Pour des raisons tactiques prévisibles et de bonne guerre, Stephen Harper aura beau refuser d’«envisager la possibilité d’avoir à former un gouvernement minoritaire», cette possibilité, parmi d'autres, existe pourtant bel et bien. Et il le sait.
En juin dernier, j’écrivais qu’après trois mandats consécutifs et près d’une décennie au pouvoir, Stephen Harper jouerait sa propre survie politique à l’élection prévue pour le 19 octobre. En quête d’un quatrième mandat, j’ajoutais, le premier ministre joue gros. Même une victoire minoritaire sonnerait sa fin politique...
Il est en fait évident depuis bien avant la campagne électorale qu’en situation minoritaire, aucun des partis de l’opposition n’accepterait dorénavant de le soutenir en Chambre. Et ce, de quelque manière que ce soit.
Seule exception, dès son retour en juin, Gilles Duceppe laissait planer en entrevue la possibilité d’un appui du Bloc en échange de gains pour le Québec. Or, au début septembre, le chef bloquiste s’est ravisé en refusant lui aussi dorénavant d’appuyer tout gouvernement conservateur minoritaire.
Et donc, sans surprise, Justin Trudeau, Thomas Mulcair, Elizabeth May et Gilles Duceppe disent aujourd’hui «non» en chœur à tout soutien d’une minorité conservatrice.
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En d'autres termes, sans une majorité de sièges, le gouvernement sortant serait cuit. Sauf si – hypothèse soulevée ici -, les conservateurs remportaient une minorité «forte» s’approchant des 170 sièges nécessaires pour former un gouvernement majoritaire.
Auquel cas, s’il obtenait plus de sièges que le PLC ou le NPD respectivement, Stephen Harper pourrait être tenté de s’accrocher au pouvoir en «conseillant» au Gouverneur général de lui donner la «première chance» des trois partis pour tenter de gouverner.
C’est la possibilité que soulevait ici le politologue Louis Massicotte :
«Reste une inconnue de taille, sur laquelle les médias devraient talonner Stephen Harper au cours des prochaines semaines. Les règles constitutionnelles inédites qu’il s’est inventées postulent que seul l’électorat peut investir un nouveau gouvernement.
Logiquement, on peut donc craindre qu’il réplique à une motion de censure victorieuse en demandant la tenue immédiate de nouvelles élections, comme il a menacé de le faire en 2008. Un tel comportement irait à l’encontre de presque tous les précédents dans le Commonwealth, selon lesquels un premier ministre défait à la rentrée parlementaire suivant une élection rend son tablier sans se cramponner au pouvoir.
Le premier ministre courrait un gros risque en faisant suivre la plus longue campagne électorale de l’histoire du pays d’une nouvelle foire d’empoigne. À mon avis, le gouverneur général serait alors en droit de lui refuser cette tentative inédite de faire appel auprès des électeurs du verdict des électeurs. Mais on peut imaginer que si seulement quelques dizaines de sièges le séparaient de la majorité absolue, Stephen Harper serait tenté :
a) de clamer qu’il a gagné l’élection ;
b) de retarder de plusieurs mois l’ouverture de la session, et donc l’adoption d’une motion censurant son gouvernement, histoire de stabiliser la situation ;
c) il pourrait dire ensuite que les choses ont changé et que l’électorat doit avoir la chance de se prononcer sur qui formera le gouvernement. Reste à voir comment l’électorat réagirait à cette attitude, qui pourrait être perçue comme arrogante.
La situation actuelle est fluide. Il reste encore cinq semaines de campagne électorale (*au moment de la parution de ce texte), assez pour faire voler en éclats tous les scénarios qu’on vient d’esquisser. Souvent sous-évalués dans les sondages, les conservateurs pourraient nous étonner. Bien que la chose paraisse pour le moment improbable, un des deux autres partis pourrait se hisser nettement au-dessus de ses concurrents, peut-être même remporter une majorité.»
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Sur le plan tactique
Bref, tout cela, tous les scénarios possibles ou impossibles – ou rien de tout cela -, s’évaluera bien entendu à la lumière des résultats, des vrais résultats, de l’élection du 19 octobre prochain...
Une seule chose est sûre:
Pour le moment, sur le plan strictement tactique, les sorties de Thomas Mulcair, Justin Trudeau et Gilles Duceppe offrant chacun un «non» définitif à tout appui d'une minorité conservatrice sont l'équivalent d'un tir groupé préventif.
Un tir groupé qui vise avant tout à persuader à l'avance une partie importante de l'électorat de l'impossibilité concrète de Stephen Harper de même tenter de gouverner sans une majorité de sièges.
Leur objectif: tenter de retirer à l'avance toute légitimité politique à un tel scénario... aussi hypothétique qu'il soit, comme tous les autres, pour le moment...
À suivre...
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