulier par rapport aux autres pays européens. La France a une histoire démographique singulière : elle a fait sa transition non à cause de l’hygiène, mais à la suite de la prodigieuse évolution culturelle que fut la grande Révolution. Elle entra dès 1815 en dénatalité, à tel point que les démographes américains de 1930 avaient prévu sa disparition pour 1990 ! Elle en sortit en 1945. C’est la première et seule nation du monde qui ait une bonne natalité « post-moderne ». Les causes en sont multiples : politique familiale depuis Alfred Sauvy, bon rapport entre les hommes et les femmes, compatibilité entre le travail des femmes et la maternité (à la différence des pays anglo-saxons et de l’Allemagne), école maternelle universelle (en France les parents savent que dès l’âge de deux ans, leurs enfants peuvent entrer à l’école. Tous les enfants de 3 ans vivant en France sont scolarisés gratuitement en maternelle ; c’est unique au monde).
Donc contrairement aux affirmations de Mme Catherine Wihtol de Wenden, la France n’a aucun besoin d’une immigration de peuplement, ni non plus, à cause du chômage, de continuer l’immigration de travail. Raison pour laquelle le président Giscard avait cru pouvoir arrêter l’immigration en 1975. Il n’en fut rien parce que le Conseil d’Etat appliquant les directives européennes qui considèrent le regroupement familial comme un droit imprescriptible, rendit un avis défavorable. Européiste, Giscard se soumit. Il est triste de voir l’illustre assemblée créée par Bonaparte pour affirmer l’Etat se soumettre aux avis de tribunaux bien peu légitimes. »
Jean-Claude Barreau, Liberté, égalité, immigration ? La France à l’heure du choix, L’Artilleur, Paris, 2016, p.76.
Valentin Martin
12 octobre 2017
(1) En France nous distribuons aux extra-européens 207000 cartes de séjour (chiffres de 2014), soit le triple de ce que je distribuais il y a 25 ans, car dans les 100000 cartes d’alors étaient comptabilisés les immigrés venus d’Europe qu’aujourd’hui on ne comptabilise plus. On peut aussi estimer le nombre des irréguliers à 50000 par an. Cette estimation est contestable mais correspond à celle de la police de l’air et des frontières. (p.106) A ce phénomène, il faut ajouter le phénomène récent d’émigration concernant 200 000 Français « indigènes » par an. (p.96)
(2) « Le nœud de la question. Si la seule issue de l’immigration passe par l’assimilation, si comme le dit Paul Collier : « il faut une nation pour assimiler », alors la construction abstraite de l’Europe rend l’assimilation impossible car elle transforme le continent en un vaste terrain vague. Alors l’immigré ne va plus en Italie, en Allemagne, en Grande-Bretagne, mais en Europe, c’est-à-dire nulle part. » (p. 129)