Cette semaine, le ministre de la Sécurité publique Robert Dutil a fait part de son «inquiétude profonde» face à «ce qui se passe à la Ville de Montréal». L'inquiétude profonde, les Québécois connaissent, sauf que la leur s'étend à l'ensemble du Québec, et qu'elle a cours depuis deux ans. L'histoire que rapporte notre collègue Kathleen Lévesque aujourd'hui ne les indignera que davantage.
Non seulement la Ville de Montréal a-t-elle enquêté sur son chef de police, Yvan Delorme, comme l'a révélé La Presse (la Ville nie, mais c'est affaire de sémantique: le nom du chef Delorme étant apparu dans le cadre d'une enquête interne sur la controversée firme de sécurité BCIA, un enquêteur privé a eu le mandat d'éclaircir cette partie du dossier), mais, a appris Le Devoir, le ministère de la Sécurité publique a lui aussi été avisé, il y a un an et demi, des relations douteuses entretenues par le chef. La Sûreté du Québec ne pouvait toutefois être chargée de l'enquête, comme le prévoit la Loi sur la police, puisque le nom de Jacques Dupuis, alors ministre de la Sécurité publique et donc responsable de la SQ, est apparu au dossier.
La question qu'a dû se poser le sous-ministre de la Sécurité publique de l'époque, Robert Lafrenière, est la même que se posent les Québécois depuis des mois: vers qui se tourner? Pour le sous-ministre, il ne restait que le bureau du premier ministre (lui en a-t-il parlé?) et la GRC. Pour les Québécois, il n'y a personne.
En refusant depuis deux ans la tenue d'une enquête publique qui permettrait de mettre au grand jour un vaste monde de magouilles, le premier ministre a décrété que les Québécois n'ont pas à savoir. Il nous renvoie à la police, mais celle-ci travaille dans l'ombre et ne s'intéresse qu'à l'illégalité, pas aux curieuses accointances et aux dérapages éthiques.
Le gouvernement se retranche maintenant derrière son Unité permanente anticorruption, d'ailleurs dirigée par l'ancien sous-ministre Lafrenière. Mais elle manque de personnel (les procureurs de la Couronne, mécontents de leurs conditions de travail, la boudent) et elle ne révélera que des informations «jugées appropriées et au moment opportun», a dit le ministre Dutil en annonçant sa première enquête, sur Montréal. Ça risque d'être peu, ça risque d'être long.
Et l'on se dit que le maire de Montréal, Gérald Tremblay, aujourd'hui cloué au pilori, s'est sans doute buté lui aussi à la question de la confiance. On vient d'apprendre que c'est à l'été 2009 qu'il reçoit des informations telles sur BCIA (qui surveille le quartier général de la police de Montréal) qu'il décide de lancer une enquête interne. Le maire avait donc cette donnée en tête lorsqu'il rencontre Le Devoir cet automne-là, en fin de campagne électorale municipale, et qu'il lui fait part du climat de peur qui règne. Est-ce pour cela qu'il a tenté de tout régler à l'interne, avec les dérapages d'espionnage que l'on découvre aujourd'hui? À qui, lui, pouvait-il se fier?
Et maintenant, c'est Québec qui met le maire sur la sellette... Quelle ironie, et que de temps perdu.
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