Débat autour du reportage de Radio-Canada au sujet de la filature avortée

Élection Québec 2012 - Filature interrompue


Comme d’autres collègues, j’ai exprimé mon malaise à l’égard du reportage de Radio-Canada au sujet de l’interruption de la filature de l’ancien dirigeant de la FTQ-Construction, Eddy Brandone, après que celui-ci ait eu une courte rencontre avec Jean Charest. Les 140 caractères d’un message Twitter ne rendant pas justice à mon point de vue, je m’explique.
En fait, ce n’est pas le reportage, qui précise bien que rien ne prouve que M. Charest y soit pour quelque chose qui me dérange. Je n’ai aucun problème non plus avec la diffusion du reportage en pleine campagne électorale. C’est plutôt la façon dont ce reportage a été présenté et résumé qui est, à mon avis, en cause.
Chaque fois que j’ai entendu la manchette à la radio de Radio-Canada mercredi, elle laissait flotter un sous-entendu. On restait avec l’impression que Jean Charest pouvait être intervenu. Prenez le bulletin de 18h00 du 8 août dernier. L’animateur lance l’histoire ainsi :

Radio-Canada a appris qu’une filature policière impliquant un ex-dirigeant de la FTQ-Construction, Eddy Brandone, a été interrompue après que cet homme fut entré en contact avec le premier ministre Jean Charest. Eddy Brandone dirigeait les finances de la FTQ-Construction au moment où Jocelyn Dupuis, au coeur d’un scandale pour dépenses excessives et liens avec la mafia, était directeur général de l’organisation. Eddy Brandone est aussi un militant de longue date du Parti libéral. L’ordre d’interrompre l’enquête policière a été donné après que la filature eut mené les policiers à une brève rencontre entre Eddy Brandone et Jean Charest lors d’une pause à une réunion où plusieurs ministres québécois et fédéraux étaient présents.

Ma première réaction et celle de mon entourage en a été une d’incrédulité. Jean Charest serait intervenu? Puis, nous avons noté qu’aucune preuve n’avait été donnée en ce sens. Mais rien dans ce texte ne le disait et je suis persuadée que bien des auditeurs ont, aux premiers abords, sauté à la même conclusion.
Sur le site web, le même jour, le texte démarrait ainsi :
Une filature policière impliquant un ancien dirigeant de la FTQ-Construction, Eddy Brandone, a été interrompue après qu’il fut entré en contact avec le premier ministre Jean Charest au lendemain des premières révélations d’Enquête sur l’industrie de la construction.

On poursuit en disant que les enquêteurs s’interrogent sur les raisons de l’interruption. On décrit les événements pour, aux sixième et septième paragraphes seulement, ajouter ceci :
Cet événement soulève des questions : qui a donné cet ordre et pourquoi y a-t-il eu cette interruption après la rencontre avec le premier ministre au milieu de la journée?
La Sûreté du Québec a refusé de commenter l’incident en disant que cette filature fait partie de la preuve policière dans le dossier de Jocelyn Dupuis. La SQ assure du même souffle que jamais il n’y a eu d’intervention politique dans cette affaire.

On fait longuement état de la réaction de Jean Charest pour offrir ensuite un résumé plus détaillé du reportage original.
Au téléjournal, le soir même, la manchette fait immédiatement état du démenti de Jean Charest, mais l’introduction du reportage qui suit ne précise pas que rien ne prouve qu’il soit intervenu. Le reportage, cependant, est très clair à ce sujet.
Il est plus qu’à-propos de diffuser des reportages d’enquête en campagne électorale, surtout s’ils offrent des informations supplémentaires sur un des enjeux clé de la course, comme ici celui de l’intégrité. Mais quand la complexité des faits peut amener les auditeurs à tirer des conclusions hâtives et que cela peut influer sur le cours de la campagne, il revient aux journalistes et aux médias de faire preuve d’une précision chirurgicale dans tout ce qui entoure la présentation dudit reportage.
Un mauvais titre, une mauvaise manchette induisent sans le vouloir une certaine lecture d’une nouvelle. Ils peuvent mener à des malentendus. Je pense que cela est survenu dans ce cas-ci, ce qui a malheureusement fait dévier le débat.
Car ce reportage fouillé en soulève plusieurs, dont un important à travers une des sources policières citées, celle qui dit :
De façon générale, il y a un principe non écrit de protection du gouvernement. Il ne faut pas laisser l’impression qu’une enquête criminelle s’approche du premier ministre.

Si tel est le cas, la Sûreté du Québec nous doit bien des explications.


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