Pouvoir absolu

Dérives démocratiques - la société confrontée à sa propre impuissance


Il y a deux semaines, des cadres du Parti conservateur fuyaient un hôtel d'Ottawa pour éviter des journalistes exclus d'une séance d'information sur les déboires du PC avec Élections Canada. Du grand guignol. La semaine dernière, on apprenait que le gouvernement de Stephen Harper souhaitait contrôler les communications du Bureau du vérificateur général et autres hauts fonctionnaires du Parlement. Cette semaine, c'est l'abandon du Système de coordination des demandes d'accès à l'information (SCDAI) qui a semé l'émoi.
Depuis qu'il a pris le pouvoir, Stephen Harper semble s'être fait un devoir de concentrer encore plus le pouvoir entre les mains du bureau du premier ministre et de museler autant de gens que possible. Simple obsession de contrôle et de secret? À en croire l'universitaire Donald Savoie, il faut regarder plus loin.
Auteur de plusieurs ouvrages sur la concentration du pouvoir en démocratie parlementaire, il revient à la charge dans un nouveau livre qui doit paraître très bientôt et intitulé Court Government and the Collapse of Accountability in Canada and the United Kingdom. Il y décrit l'érosion graduelle des contrepoids au pouvoir du premier ministre et de son entourage, en particulier au sein de la bureaucratie.
Au-delà des tribunaux ou du Parlement, il existe en effet une série de conventions et d'institutions qui servent à tempérer la partisanerie d'un gouvernement et à le garder responsable et transparent. Il y a les médias, les hauts fonctionnaires indépendants du Parlement, mais aussi une fonction publique professionnelle et politiquement neutre. Or, depuis quelques décennies, on a assisté à la concentration du pouvoir entre les mains du premier ministre et au développement d'une structure informelle de prise de décisions qui a ébranlé les règles traditionnelles de reddition de comptes, disait Savoie au Ottawa Citizen lundi.
Les hauts gradés de la fonction publique nommés par le premier ministre - sous-ministres, sous-ministres adjoints et associés - sont de plus en plus choisis, avance-t-il, en fonction de leur flair politique plutôt que pour leur talent en matière d'élaboration de politiques publiques ou même pour leur connaissance intime des rouages du ministère dont ils prennent la direction.
Le chef conservateur a hérité d'une fonction publique qui a traversé de nombreuses réformes destinées à la rendre plus «efficace», à l'image du secteur privé. Des hauts fonctionnaires, on n'attend plus la vérité toute crue nécessaire à la prise de décisions éclairées. On veut qu'ils servent les volontés de leurs maîtres politiques, les protègent des crises et même les fassent bien paraître, pense Savoie.
Il compare ce genre de gouvernement à une monarchie. Le premier ministre est entouré de sa cour formée de conseillers et de hauts fonctionnaires, tous voués à le servir sans rouspéter, ce qui lui assure le pouvoir absolu. Il peut imposer ses vues sans buter sur une machine encombrante ou s'embarrasser de l'avis du cabinet.
Dans ce contexte, les parlementaires sont souvent relégués au rôle de figurants et le gouvernement ne se force même plus pour avoir l'air de les prendre au sérieux. Les exemples abondent. Encore cette semaine, il fallait entendre le premier ministre répondre aux questions portant sur l'abandon du SCDAI pour le constater. Il a affirmé que ce système avait été mis en place par les libéraux afin de satisfaire leur «obsession» pour un contrôle centralisé de l'information. En fait, ce système a été créé par le gouvernement Mulroney à la fin des années 1980 et la liste des demandes n'a jamais été rendue publique par aucun gouvernement. Elle était accessible parce qu'un universitaire, Alasdair Roberts, la rendait publique après l'avoir demandée, chaque mois, en vertu de... la Loi d'accès à l'information (LAI). Il a commencé en 2000 et un journaliste d'enquête de CBC, David McKie, a pris la relève en 2006.
C'est ainsi que les partis politiques, les journalistes, les chercheurs, les citoyens, les gens d'affaires ont pu savoir quelle information était disponible. En abandonnant la liste, les conservateurs disent vouloir faire des économies, mais David McKie ne voit pas comment le gouvernement pourra se passer d'un système semblable pour gérer les demandes. Selon lui, les conservateurs devront en créer un autre, mais pour y avoir accès, il faudra le découvrir et reprendre les demandes mensuelles d'accès. (Si le gouvernement Harper voulait, comme promis, encourager la transparence, il n'éliminerait pas le SCDAI mais le rendrait public sans attendre les demandes d'accès.)
Stephen Harper n'est pas le premier à apprécier la concentration du pouvoir, mais il a poussé la logique un cran plus loin en cherchant à prendre le contrôle complet du message. D'où l'idée de superviser les communications des hauts fonctionnaires du Parlement (vérificateur général, commissaire à l'information, directeur général des élections et tutti quanti). Ou encore de faire la vie dure aux médias, de compliquer l'accès à l'information, de museler les fonctionnaires. (Depuis que les conservateurs sont au pouvoir, le moindre communiqué de routine doit être autorisé par le bureau du premier ministre ou le Conseil privé avant d'être rendu public.)
Quand Stephen Harper se moque du Parlement, méprise les médias, tente de contrôler les mandataires du Parlement, pousse vers la sortie les dirigeants d'organisme qui osent lui tenir tête (comme la présidente de la Commission de la sûreté nucléaire), il ne fait que s'attaquer aux derniers obstacles qui se dressent entre lui et un véritable pouvoir sans partage. Mais en s'en prenant aux messagers qui leur déplaisent, les conservateurs ne font rien pour dissiper l'impression d'un parti qui privilégie le secret ou qui a quelque chose à cacher. Ils ne font rien non plus pour inspirer confiance aux Canadiens qui hésitent à accorder une majorité et un pouvoir encore plus absolu à ce premier ministre.
mcornellier@ledevoir.com


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