Les bureaux de génie sont les «pourvoyeurs de fonds de la politique», estime l’architecte Roger Taillibert, ici photographié dans son bureau de Paris en 2001.
Photo : Agence France-Presse Martin Bureau
Kathleen Lévesque - L'architecte français Roger Taillibert n'en démord pas: la gangrène de la corruption et de la collusion s'est mise en place au Québec lors de la construction du Stade olympique qu'il a créé. Elle s'est affinée au fil des décennies, rythmée par la croissance des firmes d'ingénierie.
«J'ai l'impression qu'au Parc olympique il y a eu une naissance: la naissance de la corruption organisée, la naissance du vol, du rejet du travail bien fait et du sabotage. Je pense que rien n'a changé et que cela a même évolué», a affirmé Roger Taillibert en entrevue avec Le Devoir.
Habitant Paris mais ayant également une résidence dans les Laurentides, M. Taillibert a continué de suivre de près l'actualité québécoise. Cet automne, il a lu le rapport de Jacques Duchesneau, qui a dirigé l'unité anticollusion au sein du ministère des Transports. Les constats dévastateurs de M. Duchesneau l'ont conforté dans ce qu'il sait depuis maintenant près de 40 ans, c'est-à-dire que le monde des ingénieurs est «au centre du stratagème».
«C'est un rapport qui a plongé dans la vérité. Mais pourquoi cette vérité est-elle camouflée, préservée uniquement par des bureaux de génie? C'est ce que je ne comprends pas, ou alors, que je comprends très bien. Ce sont les pourvoyeurs de fonds de la politique», affirme-t-il.
L'aventure olympique a donc aussi été celle de «la préfabrication de la corruption», selon le célèbre architecte, toujours actif malgré ses 85 ans bien sonnés (il vient de terminer un projet au Qatar, au Moyen-Orient). «Le système s'est mis en route et tous les bureaux de génie civil ont compris comment on pouvait, dans un réservoir d'or, se servir des pièces», tranche M. Taillibert, qui ajoute: «Je travaille dans le monde arabe et je n'ai jamais senti la corruption comme ça.»
Au-delà de l'oeuvre architecturale admirée ou critiquée, le Stade olympique est vite devenu, lors de sa construction pour les Jeux de 1976, le symbole d'un fiasco financier gigantesque. L'estimation initiale de 250 millions a littéralement explosé pour dépasser 1,3 milliard (près de 5 milliards en dollars d'aujourd'hui).
Le rapport du juge Albert Malouf, qui a présidé la Commission d'enquête sur le coût des jeux de la 21e olympiade, a répertorié des problèmes qui trouvent des échos encore aujourd'hui: octroi de contrats douteux, manque de planification, fraude, délais, corruption, incompétence. Le juge Malouf a retracé les liens étroits entre certains contrats obtenus notamment par des firmes de génie et la caisse électorale du Parti libéral du Québec.
«Les quanta exorbitants de contributions politiques coïncident avec l'adjudication de ces contrats», peut-on lire dans le rapport Malouf.
Par exemple, entre 1970 et 1976, la firme Desjardins-Sauriol, devenue aujourd'hui Dessau, a obtenu les contrats de contrôle de la qualité des matériaux du chantier olympique. Au cours de la même période, la firme a versé plus d'un demi-million de dollars aux libéraux. À l'époque, les contributions d'entreprises étaient permises.
Le collecteur de fonds de l'époque au PLQ, Paul Desrochers, est pointé comme celui qui a donné son avis sur la sélection des firmes devant remplir les contrats donnés généralement sans appel d'offres. «Paul Desrochers, c'était le caissier. C'est lui qui imposait les firmes», se rappelle Roger Taillibert. «La maladie est toujours en place et bien organisée. On ne donne les affaires qu'à la condition qu'il y ait un aller-retour. Dailleurs, certains acteurs de l'époque sont toujours là», ajoute-t-il.
M. Taillibert pointe en effet en direction de certains dirigeants du PLQ, dont un ami proche du premier ministre Jean Charest.
Stopper le «bricolage»
Selon Roger Taillibert, le Québec a besoin d'une organisation indépendante qui assure le contrôle de la qualité des grands projets, avec des pénalités s'il y a des erreurs. L'architecte estime que les firmes sont actuellement juges et parties. «Comment voulez-vous que ça marche?», lance-t-il sur un ton exaspéré, montrant du doigt le projet de reconstruction du complexe Turcot, dont le coût estimé s'établit pour l'instant à trois milliards de dollars.
Quant à l'avenir des installations olympiques, qui ont fait l'objet de consultations publiques depuis l'été dernier, M. Taillibert y voit une occasion de stopper le «bricolage» qui en a été fait. Il salue le fait que, pour la première fois depuis la création du stade, la Régie des installations olympiques (RIO) a pris la peine de le contacter afin de discuter de la situation.
L'architecte souhaiterait que son oeuvre soit colorée par un éclairage qui la mette en valeur, qu'on redonne vie aux fontaines de l'esplanade et qu'un restaurant gastronomique prenne place au sommet de la tour. Ce qui importe surtout à ses yeux, c'est que le stade soit entièrement dédié aux sports ainsi qu'à de grands événements festifs.
Et le toit, dans tout ça? La question irrite quelque peu Roger Taillibert, qui n'a toujours pas digéré que ses plans n'aient pas été suivis à la lettre et que, pire, le cahier des charges ait été trituré. «J'ai des droits d'auteur et je ne laisserai pas faire n'importe quoi pour la toiture», prévient-il.
Les multiples propositions des firmes de génie qui ont été égrenées depuis 30 ans pour le remplacement du toit ne laissent aucun doute dans l'esprit de M. Taillibert. «Ce débat est devenu un jeu pour remplir le portefeuille [des firmes]. Pourquoi pas une nouvelle idée?», ironise Roger Taillibert.
Point chaud
Collusion: «rien n'a changé», dit Taillibert
M. Taillibert pointe en effet en direction de certains dirigeants du PLQ, dont un ami proche du premier ministre Jean Charest.
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
Aucun commentaire trouvé