Une volonté marquée d'ancrer la société dans le meilleur de son passé, que j'appelle la révolution tranquille à l'envers, s'opère en Russie depuis 2010, elle suscite un intérêt croissant dans les pays occidentaux en perte de repères. C'est le discours dominant en Europe et au Québec, conforté dans l'idée d'une nation sans histoire et sans transcendance qui pourrait être mis à mal. La nation qui plonge ses racines dans l'histoire, celle qui ne tourne pas le dos à son identité, celle qui porte une vision qui valorise la tradition sans refuser la modernité ne serait pas une utopie du XXè siècle. Ce serait cette vision qui a cours présentement en Russie et elle reçoit l'adhésion de la majorité.
Le lecteur qui tire son information principalement de Radio-Canada ou d'autres médias occidentaux en affaires internationales, comme Le Monde, Le Devoir, etc., sera surpris d'avoir été tenu à l'écart de ces développements. Inversement, ceux, nombreux, qui ont déjà pris l'habitude de s'alimenter à des sources d'information diversifiées, moins uniformément orientées que celles de la grande presse des pays de l'OTAN, seront déjà mieux outillés. Ils auront déjà une opinion formée au contact d'arguments venus de tous bords sur Vladimir Poutine et la Russie. Quoi qu'il en soit, je fournis des sources d'information que j'estime crédibles, le lecteur pourra en vérifier le sérieux et former son opinion.
Pour l'ifrii, ce tournant conservateur russe plaît aux pays d'Asie. Ces pays sont pour la Fédération de Russie (FR) les partenaires de l'avenir parmi lesquels elle se sent respectée dans ses différences et surtout traitée en égal. Elle est en bonne compagnie avec ces pays qui s'efforcent de conjuguer la modernité avec leur attachement aux traditionsii. Elle-même pays d'Europe, la Russie ne délaisse pas pour autant ses partenaires européens, même quand ceux-ci boudent le dialogue pour recourir à des sanctions au lieu de résoudre les désaccords par voie de négociation, je pense naturellement au contentieux ukrainien. La Russie, déjà au centre de bien des enjeux mondiaux, plonge dans le national avec une approche particulière qui pourrait faire des remous. Elle, qui ne se départit jamais d'une défense bien comprise de son indépendance, fait se tourner vers elle bien des regards. Le Québec a certes intérêt à ne pas prendre pour argent comptant la campagne de dénigrement permanente dont elle est l'objet dans notre coin du monde et à y regarder de plus près.
Cette révolution tranquille à l'envers que rien n'annonçait est d'autant plus inusitée qu'elle survient après 70 ans de socialisme «scientifique». Une idéologie basée sur la rationalité, la primauté de l'économie, le dirigisme culturel, le remplacement de la religion et de la tradition par l'éducation laïque et la volonté de construire un «homme nouveau» débarrassé des «préjugés». Dix années subséquentes de chaos et de pillage économique sous la présidence de Boris Elstine auraient-elles fait le reste ?
Le tournant de renforcement national de la Fédération de Russie est aussi significatif du fait que ce pays possède une diversité ethnique qui n'est dépassée que par celle de l'Inde. Cette grande diversité ethnique et linguistique ne semble pourtant pas avoir freiné le virage conservateur puisqu'une cohésion sociale croissante en a résulté et se maintient. La grande popularité de Vladimir Poutine constitue d'ailleurs un indicateur incontestable du phénomène de relative unité que vit présentement la FR. Le conservatisme social, le conservatisme pragmatique ou le pragmatisme conservateur de Poutine, au moins ces trois appellations sont utilisées, s'avère donc une politique rassembleuse.
Dans sa lettre «La question russe», en janvier 2012, au cours de la campagne électorale, Poutine écrivait : « L'auto-identification du peuple russe, c'est une civilisation multiethnique unie par le noyau culturel russe».iii Une citation transmise par Léonid Poliakov, qui enchaîne avec ce commentaire à propos de Poutine :«Au fond, il formule ainsi une ¨troisième voie¨, située entre le projet multiculturel occidental, dont Poutine estime qu'il a échoué, et le défi alternatif d'un ¨État national¨ qui serait fondé ¨exclusivement sur l'identité ethnique¨.»iv Vladimir Poutine considère son conservatisme «comme une vision politique et morale du monde cohérente et pleine de bon sens. C'est sur cette base qu'il a fondé sa campagne électorale de 2011-2012 et sa stratégie de développement jusqu'en 2025...»
Lors des rencontres annuelles du Club Valdaï, en 2014, Poutine poursuivait de la façon suivante : «Pour que la société existe, il convient de soutenir des choses élémentaires que l'humanité a élaborées au cours des siècles : c'est le respect de la maternité et de l'enfance, le respect de notre histoire et de ses accomplissements, le respect de nos traditions et des religions traditionnelles»v
À la lumière de tout ceci, en viendra-t-on à considérer Lionel Groulx comme un visionnaire dont l'heure n'était pas encore venue? Il a certes combattu une forme de modernité aguicheuse et illusoire, une menace dont il nous entretenait notamment dans sa lettre à Jean Éthier-Blais «Sur les dangers de l'influence américaine».vi Un filet dans lequel se sont pris plusieurs intellectuels d'avant-garde, vantant comme un progrès indépassable de faire table rase, jugeant à jamais dépassé l'héritage spirituel (spirituel au sens profane comme au sens transcendant) de Lionel Groulx sur le petit peuple francophone d'Amérique.
Dans la présentation du dossier Lionel Groulx, publié par les Cahiers d'histoire du Québec au XXè siècle vii, Benoit Lacroix et Stéphane Stapinsky expliquent :
«Les citélibristes et certains nationalistes (notamment ceux d'extrême gauche) allaient prendre le relais au cours des années 1950 et 1960. Pour plusieurs souverainistes des années 1990, la figure de Groulx fait problème. Il leur semble que, en réponse aux accusations de «racisme» et de «fascisme» qu'on adresse tant de l'intérieur que de l'extérieur à la société québécoise (et en particulier au mouvement nationaliste), il leur faille prouver à tout prix à la face du monde qu'ils ne sont pas coupables, eux «modernes», de ce qui leur est reproché; pour ce faire, ils insisteront donc sur une rupture radicale entre la société d'autrefois et la nôtre et s'en prendront publiquement à ce Québec obscurantiste d'avant 1960 et au symbole du racisme et du fascisme de l'ancien régime que serait à leurs yeux Lionel Groulx. Une manifestation récente de ce nouveau rituel peut être relevée chez Gérard Bouchard.»
Plus loin, les auteurs nuancent en citant quelques noms, parmi ceux, à gauche, Pierre Falardeau, Gaston Miron, Andrée Ferrettiviii, qui ont accepté «de nouer un dialogue avec Groulx». Ils finissent par demander avec raison qu'on tourne la page à cet infantilisme «qui fait que, pour certains, il paraît impossible de se reconnaître dans une continuité à moins d'y trouver la trace d'une pureté conforme à nos valeurs actuelles.»ix
On pourrait épiloguer longuement sur l'héritage de Lionel Groulx, mais l'affaire est entendue. On en reviendra donc à dire ceci. Les arguments de ses pourfendeurs, lorsqu'il s'agissait d'arguments et non de demi-vérités et de falsifications, ont été réfutés avec patience et plus d'explicitations que la plupart des objections n'en méritaientx. Depuis une trentaine d'années, grâce à des intellectuels courageuxxi, tous les arguments pour discréditer Groulx et son oeuvre ont été répudiés d'une façon ou d'une autre; si bien que le dossier Groulx est clair et net. Alors pourquoi parler de réhabilitation de Groulx par Poutine ?
La réhabilitation de Groulx par Poutine est bien sûr une figure de style. Elle met en évidence le fait que si la joute intellectuelle a été remportée par les nôtres, la société civile ne l'a pas répercutée dans des changements notables comme en Russie. Le discours politique et le projet d'indépendance, défensifs, ont continué à freiner des quatre fers pour que survive la mauvaise conscience de notre passé. On refuse de faire à Lionel Groulx une place au panthéon de notre histoire parce que notre élite nationale dite «moderne» a rejeté tout ce qu'il représentait. Il était prêtre catholique et défenseur de la tradition. Et, cocasserie de l'histoire, c'est encore le prêtre catholique qui, depuis la grande noirceur de 1943, leur fera la leçon : «D'où nous vient, qui nous a donné ce goût morbide de nous accuser de tous les péchés, et plus particulièrement de ceux que nous n'avons pas commis.(sic)» xii
Après 60 ans de lutte souverainiste-indépendantiste infructueuse, ne sommes-nous pas rendu au bout du rouleau? Peut-on sérieusement avoir racorni la «civilisation française en Amérique» au point où l'argumentaire des chefs semble considérer maintenant l'enrichissement personnel comme le motif central de la cause? Ceci après avoir épuré au fil des ans toute référence à ce que nous sommes et d'où nous venons. Le phénomène qui a amené les Russes après 70 ans de construction de l'«homme nouveau» à renouer avec leurs racines trouvera-t-il un écho ailleurs?
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i www.ifri.org/sites/default/files/atoms/files/ifri_rnv_90_fr_poliakov_protege.pdf Le « conservatisme » en Russie : instrument politique
ou choix historique ? , déc. 2015
iiJapon, Corée du Sud, Taïwan, Singapour, selon ifri
iii Que penserait-on d'une nation multiethnique unie par le noyau culturel néo-français, canadien français et Québécois?
ivIfri, p.18
vhttp://sayed7asan.blogspot.fr/2014/10/vladimir-poutine-sur-le-nouvel-ordre.html
viLes Cahiers d'histoire du Québec au XXè siècle, No 8, automne 1997. Sur les dangers de l'influence américaine, 7 décembre 1964, p.175
vii Les Cahiers d'histoire du Québec au XXè siècle http://agora.qc.ca/Documents/Lionel_Groulx--Lionel_Groulx___actualite_et_relecture_par_Stephane_Stapinsky_et_Benoit_Lacroix
viii Il faudrait rajouter Michel Chartrand et Simone Monet-Chartrand dont le mariage dut béni par Lionel Groulx
ixCahiers p.10 ou lien ici
xPensons ici à la réfutation détaillée par notre sociologue québécois anglo-protestant Garry Caldwell, de la thèse de doctorat d'Esther Delisle http://agora.qc.ca/Documents/Antisemitisme--Le_discours_sur_lantisemitisme_au_Quebec_par_Gary_Caldwell Thèse effectivement couronnée du doctorat, à la courte honte de l'Université Laval.
xiStéphane Stapinsky, Garry Caldwell, Fernand Dumont, Serge Cantin, Nicole Gagnon et bien d'autres
xii«Notre force...» Groulx, Lionel, 1943; cité dans la présentation des Cahiers... No 8
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6 commentaires
Serge Jean Répondre
14 avril 2016Ce peuple qui vote toujours incroyablement pour sa disparition dorénavant; on l'a tant écoeuré dans son esprit collectif, à chaque fois qu'il parlait de liberté, qu'il en est venu à se mépriser lui-même et prendre quasiment plaisir à chaque appel pour festoyer sur sa propre dépouille.
Archives de Vigile Répondre
10 février 2016Poutine n'est pas un homme ordinaire. Il fait parti de ceux qui deviennent une légende. Dans les années 1920 Edgar Cayce a déclaré; c'est de la Russie que doit venir le salut du monde Poutine est le chef de la Russie. Pour ce faire il doit avoir son peuple derriere lui. Alors que les dirigeants des États Unis se creusent des "bunkers" cachés qui coutent des milliards et en cachent l'existence, Poutine en a fait creuser 5,000 pour son peuple. Il est un guerrier, un stratège et un diplomate. Il dit ce qu'il pense et dit la vérité en face. C'est le seul qui va avoir le courage de se servir de l'arme nucléaire car son action est destinée a empêché ces hommes qui ne craignent ni homme ni diable de prendre le contrôle de l'humanité. On le craint car il agit avec la conscience du juste. Alors on fait tout pour le noircir,le démoniser,le détruire dans la pensée des gens. 350 des plus grands journaux américains appartiennent aux milliardaires juifs et américains. Hollywood appartient aux juifs.
Et voila pour la propagande. Et qui nous dit que ce n'est pas les anglais qui l' ont assassinés?
Celui qui comprend ce que son peuple ressent dans ses entrailles et suivit par son peuple et celui qui se pense plus fort que son peuple en subit les conséquences. Demandez-le a Thomas Mulcair.
Archives de Vigile Répondre
21 janvier 2016La question de savoir si Poutine a comploté pour tuer cet homme ou non n'est pas de mon ressort. L'affaire est controversée, on peut s'y attendre. Personnellement je n'y crois pas, mais je ne redouterais pas pour lui qu'une instance impartiale se prononce. Connaissant l'acharnement de médias des pays de l'OTAN contre Poutine, je pense qu'on ne manque aucune occasion pour salir sa réputation. Ce que vous suggérez comme lien est insuffisant. Pour connaître l'envergure de l'homme il faut le lire dans le texte. Lire ce que lui-même écrit et le faire attentivement. Je sais aussi que Barak Obama envoie des drones lâcher des bombes guidées par des cellulaires suspects, tuant à l'aveugle des milliers d'innocents. Je le regrette et je demande juste qu'il soit jugé dans une instance appropriée. Les crimes des uns, s'il y a lieu, n'excusent pas ceux des autres.
Ce qui m'intéresse au plus haut point chez Poutine c'est l'exemple qu'il nous donne à nous Québécois de la défense de l'indépendance de son pays, même au prix de sacrifices. Il n'est pas le seul, mais il contribue puissamment dans son cas à promouvoir et à garantir l'indépendance des uns et des autres en se faisant le champion du droit international et de l'observance des décisions prises aux Nations-Unies. Vous pouvez être en désaccord mais selon moi il mérite notre estime.
Jean-Louis Pérez-Martel Répondre
21 janvier 2016Pour en savoir d'avantage sur Vladimir Poutine, lire Poutine a «probablement approuvé» le meurtre de Litvinenko
http://www.lapresse.ca/international/europe/201601/21/01-4942130-poutine-a-probablement-approuve-le-meurtre-de-litvinenko.php
***
JLPM
Archives de Vigile Répondre
20 janvier 2016En complément
Le Figaro (lien plus bas) dresse un portrait assez honnête de Vladimir Poutine. L'article accrédite la thèse que la Russie est en cours de vivre une révolution tranquille à l'envers. Pour le dire dans des termes que comprennent tous les Québécois.
http://www.lefigaro.fr/international/2013/09/20/01003-20130920ARTFIG00537-vladimir-poutine-croise-des-valeurs-chretiennes.php
Contre toute attente, les pays d'Europe de l'Est, avec au premier rang la Hongrie de Viktor Orban et maintenant la Pologne, suivent un cheminement qui n'est pas sans rappeler celui de la Russie, mais indépendamment, sans que cela se passe sous l'influence de la Russie ou qu'ils s'en rapprochent. Ils se soulèvent contre l'autoritarisme de l'Europe de Bruxelles, qui n'est pas sans leur rappeler le dirigisme soviétique. Ils revendiquent leur «intimité» nationale et pour reprendre le constat de John Laughland (lien plus bas):
«La construction européenne depuis la chute du rideau de fer est basée sur une vision déterministe et néo-marxiste de l'histoire, selon laquelle les nations ont inévitablement tendance à se fondre les unes dans les autres et à disparaître»
https://francais.rt.com/opinions/13880-commission-europeenne-enquete-pologne
Philippe Grasset (lien plus bas) propose de corriger un contre sens dans la traduction de l'article précédent (lien ci-dessus) : «A cette vision, le ministre [polonais] opposait celle-ci, digne d'un Vladimir Poutine : “Ce que veut la majorité des Polonais : les traditions, la conscience de son histoire, l'amour de la patrie, la foi en Dieu, en une vie de famille normale entre un homme et une femme.»
Dans sa façon bien à lui de remettre tout à plat, Philippe Grasset, qui ne se laisse jamais séduire par les mots de la politique, ne retient que les forces structurantes d'un monde à venir contre les forces déstructurantes en pleine déliquescence.
http://www.dedefensa.org/article/lue-la-pologne-et-le-neo-marxisme
(En fait, DeDefensa reprend le texte de Laughland en entier à la fin dans sa version corrigée)
Jean-Claude Pomerleau Répondre
10 janvier 2016Qu'ont en commun Poutine et Groulx ?
Une doctrine politique très claire.
Ce qui a permis à Poutine de sortir la Russie du déclin et a mené au redressement national. Ce qui lui permet de s'interposer dans un rapport de force ultime contre le globalisme pour garantir le principe westphalien de la souveraineté des États. Un enjeu existentiel pour la suite du Monde.
Ce qui a permis à Groulx de dégager une stratégie globale, s'appuyant sur la doctrine sociale de l'Église, l'adn du modèle québécois, pour faire apparaître l'État du Québec : Notre État français nous le voulons et nous l'aurons (1937).
Et c'est exactement ce qui s'est révélé lors de la Révolution tranquille : un État de facto.
Une doctrine politique ne va pas sans faire corps avec notre histoire :
« L'histoire étant la politique du passé et la politique de l'avenir » Saint Auclair
http://vigile.quebec/Enseignement-de-l-histoire-1671
JCPomerleau