En présentant in extremis une liste aux élections européennes, Nagib Azergui l'avait joué profil bas. Son parti, l'Union des démocrates musulmans français (UDMF), avait habilement dissimulé sa visée communautariste derrière le nom de la liste, baptisée "Union pour une Europe au service des peuples", et affirmait sur son site être "non confessionnel, laïc et profondément républicain".
Une modération de langage qui a été en partie abandonnée au lendemain des résultats. Dans un communiqué de presse relayé lundi par les médias communautaires comme le site Oumma.com, Nabil Azergui remercie les 28.395 électeurs de l'UDMF de s'être "déplacés pour exprimer, par [leur] vote, une colère grandissante notamment quant à la stigmatisation dont font l’objet les musulmans partout en Europe". Remerciant les militants d'avoir mené des "opérations de terrain en plein jeûne de ramadan", il promet : "Rien n’a stoppé et ne stoppera notre détermination et notre mobilisation ! L’éveil des consciences est en cours et ne fera que s’accroître davantage".
#UDMF #Europeennes2019 : “Rien n’a stoppé et ne stoppera notre détermination et notre mobilisation !” https://t.co/LcbpnUYQRV via @oumma
— nagib azergui (@nagib_azergui) May 27, 2019
L'UDMF, fondé en 2012, a totalisé 0,13% des suffrages dimanche 26 mai. Un total modeste, qui positionne la liste de Nabil Azergui à la 27e position (sur 34) des listes en France, même si le fondateur de l'UDMF se félicite d'avoir dépassé les "listes antimusulmanes" représentées par la "liste de la Reconquête" et la "Ligne claire" de Renaud Camus, deux micro-candidatures d'extrême droite.
Un score qui montre que la logique communautaire semble ne pas fonctionner politiquement en France : le cocktail clientéliste de l'UDMF, "anti-impérialiste, antisioniste et anticolonialiste", qui a érigé comme priorité la lutte contre "l'islamophobie" et se fait plus discret qu'à sa fondation sur la défense du voile à l'école et la critique de Charlie Hebdo, n'a pas séduit l'immense majorité des Français de confession musulmane.
Il est toutefois notable que l'UDMF a effectué des performances largement supérieures à son niveau national dans certaines municipalités, voire certains quartiers bien localisés. En banlieue parisienne, le parti communautariste a plusieurs fois dépassé les 5%, comme à Garges-Lès-Gonesse (Val-d'Oise), où l'UDMF totalise 7,43% des suffrages et termine en 4e position, devant Benoît Hamon, le Parti socialiste, les Verts et le parti Les Républicains. A Mantes-la-Jolie, dans les Yvelines, la liste de Nagib Azergui fait 6,77% et réalise un pic notable dans le quartier du Val-Fourré, comme le souligne Le Parisien, avec 16,74% des voix dans cette zone sensible. Même constat à Trappes (Yvelines), avec 4,04% des voix et un score de 8,14% dans la Plaine de Neauphle. Montereau-Fault-Yonne (Seine-et-Marne), La Courneuve (Seine-Saint-Denis), Chanteloup-les-Vignes (Yvelines)... Dans ces communes aux quartiers dits "sensibles", l'UDMF dépasse les 6%.
De quoi ouvrir des perspectives pour l'année prochaine : "Je peux d’ores et déjà vous annoncer que de nombreuses communes représenteront l’UDMF aux prochaines municipales", promet Nagib Azergui dans son communiqué. Lors des dernières élections municipales en 2014, l'UDMF avait déjà créé l'événement en s'alliant avec l'Union des démocrates indépendants (UDI), le parti de centre-droit de Jean-Christophe Lagarde, à Bobigny (Seine-Saint-Denis).
Profitant de la stratégie de l'UDI consistant à jouer à fond la carte du clientélisme communautaire dans les banlieues, l'UDMF a obtenu son premier conseiller municipal dans cette ville du 93 : Hocine Hebbali, allié au nouveau maire Stéphane de Paoli. Ce n'est pas le seul lien avec l'UDI : en 2015, Nizarr Bourchada a quitté le parti fondé par Jean-Louis Borloo pour devenir tête de liste de l'UDMF aux régionales en Ile-de-France (il a depuis créé sa propre formation politique, "Français et musulmans"). Autre preuve de la porosité entre l'UDI et les militants identitaires, Mourad Ghazli, qui a longtemps cumulé les casquettes de conseiller à la Ligue de défense judiciaire des musulmans et chef de file de l'UDI à Thiais, dans le Val-de-Marne, où il est élu municipal. L'intéressé vit aujourd'hui en Turquie, d'où il préside le "Mouvement pour la renaissance ottomane" et s'illustre par des propos homophobes.
A Bobigny, où l'UDI s'est alliée à l'Union des démocrates musulmans français, l'UDMF a fait 2,50% aux européennes, près de vingt fois son score national. "Nos équipes sont déjà en place dans les communes d’Avignon, Marseille, Bagneux, Amiens, Clichy, Asnière, Lyon, Villerbanne, Vaulx-en-Velin, Jouè-Les-Tours, Woippy, et cette liste est encore loin d’être exhaustive", s'enthousiasme Nagib Azergui, ambitieux en vue des municipales. A Jouè-Les-Tours, facétieux, il a déjà promis "le grand remplacement dans les urnes de la République".