L'enquête de Radio-Canada sur une filature que la Sûreté du Québec a interrompue immédiatement après que la personne suivie, Eddy Brandone, eut rencontré le premier ministre Jean Charest s’est transformée en procès journalistique.
M. Charest, furieux, a eu des mots très durs à l’endroit de la société d’État. Et des journalistes de renom ont évoqué publiquement leur malaise face à ce reportage, une réserve rare à l’endroit de l’équipe d’enquête de Radio-Canada.
Cette suspicion n’a qu’une source : le contexte électoral. Méfiance et élections sont intimement liées. Les personnalités publiques les plus appréciées qui finissent par faire le saut en politique ont chaque fois le choc : du jour au lendemain, leurs propos jusque-là écoutés sont remis en cause. Les journalistes le vivent aussi, chez qui les électeurs traquent le moindre biais.
Sortir en plein coeur d’une chaude lutte électorale un reportage trouble dans lequel figure le premier ministre, c’est donc jouer avec le feu. Comment peut-on oser ? Depuis mercredi soir, ce contexte a pris le pas sur le fond.
On a ainsi accusé l’équipe de Radio-Canada d’amalgames douteux. Le reportage a peut-être des lacunes, mais jamais il n’y est dit que M. Charest serait intervenu pour faire interrompre la filature de M. Brandone, militant libéral qu’il connaissait de longue date. En ce sens, M. Charest a raison de dire qu’il a la conscience en paix.
Mais affirmer que ce reportage n’aurait pas dû être fait ? Qu’il « vient distraire des vrais enjeux » ? Non, absolument non.
Le premier ministre a le pouvoir de choisir la date du scrutin. C’est ce qui lui a permis d’éviter que les élections coïncident avec la commission Charbonneau, dont les travaux vont durer des mois. Tant mieux pour lui, mais les journalistes n’ont pas à se plier à cet agenda.
D’autant que leur intérêt pour l’enquête n’est pas apparu avec la campagne électorale. Le reportage de mercredi n’est qu’un maillon de plus dans une longue chaîne qui remonte à quelques années. Les mêmes acteurs se croisent, les mêmes scénarios reviennent, et les enquêtes ne débouchent que peu ou pas : même les policiers s’en plaignent. C’est un enjeu de société majeur.
Alors savoir qu’une filature a été interrompue à l’encontre des pratiques habituelles, et ce, au moment où le personnage douteux au coeur de cette filature rencontre, dans un événement quasi privé, le premier ministre, c’est d’intérêt public.
On a stoppé la filature dans la précipitation. Qui a paniqué ? Pourquoi ? Y a-t-il un lien avec le reportage d’Enquête qui venait d’être diffusé et dans lequel apparaissait M. Brandone, ce qui rendait délicate toute discussion, même rapide, avec le premier ministre ? Ou bien la Sûreté du Québec s’autocensure-t-elle dès lors qu’un élu apparaît ? Ces questions sont légitimes. Et ce n’est pas aux journalistes qui ont enquêté qu’il faut les poser.
Élections et Enquête
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