On ne peut pas dire que Maxime Bernier, l'ex-ministre des Affaires étrangères, n'a pas fait les manchettes depuis son arrivée à la tête de la diplomatie canadienne, mais pendant qu'on s'attarde à ses gaffes et à sa relation avec Julie Couillard, une question reste sans réponse. Quelle politique étrangère devait-il exactement défendre?
Et si Maxime Bernier, comme Peter MacKay avant lui, n'était qu'un prête-nom pour le vrai ministre des Affaires étrangères, c'est-à-dire Stephen Harper? Peu importe le dossier, le premier ministre conservateur est le maître d'oeuvre de la politique de son gouvernement, et la politique étrangère ne fait pas exception. Ce ne serait pas une nouveauté, sauf que dans ce dossier comme dans bien d'autres Stephen Harper ne se sent aucune obligation d'exposer sa vision avec clarté. Serait-ce qu'il n'a pas de politique étrangère digne de ce nom?
«Bonne question», rétorque avec amusement l'ancien sous-ministre des Affaires étrangères Gordon Smith. S'il avoue ne pas pouvoir cerner avec précision la politique de ce gouvernement, il arrive quand même à distinguer «sa première priorité, qui est de maintenir de bonnes relations avec les États-Unis. Il faut cependant chercher pour trouver la seconde priorité».
Les experts sont moins sévères mais tout aussi confondus. «Le manque d'énoncé clair ne veut pas dire que Stephen Harper n'a pas de politique étrangère. Par contre, pour en comprendre les grandes orientations, il faut colliger discours, déclarations, communiqués, note Stéphane Roussel, titulaire de la chaire de recherche en politique étrangère et de défense canadiennes à l'UQAM. C'est comme un puzzle dont il faut réunir les pièces pour avoir une vue d'ensemble. Ceci fait en sorte qu'on n'a rien pour en mesurer la cohérence et en comprendre les objectifs à long terme.»
Mais M. Roussel ne voit pas de virage majeur. «Il y a une certaine stabilité. S'il fallait relever une différence en ce moment, c'en serait une d'accent mis sur une certaine identité canadienne à l'étranger. Par le passé, le Canada était le promoteur du multilatéralisme, le médiateur et l'adepte du compromis. Ce qu'on perçoit avec les conservateurs, bien que cela ait commencé un peu avant eux, c'est [...] un désir de s'affirmer autrement en montrant une capacité de contribuer, par la force, au maintien de la sécurité internationale.»
Lignes de force
La continuité n'est pas perceptible partout. Depuis son arrivée au pouvoir, Stephen Harper a accentué l'attention accordée à certains pays d'Amérique latine et poursuivi l'aide importante à Haïti. Mais contrairement aux libéraux, il a créé un froid avec la Chine, abandonné les engagements canadiens dans le cadre du protocole de Kyoto, retiré son appui à la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones et porté peu d'attention à l'Afrique. En revanche, il a accentué une tendance observée sous Paul Martin en accordant un plus grand rôle aux forces armées et poussé pour la poursuite jusqu'en 2011 de la mission en Afghanistan.
Les experts voient dans beaucoup de ces dossiers un «alignement plus explicite sur la politique américaine» de la part des conservateurs. De l'avis de Jean Daudelin, professeur en relations internationales à l'université Carleton, l'insistance sur la mission afghane en est une manifestation, tout comme le fait de souligner, la semaine dernière, «le Jour de solidarité avec le peuple cubain», une invention de Washington qu'aucun autre pays n'a reprise à son compte.
Titulaire de la chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatique, Charles-Philippe David est du même avis. «Depuis l'arrivée au pouvoir de ce gouvernement, le Canada calque de façon plus marquée ses positions sur celles des Américains.» Il cite, entre autres, le dossier israélo-palestinien. Le Canada a toujours soutenu Israël mais «se faisait le promoteur du dialogue, de la négociation, du compromis», dit-il. Lors de la guerre au Liban à l'été 2006, il s'est rangé clairement du côté d'Israël et a été un des premiers gouvernements à suivre la ligne dure avec le gouvernement élu du Hamas.
L'établissement de liens plus étroits avec Washington n'est toutefois pas l'apanage du chef conservateur. Le processus de rapprochement avait commencé sous les libéraux à la suite des attentats du 11 septembre 2001 et s'est poursuivi sous Paul Martin. «Mais cette politique ne résultait pas d'une conviction idéologique, ce qui est la nouveauté avec M. Harper», de dire M. Daudelin.
Michael Byers, professeur au Liu Institute for Global Issues à l'Université de Colombie-Britannique, note que la situation minoritaire du gouvernement ne lui permet pas de planifier à long terme, ce qui l'amène à s'en remettre à des positions idéologiques. «Ce qui caractérise cette politique étrangère, c'est la conviction qu'a Stephen Harper de devoir être au diapason de Washington et le fait qu'il fait campagne pour se faire réélire depuis qu'il est devenu premier ministre.»
Continuité militaire
L'autre élément central de la politique de Stephen Harper est la place faite aux forces armées. Négligée pendant des années, l'armée canadienne a finalement vu le vent tourner sous Paul Martin, qui a démarré un programme de réinvestissement dans les forces armées. Stephen Harper a pris le relais avec enthousiasme et a même accéléré le pas. Depuis deux ans, son gouvernement a annoncé un programme d'achat d'équipements majeurs d'au moins 17 milliards et promis entre 45 et 50 milliards pour d'autres acquisitions d'ici 20 ans. Il a aussi augmenté le budget de la Défense, qui passera d'environ 18 à 20 milliards d'ici 2011-12 pour croître ensuite de 2 % par année.
La logique du chef conservateur est claire. «Si un pays veut être pris au sérieux par le reste du monde, il doit avoir la capacité d'agir», résumait-il il y a deux semaines, lors de la présentation de sa stratégie de défense à Halifax. «Autrement, vous perdez votre droit d'être un joueur. Vous êtes un de ceux qui parlent dans les gradins, à qui tout le monde sourit mais que personne n'écoute.»
Ce qui différencie l'actuel premier ministre, dit Jean Daudelin, est le «plaisir» que semble prendre son gouvernement à mettre l'armée en valeur. «Il y a un machisme qui transparaît dans la politique du gouvernement, un plaisir de jouer les durs, et la mission en Afghanistan cadre très bien dans ce portrait.»
Personne ne conteste qu'il était devenu nécessaire de réoutiller les forces armées, mais pour faire quoi? demande M. David. «Dans un monde complexe, la puissance dure, comme on l'appelle, doit être accompagnée par la puissance souple, celle des mots, des idées, de la diplomatie. [...] On ne peut exercer sa puissance de la même manière dans tous les dossiers.»
Trois dimensions
Depuis plusieurs années, le Canada affirme mener une politique étrangère dite des 3D, c'est-à-dire qui allie diplomatie, défense et développement. Les conservateurs disent la poursuivre en Afghanistan. Il y a déséquilibre cependant, selon Michael Byers. La défense accapare le gros des budgets. L'aide au développement vient soutenir la consolidation de la paix, et l'Afghanistan demeure le premier pays bénéficiaire. La diplomatie, elle, est négligée.
«Actuellement, le bureau du premier ministre joue un rôle plus important en matière d'élaboration et d'analyse politiques que le ministère des Affaires étrangères», affirme M. Byers. Cette perte d'influence n'est pas nouvelle cependant, note M. Daudelin. Elle a commencé sous Pierre Elliott Trudeau, qui fut le premier premier ministre à nommer un conseiller en politique étrangère au sein même de son bureau. Tous ses successeurs l'ont imité. «Par contre, tous leurs ministres avaient une certaine autonomie et au moins un, Lloyd Axworthy, a réussi à imposer sa doctrine. [...] En ce moment, cependant, l'autonomie des ministres est à son plus bas et le ministère est plus affaibli que jamais», croit Charles-Philippe David. Selon lui, cela nuit à la politique étrangère canadienne parce que «nous ne sommes plus en mesure de nous faire valoir quand un dossier nécessite le recours au "soft power".» Jean Daudelin ajoute que cela «réduit notre capacité de réagir adéquatement» en cas de crise.
En faire à sa tête
La réputation et l'influence du Canada dans l'arène multilatérale y perdent au change, croit Michael Byers. «Remettre en question nos engagements en matière d'environnement ou de droits autochtones et se lier trop étroitement aux Américains minent notre influence, dit-il. Il en va autrement si notre politique est indépendante [...]. Cela ne veut pas dire de ne pas coopérer avec nos voisins, mais de faire notre propre analyse des problèmes pour adopter des solutions qui correspondent à nos intérêts. Et pour cela, il faut une diplomatie dotée des ressources nécessaires.»
Selon Gordon Smith, ce gouvernement ne porte pas autant d'intérêt au multilatéralisme que les libéraux, ou même Brian Mulroney, ce qui explique, selon lui, l'hésitation du gouvernement à faire campagne pour obtenir en 2011 un siège au Conseil de sécurité des Nations unies.
Le gouvernement Harper a une politique étrangère qui «ne correspond pas à l'héritage contemporain que le Canada a promu sur la scène internationale depuis la fin de la guerre froide. [...] On assiste à un éloignement de cette distinction canadienne faite de diplomatie humanitaire et pacifique», résume Charles-Philippe David.
Collaboratrice du Devoir
Harper, ministre des Affaires étrangères?
Au-delà de la bonne relation avec les Américains, il est difficile de cerner la politique étrangère des conservateurs
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