(OTTAWA) Avant même que le scandale des dépenses du Sénat ébranle les colonnes du pouvoir à Ottawa, tapisse les unes des quotidiens du pays, fasse perdre des plumes aux conservateurs dans les sondages et provoque la colère des contribuables, Stephen Harper avait prévenu certains de ses plus proches collaborateurs du danger qui guettait son gouvernement, au pouvoir depuis 2006.
«Notre principal défi est d'éviter de tomber dans le piège de la culture de tout-m'est-dû, comme c'est arrivé aux libéraux avant nous», a lancé le premier ministre au printemps 2011 durant l'une des rencontres matinales qu'il tient avec sa garde rapprochée, selon une source conservatrice qui était présente à la rencontre.
Stephen Harper a répété cette mise en garde à plusieurs reprises depuis qu'il est au pouvoir, conscient que les gouvernements sont mis à la porte par les électeurs dès lors qu'ils confondent l'intérêt public et le leur.
De toute évidence, les sénateurs Pamela Wallin, Mike Duffy et Patrick Brazeau ont fait fi de cette mise en garde en pigeant allégrement dans les poches des contribuables pour s'offrir des voyages qui n'avaient aucun lien avec ses fonctions de parlementaire, dans le cas de Mme Wallin, et pour empocher des allocations de logement auxquels ils n'avaient pas droit dans le cas de MM. Duffy et Brazeau.
Ces trois sénateurs, nommés à la chambre haute par Stephen Harper en décembre 2008 dans le but d'aider les conservateurs à mieux vendre leur programme politique aux électeurs, font maintenant l'objet d'une enquête de la GRC. Le travail des policiers pourrait prendre quelques mois et se terminer à l'aube de la prochaine campagne électorale, en 2015, tout comme l'examen qu'entreprend le vérificateur général Michael Ferguson de toutes les dépenses des sénateurs.
Durant l'été qu'ils ont passé dans leur circonscription respective, les députés conservateurs se sont fait chauffer les oreilles par leurs électeurs en colère devant les frasques de certains sénateurs. Même au plus fort des inondations qui ont frappé la ville de Calgary, les députés albertains qui donnaient un valeureux coup de main aux sinistrés se sont fait apostropher par plusieurs au sujet du scandale des dépenses au Sénat, a-t-on indiqué à La Presse.
Les derniers mois ont été difficiles pour le gouvernement Harper. Personne dans les rangs conservateurs ne se doutait que le Sénat deviendrait un tel boulet pour le premier ministre, d'autant que le gouvernement Harper se présente depuis des années comme le champion d'une réforme du Sénat. Cette réforme - un mandat fixe de huit ans pour les sénateurs et la tenue d'élections dans les provinces où il y a une vacance au Sénat - fait l'objet d'un renvoi à la Cour suprême du Canada, lequel sera entendu du 12 au 14 novembre.
Mais Ottawa demande aussi au plus haut tribunal du pays de se prononcer sur la formule à adopter pour abolir le Sénat. Le gouvernement fédéral peut-il l'annihiler seul ou doit-il obtenir le consentement des provinces? Les neuf juges trancheront après avoir entendu les experts et les arguments des deux camps.
Chose certaine, l'idée de mettre la clef pour de bon sous la porte du Sénat gagne maintenant du terrain dans les rangs conservateurs - une situation impensable il y a 20 ans. L'idée que le Sénat doit être réformé ou disparaître est devenue le refrain du gouvernement Harper, y compris du nouveau ministre d'État responsable de la Réforme démocratique, Pierre Poilièvre. L'avenir de la chambre haute sera un des éléments du prochain discours du Trône, prévu en octobre et destiné à donner un nouveau souffle au gouvernement Harper alors qu'il entreprend la seconde moitié de son mandat majoritaire.
Depuis leur arrivée au pouvoir, les conservateurs se targuent d'être des gestionnaires prudents des fonds publics et de l'économie. Mais les dérapages au Sénat, après les mauvais calculs de 10 milliards entourant le remplacement des avions CF-18 et les 3,1 milliards à la lutte antiterroriste dont on a perdu la trace depuis 2001 ont miné la crédibilité du gouvernement Harper.
Autre facteur inquiétant pour les stratèges conservateurs, l'économie canadienne continue de vaciller, ce qui affecte les rentrées dans les coffres d'Ottawa et pourrait retarder le retour à l'équilibre budgétaire, prévu en 2015, avant les élections. Le déficit de 26 milliards de l'exercice 2012-2013 refuse de fondre, selon les données des premiers mois du présent exercice.
Résultat: Stephen Harper pourrait se présenter devant les électeurs dans deux ans en promettant à nouveau d'éliminer le déficit... et d'abolir le Sénat.
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