Louis-Gilles Francoeur - Le président Obama, que tous attendaient comme le sauveur de la conférence de Copenhague sur les changements climatiques, a plutôt réussi à diviser profondément la communauté internationale avec une entente qu'il a lui-même qualifiée «d'insuffisante» avec les cinq grands pays émergents que sont la Chine, l'Inde, le Brésil et l'Afrique du Sud.
Cette entente, a-t-il lui-même précisé, n'a «aucune valeur légale», ne fixe aucun objectif de réduction à la hauteur du défi avoué de son entente, soit de freiner à 2 °C la hausse du climat. Il a présenté comme un énorme gain l'inscription sur une liste officielle les cibles volontaires, pour la plupart déjà annoncées depuis des mois par les pays émergents. Pour faire avaler la pilule aux pays en développement, qui se sentaient hier soir trahis par les pays émergents jusqu'ici de leur côté, l'«entente Obama» ou l'«accord de Copenhague» prévoit un financement pour les pays les plus pauvres et les plus vulnérables de 30 milliards d'ici 2012, un montant qui sera porté à 100 milliards par année en 2020.
Mais sur l'objectif de court terme, le président Obama n'a pas impressionné grand monde. Alors que l'Union européenne consacrera 10,6 milliards en trois ans à l'aide d'urgence pour l'adaptation au réchauffement du climat et que le Japon ajoutera à lui seul 11 milliards, la «première économie de la planète», comme l'a qualifiée le président Obama, n'a mis sur la table que 3,6 milliards.
De son côté, l'Europe a accepté à contrecoeur cette entente, que les États-Unis ont négociée pratiquement sur une base bilatérale. Elle espère pouvoir profiter de l'année 2010 pour arriver à transformer l'accord de Copenhague en protocole de Mexico, où se déroulera l'an prochain la 16e rencontre des parties.
Du côté des pays en développement, une trentaine d'entre eux attendait de se retrouver en plénière pour s'y opposer, ce qui pourrait paralyser la mise en application des faibles gains qu'elle contient en raison de la règle du consensus qui régit les organismes onusiens.
Au moment de mettre sous presse hier soir, Tuvalu avait formellement refusé de s'y rallier. La Bolivie n'accepte ni l'accord, ni le fait de n'avoir pas eu accès à la négociation et d'avoir une heure pour l'entériner «quand des milliers de vies en dépendent». Cuba y a vu une caricature de l'impérialisme des États-Unis: autre rejet. Visiblement, le président Lokke Rasmussen allait avoir de la difficulté à constater l'existence du consensus sans lequel la plénière ne peut entériner l'entente. La plénière, qui a débuté à 3h du matin, menaçait de durer plusieurs heures.
Pour le premier ministre suédois, Frederick Reinfeld, l'Europe s'est battue pour que cet accord ne crée pas de recul sur quelque front que ce soit, mais il a admis, tout comme le président de la Commission européenne, Jose Manuel Baroso, que cet accord était «très en deçà de nos attentes» et qu'il «ne réglera pas la menace des changements climatiques».
Les Européens ont néanmoins décidé d'avaler la pilule parce que, a expliqué M. Baroso, «d'abord c'est une entente» et qu'il ne fallait ni briser le processus de négociation, ni briser la solidarité avec les pays en développement, qui seront privés de l'argent promis s'il n'y a pas d'entente. L'Europe estime néanmoins que sa stratégie, en marche depuis un an, notamment ses objectifs élevés de réduction, a eu pour effet de forcer les États-Unis et les pays émergents à se donner des objectifs avoués qu'ils devront respecter.
Du côté des écologistes, on était beaucoup moins indulgents: «Nous avons assisté au triomphe du spin médiatique sur la substance», affirmait Jeremy Hobbs d'Oxfam. Chez Greenpeace International, on parlait de l'entente de «Brokenhagen».
Une «route» plutôt qu'une entente
Les objectifs de long terme que prévoyaient les versions mises au point par les négociateurs de l'équipe Obama dans l'après-midi avaient tous disparu hier soir dans le texte final: initialement, le plan Obama prévoyait une réduction globale des émissions humaines de 50 % en 2050 et de 80 % pour les seuls pays industrialisés. Mais les chefs d'État consultés par la suite ont biffé ces objectifs, y compris des pays comme le Canada dont c'est en principe l'objectif officiel.
L'obligation de transparence et de vérification qu'exigeaient les États-Unis a été modifiée pour gagner l'accord de la Chine: les pays feront rapport de leurs émissions aux deux ans dans une «communication nationale», ce qui respecte la souveraineté chinoise, mais le bilan devra s'inspirer de normes comptables internationales pour satisfaire les États-Unis.
L'accord prévoit que la communauté internationale tentera de faire plafonner les émissions anthropiques «le plus tôt possible» en tenant compte des impératifs de la lutte contre la pauvreté dans les pays en développement. L'accord prévoit aussi la «mobilisation» d'importantes mesures financières pour aider les pays en développement qui voudront préserver leurs forêts afin de conserver intacts ces puissants puits de gaz à effet de serre au bénéfice de tout le monde.
Enfin, l'accord de Copenhague stipule que la gestion des deux montants de 30 milliards et de 100 milliards sera assurée par un nouveau fonds dans lequel les pays en développement auront un mot déterminant à dire. Ces derniers voulaient absolument éviter la mainmise de la Banque mondiale sur ce nouveau fonds, qui pourrait être lié toutefois sur le plan administratif avec le Global Environment Fund (GEF) de l'ONU.
Un registre des mesures volontaires que voudront prendre les États-Unis et les pays émergents sera ainsi ouvert pour que la communauté internationale puisse en suivre la rigueur et la vigueur. L'entente d'hier devra être réévaluée en 2015. Et on prévoit que cette réévaluation permettrait d'adopter des objectifs de réduction encore plus ambitieux.
Réactions opposées
La réaction du premier ministre canadien, Stephen Harper, était aussi favorable au projet que ce dernier a été dénoncé par les grands groupes humanitaires et écologistes en des termes des plus virulents. Mais le premier ministre n'a pas soufflé mot de la contribution financière du Canada aux efforts d'adaptation des pays en développement.
Pour Stephen Harper, une entente volontaire, sans portée légale est «une bonne entente» parce qu'elle regroupe pour la première fois tous les grands émetteurs, un jugement que font aussi les Européens, mais qui la considèrent pour leur part «nettement en deçà de nos attentes», selon le mot de M. Baroso.
«Elle est réaliste et pragmatique du point de vue du Canada», a déclaré Stephen Harper, qui entend y incorporer les objectifs de réduction du Canada. Stephen Harper a par ailleurs déclaré que la menace des changements climatiques était «absolument claire» en raison de la «prépondérance de preuves» scientifiques.
Il a précisé que l'industrie des sables bitumineux devra contribuer, une contribution qu'il n'a pas mesurée mais qui s'annonce modeste, car cette industrie, a-t-il dit, ne représente que 4 % des émissions canadiennes, mais qui représente une contribution majeure quant à l'augmentation annuelle du bilan de GES du Canada.
Quant aux écologistes, ils ont rivalisé de formules-chocs pour décrire leur déception.
«Très déçu», a déclaré Steven Guilbeault au petit matin. Il pense que le président Obama a voulu «forcer le jeu» pour des questions de politique interne, ce qui explique que certaines ONG étatsuniennes adoptaient hier un ton plus conciliant. Mais la vérité, dit-il, c'est qu'on est devant «un faux départ» pour la deuxième phase de la bataille du climat parce que cet accord ne prévoit aucune date pour plafonner les émissions humaines.
«Ils disent qu'ils ont fait le travail, mais ce n'est pas vrai», expliquait Kim Carstensen, leader du WWF.
«Un échec historique pour les efforts consentis en vue d'obtenir un traité légalement contraignant capable d'arrêter le réchauffement mondial», précisait Ricken Patel au nom de Climate Justice, le groupe à l'origine des manifestations de cette semaine dans la capitale danoise.
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