Gaz de schiste

Les lunettes de la ministre

Le Québec et la question environnementale


Mais quelles lunettes la ministre Nathalie Normandeau chausse-t-elle quand elle lit des documents? Il faut qu'elles soient d'un bien rose opaque pour qu'elle puisse soutenir que le rapport déposé hier par Jean Cinq-Mars, commissaire au développement durable, «n'a rien d'accablant».
La seule liste des points saillants du rapport du commissaire au développement durable portant sur les gaz de schiste est en soi évocatrice: «arrimage non démontré avec les priorités d'action; mise en place tardive de mécanismes gouvernementaux de participation des citoyens; démonstration insuffisante des bénéfices pour la société québécoise; mesures réglementaires qui minimisent les débours des entreprises; contrôles du ministère pratiquement inexistants». Autant dire zéro sur toute la ligne... La ministre des Ressources naturelles, Nathalie Normandeau, elle, en faisait pourtant une lecture constructive: une occasion «de préparer l'avenir».
La ministre avait aussi lu d'une bien drôle de manière la Stratégie énergétique 2006-2015 de son gouvernement l'automne dernier. À ceux qui reprochaient aux libéraux de se lancer en catimini dans la filière du gaz de schiste, elle rétorquait qu'au contraire, la Stratégie exposait clairement cette orientation.
C'était faux, comme nous l'avions alors écrit. La Stratégie ne faisait qu'évoquer d'éventuels gisements pétroliers et gaziers et insistait sur l'estuaire du Saint-Laurent. Hier, Jean Cinq-Mars faisait le même constat: ce n'est qu'à la fin 2007 que des travaux de forage ont permis de croire au potentiel gazier des basses terres du Saint-Laurent. C'était là un changement important au regard de la Stratégie et il aurait fallu en revoir l'analyse. Mais cela n'a pas été fait.
Pas plus qu'il n'y aura consultation des municipalités ou des citoyens, ni exigences autres que minimalistes envers les entreprises, ni inspections ministérielles des puits avant que les médias n'en fassent leurs gros titres... On doit d'ailleurs aux journalistes d'avoir révélé à la fin mai dernier — il n'y a pas un an! — tout ce qui se tramait dans ce dossier du gaz de schiste.
Pendant ce temps, le sous-sol du Québec aura été partagé entre des entreprises privées, lesquelles iront recruter du personnel dans les cabinets libéraux. Dans un cas, une seule fin de semaine suffira pour passer de chef de cabinet à lobbyiste pour les entreprises pétrolières et gazières.
Lobby qui prendra d'ailleurs une expansion considérable. Comme le révélait hier Le Devoir, l'Association pétrolière et gazière du Québec comptait à elle seule en juin 2009 (époque où le terme même de «gaz de schiste» était inconnu de la population), une trentaine de lobbyistes inscrits auprès du gouvernement. Actuellement, l'industrie pétrolière et gazière compte au moins 55 lobbyistes actifs au Québec.
Le constat est clair: le gouvernement Charest n'a eu d'yeux que pour l'industrie dans ce dossier, sans aucun égard à ses responsabilités envers les citoyens. S'il accepte maintenant de faire preuve d'une certaine retenue, c'est uniquement parce qu'il est très sévèrement rappelé à l'ordre tant par le Bureau d'audiences publiques sur l'environnement que par le Bureau du vérificateur général, de qui relève le commissaire au développement durable.
Heureusement que le BAPE et M. Cinq-Mars ont entendu, eux, l'opinion publique. Et leurs analyses, basées sur des faits implacables, démontrent que le gouvernement n'a pas fait son travail. Il n'a pas même respecté la Loi sur le développement durable qu'il a lui-même adoptée en 2006! C'est bien les lois, mais il faut aussi aller au-delà des mots, souligne d'ailleurs le rapport du commissaire. Encore faut-il savoir les lire.


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