Le premier ministre Stephen Harper aura beau afficher un air contrit, le pétrin dans lequel son gouvernement est plongé depuis la démission lundi du ministre des Affaires étrangères, Maxime Bernier, est le résultat de ses propres choix. Qu'il s'agisse de la conduite de sa politique étrangère ou de la façon de gérer les crises, il porte l'ultime responsabilité de ce cafouillis. Quand on veut tout contrôler, on doit tout assumer.
Cette affaire Bernier, comme on a commencé à l'appeler, confirme les défauts de l'approche du premier ministre en matière de diplomatie. Il garde la main haute sur tout, se méfie des fonctionnaires des Affaires étrangères (dont le moral est actuellement au plus bas), tend à réduire sa politique étrangère aux relations canado-américaines, à la guerre en Afghanistan et au réalignement de la position canadienne au Moyen-Orient. Le reste des dossiers est très souvent abordé de manière à marquer des points sur l'échiquier politique canadien. La promotion de Maxime Bernier au poste de ministre des Affaires étrangères, par exemple, devait faciliter la promotion de la mission afghane au Québec et favoriser du même souffle le Parti conservateur...
Les premiers ministres fédéraux se réservent toujours quelques dossiers internationaux mais comme ils ne peuvent être partout à la fois, ils s'appuient généralement sur un solide ministre des Affaires étrangères. C'est là que Stephen Harper se distingue. Il a choisi de confier un des postes les plus stratégiques du gouvernement canadien à des amateurs, sans paraître se soucier des conséquences.
Les deux ministres qui se sont succédé à la tête de la diplomatie canadienne depuis janvier 2006 étaient deux hommes sans aucune expertise ni même intérêt pour les affaires internationales. Peter MacKay et Maxime Bernier n'y connaissaient rien. Studieux et discret, le premier s'en est tiré sans faire de dommages mais sans laisser sa marque non plus. M. Bernier, lui, a fait la sienne, mais elle se résume à une longue liste de gaffes, la dernière étant ces documents confidentiels portant sur un sommet de l'OTAN et la stratégie afghane du Canada qu'il a laissés chez son amie de coeur, Julie Couillard.
En optant pour des joueurs dénués de vision et incapables d'assurer un certain leadership, Stephen Harper a contribué à une certaine perte d'influence du Canada dans l'arène internationale, d'autant plus que sous sa gouverne, le pays s'est rangé dans le camp des récalcitrants en matière de lutte aux changements climatiques, de reconnaissance des droits autochtones ou encore de lutte contre la peine de mort.
L'affaire Bernier met en relief un manque de jugement, non pas seulement du député de Beauce, mais aussi du premier ministre, qui s'est royalement trompé dans ses choix de ministres des Affaires étrangères.
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Cette affaire permet aussi de souligner -- encore une fois -- quel piètre stratège est Stephen Harper quand vient le temps de gérer une crise. Depuis son élection en janvier 2006, il a fait face à toutes les crises en optant pour l'obstruction, l'intimidation, le refus de répondre. Il n'en a pas été autrement quand sont devenus publics les liens passés de Julie Couillard avec des hommes associés au crime organisé.
Pendant trois semaines et encore hier, le gouvernement s'est servi de l'argument de la protection de la vie privée pour éviter de dire si les antécédents de l'entourage d'un ministre faisaient l'objet de vérifications de sécurité. Ces personnes doivent déjà faire une déclaration financière détaillée afin de mettre le ministre à l'abri de possibles conflits d'intérêts. On soupçonne qu'il en est de même en matière de sécurité. Avant d'accorder la plus haute cote de sécurité aux plus hauts fonctionnaires du pays, les services de sécurité passent au peigne fin leurs «relations» sans que personne ne parle d'atteinte à la vie privée.
Mme Couillard n'est accusée de rien et c'est le ministre qui a oublié des documents confidentiels chez elle. Mais le premier ministre aura beau se faire rassurant, personne ne sait ce qu'il est advenu de ces documents pendant les cinq semaines où ils sont restés entre les mains de Julie Couillard. Et d'ailleurs, pourquoi ne les a-t-elle pas retournés immédiatement? Et comment le ministre a-t-il pu en perdre la trace pendant si longtemps sans que personne ne s'inquiète aux Affaires étrangères? Comme on le voit, beaucoup de questions subsistent dans cette affaire.
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Le refus du gouvernement de vouloir faire la lumière rapidement sur cette histoire nuit à la réputation du pays. C'est le deuxième incident à survenir en quelques mois où la diplomatie canadienne passe pour un panier percé. Le premier était la fuite d'une note diplomatique résumant les propos d'un membre de l'organisation du candidat démocrate à la présidence Barack Obama. On y laissait entendre que sa promesse de revoir l'Accord de libre-échange nord-américain n'était pas sérieuse, ce qui lui a fait perdre des appuis précieux lors de la primaire de l'Ohio. Le rapport sur cet incident, rendu public la semaine dernière, faisait porter le blâme par les fonctionnaires et blanchissait le chef de cabinet du premier ministre, Ian Brodie, ainsi que l'ambassadeur canadien à Washington, Michael Wilson.
En égarant des documents portant sur une réunion internationale importante, Maxime Bernier a démontré son amateurisme en matière de politique étrangère et son incompréhension des exigences de sa fonction. La bavure est grave et méritait son expulsion du cabinet. Mais il ne s'est pas promu lui-même à ce poste. Stephen Harper l'a choisi en sachant que son poulain n'y entendait rien. Et par entêtement, il a protégé le gaffeur pendant des semaines, y compris après qu'il eut provoqué un incident diplomatique en suggérant publiquement au gouvernement afghan de remplacer le gouverneur de Kandahar. Aujourd'hui, Stephen Harper récolte ce qu'il a semé. Et rien ne dit que ce soit terminé.
mcornellier@ledevoir.com
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