Au lendemain de sa défaite référendaire de 1992, le gouvernement Bourassa était complètement désemparé : le Parti libéral se retrouvait sans position constitutionnelle et incapable d’en esquisser une.
C’est ce que révèle le mémoire des délibérations du conseil des ministres de l’époque, consulté par La Presse canadienne.
En vertu de la loi, les discussions des cabinets, colligées dans des procès-verbaux, ne peuvent être rendues publiques qu’après 25 ans.
Ce compte rendu lève le voile sur des heures fatidiques pour le gouvernement libéral en fin de règne, après sept ans au pouvoir, qui encaisse durement l’échec.
Bref, c’est un point tournant, un traumatisme, qui peut expliquer encore aujourd’hui la frilosité des libéraux à vouloir entamer des pourparlers constitutionnels en bonne et due forme.
Le 28 octobre 1992, soit deux jours après la défaite du Oui au référendum pancanadien sur l’Accord de Charlottetown, le premier ministre libéral Robert Bourassa réunit son cabinet.
Il avait fait campagne avec vigueur en faveur de cet accord visant à réintégrer le Québec dans la Constitution canadienne, au côté de son homologue fédéral et partenaire, Brian Mulroney. Ils voulaient ainsi réparer l’affront du rapatriement de la Constitution de 1982 mené par le premier ministre Pierre Elliott Trudeau, sans l’aval du Québec.
Or l’Accord de Charlottetown avait été rejeté au Québec et dans la majorité des provinces et territoires, les électeurs avaient voté à 56,7 % non, contre 43,3 % qui étaient favorables.
Le camp du Non rassemblait sous son parapluie des alliés improbables, allant des souverainistes mécontents qui jugeaient l’entente en dessous de tout, jusqu’aux fédéralistes orthodoxes encouragés par Pierre Trudeau, lui qui estimait qu’on concédait trop au Québec.
Deux ans après l’échec de l’Accord du lac Meech de 1990, une autre tentative qui avait avorté, le gouvernement Bourassa essuyait donc une autre gifle, dont il ne se remettra pas — les libéraux seront chassés du pouvoir en 1994 par les péquistes de Jacques Parizeau.
Le conseil des ministres se retrouve devant un vide. Que faire ?
Ce référendum était « une mission impossible qu’il fallait tout de même réaliser », a concédé Robert Bourassa devant ses collègues, peut-on lire.
Cependant, il demeure « convaincu que l’entente constitutionnelle était acceptable », tout en reconnaissant qu’elle était « difficile à faire accepter par la population ».
Pour autant, il assure qu’un référendum sur la souveraineté, comme le demandait plutôt l’opposition péquiste, « aurait affaibli le Québec et aurait rendu la prochaine élection provinciale plus difficile », parce que les « résultats en faveur de la souveraineté n’auraient pas été plus élevés », selon lui.
« Cette solution [la souveraineté] mènerait le Québec dans un cul-de-sac », poursuit le premier ministre plus loin.
À remarquer : le silence du ministre des Affaires intergouvernementales, Gil Rémillard, un des artisans de Charlottetown. Il avait pourtant dit, lors d’une séance précédente du conseil des ministres, que les textes juridiques de l’entente allaient permettre de « battre en brèche » une des stratégies du camp du Non, celle de distribuer un texte annoté de l’entente.
Plusieurs ministres estiment que la campagne a été difficile, les « ennemis nombreux », dira M. Bourassa.
Une campagne référendaire « excessivement dure », commentera la ministre déléguée aux Finances, Louise Robic, tandis que sa collègue aux Affaires culturelles, Liza Frulla, ajoutera « sale », avec des « éléments de chantage ».
La titulaire du portefeuille de l’Éducation, Lucienne Robillard, se demande, elle, quelle est la « prospective à moyen terme », puisque le gouvernement devra adopter une nouvelle position constitutionnelle, tandis qu’une élection générale fédérale et une autre provinciale sont en vue.
Son patron, attentiste, préfère patienter après l’issue de ces rendez-vous électoraux.
Le ministre de la Santé et responsable de la réforme électorale, Marc-Yvan Côté — aujourd’hui accusé de fraude et de corruption — penche fortement pour une séance du conseil des ministres au cours de laquelle chacun « pourra se vider le coeur », puisque beaucoup de questions se posent au gouvernement et au parti, selon lui.
Il voit déjà venir la prochaine campagne électorale et met en garde son parti contre les conséquences de cet échec. Des « relents de ce que le gouvernement a connu avant la campagne électorale de 1976 » se dessinent, a-t-il évoqué.
Lucide, Robert Bourassa constate la force d’un courant de « dissidents » dans son propre parti et dit ne pas connaître « la tangente » qu’ils prendront au prochain scrutin.
Incidemment, le conseil des ministres s’est bel et bien réuni les 19 et 20 novembre suivant, vraisemblablement pour « se vider le coeur ».