Le gouvernement Harper doit des excuses au diplomate Richard Colvin. Après avoir mis à mal sa réputation aux Communes, après que les députés conservateurs l'eurent traité avec mépris lorsqu'il est venu témoigner devant le comité parlementaire sur l'Afghanistan, voilà que le ministre de la Défense, Peter MacKay, commence à lui donner raison.
Timidement, il est vrai, mais admettre, comme il l'a fait hier, que le Canada était au courant dès 2006 des risques de torture dans les prisons afghanes, et ce, notamment grâce à M. Colvin, est un véritable retournement.
C'est en tout cas mieux que le trio de généraux qui ont affirmé au même comité n'avoir rien su — ni rien voulu savoir — avant les révélations faites par le Globe and Mail au printemps 2007. L'armée, ont-ils expliqué avec fermeté et assurance (et d'autant mieux préparés que le gouvernement leur a donné accès à des documents dont est privée l'opposition!) s'occupe de faits, pas de ouï-dire. Elle s'occupe surtout de ses affaires — et celles-ci, a-t-on compris, n'englobaient pas les préoccupations de la Croix-Rouge, chargée de suivre les prisonniers afghans.
Redresser la situation était toutefois fort complexe, a précisé hier le ministre MacKay pour expliquer l'année et demie qui s'écoulera avant que le processus de transfert des prisonniers ne soit revu. Et puis, a poursuivi M. MacKay, les conservateurs arrivaient au pouvoir en 2006: «Nous avons hérité de la situation déjà en place.»
Le ministre a la mémoire sélective: sous le gouvernement libéral, le Canada divulguait au moins le nombre de ses prisonniers afghans. Les conservateurs ont dès le départ opté pour le silence et n'en ont pas dévié.
De même, le Canada n'avait pas à inventer la roue en matière de transfert de prisonniers: les armées britanniques et néerlandaises en faisaient aussi. Dans leur cas, 24 heures suffisaient pour en aviser le bureau de la Croix-Rouge à Kandahar. Du côté canadien, le délai se comptait en semaines, voire en mois. C'est que l'armée canadienne était trop occupée avec les insurgés, ont expliqué les généraux mercredi. Comme si la situation avait été plus calme du côté de nos alliés!
On comprend plutôt que le gouvernement canadien et les dirigeants militaires minimisaient tant les prétentions des détenus que l'étendue de la torture, pourtant largement documentée. Encore cette semaine, une enquête d'Oxfam menée auprès de plus de 700 Afghans nous apprend qu'un répondant sur cinq a été torturé, la moitié alors qu'ils étaient en détention!
Les Afghans vivent avec la peur, précise la troublante enquête d'Oxfam. Le témoignage de D. Y. Béchard, que nous publions aujourd'hui, conclut sur la même note. La décence pour les pays présents là-bas, c'est d'au moins s'ouvrir les yeux sur ces peurs — qui existent même dans les villages hostiles que notre armée envahit à l'aube.
Il faut encore des Richard Colvin.
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