De l'âgisme et de la haine

Douce utopie : aidez-nous.

Tribune libre


Il y a longtemps que je mûris cet article; ce commentaire; ce cri d’indignation.
L’âgisme : la discrimination basée sur un critère d’âge, est selon moi la discrimination la plus fréquente et la plus banalisée au sein de la société québécoise. En vérité, une grande partie des rouages du pouvoir et de nos lois reposent sur un abus des plus jeunes par les plus vieux.
On a commenté souvent la sous-représentation électorale de la jeunesse : en effet, les jeunes sont peu nombreux au sein de notre société vieillissante : leur poids électoral est faible mais, que dit-on de leur sous-représentation idéelle? Que dit-on de leurs intérêts et de la sauvegarde et de la promotion de leurs droits ? Silence et non reconnaissance : voilà tout.
Débutons par de l’événementiel. Un jeune mauricien se tue sur un pont, on accusera désormais son étourderie au lieu de se demander par exemple si le signe indiquant que les ponts sont glissants sous le point de congélation est clair. Pourquoi par exemple, ne pas écrire tout simplement glissant plutôt que d’afficher l’actuel signe indéchiffrable : est-ce une grenouille ? Ah non, pardons, c’est une auto qui glisse avec un thermomètre en dessous. Dans notre société, le coupable est toujours individuel. C’est sans doute vrai mais, comme à cela nous ne pouvons pas changer grand-chose, il serait à mon avis plus judicieux que, comme collectivité, nous réfléchissions à ce que nous pouvons changer au sein de nos institutions, plutôt que de partir à la chasse aux sorcières et aux coupables.
L’énergie de la jeunesse est le moteur d’une collectivité et ici, aux pays des gens dits bienheureux, la jeunesse est bafouée par toutes les institutions gouvernementales. Les double-standards expliquent en grande partie la détérioration de la condition de vie des jeunes québécois. Si le cerveau des jeunes justifie les limitations imposées à leur permis de conduire, qu’en est-il des limitations qui devraient être imposées aux individus de plus de 45 ans puisque c’est à partir de cet âge que le cerveau commence à décliner (Éric Duhaime, Journal de Montréal, 27 février 2012). Peut-être pourrions-nous songer à leur interdire la route après 9 :00 du soir et, qui sait, peut-être pourrions-nous leur imposer d’aller dormir ? Tant qu’à jouer de ridicule, jouons à deux. La loi sur la sécurité routière devenue police des mœurs n’est en plus que la pointe d’un terrible et honteux système d’exploitation.
Les jeunes, bien que légalement adultes à 18 ans, n’obtiennent pas par exemple pour autant leur émancipation fiscale à cet âge. Les revenus des parents viendront encore longtemps les hanter, notamment en matière d’aide financière aux études. Le phénomène social des jeunes de la rue est largement tributaire d’ailleurs de cette discrimination. Le mouvement étudiant veut attaquer la loi sur la sécurité routière en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés de la personne qui doit supposément garantir l’égalité de droits entre adultes au pays mais, avis aux jeunes avocats, il y a énormément d’autres lois et pratiques à faire tomber selon ce même principe. À la recherche de causes à potentiel médiatique : faites votre choix !
Quel propriétaire n’a jamais refusé un jeune qui voulait louer son premier appartement ? Et les double-statuts en matière d’emploi, par exemple entre les enseignants et les chargés de cours ? Entre les chômeurs et les nouveaux chômeurs ? Et que dire du système de compagnonnage archaïque en matière de construction que l’on traîne avec nous depuis les débuts de la colonisation française et qui est un obstacle majeur à un accès juste pour les jeunes à cette industrie ? La nouvelle loi sur le courtage immobilier qui ne garantit plus les mêmes privilèges, obligations et responsabilités aux nouveaux et aux anciens courtiers est quant à elle corporatiste et injuste à tous les niveaux.
Même la structure syndicale mise en place par les générations de la Révolution tranquille est discriminatoire. L’ancienneté est une mesure discriminatoire mais acceptée de tous ok. Pourtant, avec la sous-représentation syndicale de la jeunesse et le peu d’action des mouvements syndicaux visant à augmenter le taux de syndicalisation global au Québec, il est clair que le syndicalisme québécois est lui aussi une institution agîste. On en a que pour les aînés dans le discours public, les médias participent donc eux aussi de l’âgisme envers la jeunesse. En vérité, même les mœurs des gens sont ici moulées à cette forme de discrimination. Le Québec est une terre qui applique à toutes les sauces la discrimination selon l’âge.
Le Québec s’indigne de l’absence de jambon dans les cabane à sucre pour plaire aux musulmans, le Québec s’indigne du voile ou le défend au nom de la liberté de religion alors qu’il ne sait même pas ce que cela veut dire, le Québec s’indigne dès que le mot race est prononcé, le Québec s’indigne quand les gros sont bousculés, le Québec s’indigne des bagarres et de l’intimidation dans les cours d’écoles, le Québec s’indigne des menus dans les CPE et les CHSLD, le Québec s’indigne du traitement réservé aux phoques, le Québec s’indigne pour ses fonds de pension, le Québec s’indigne pour les valeurs boursières mais, non seulement le Québec ne s’indigne pas des abus que subissent les jeunes il semble s’en nourrir.
Ayant en tête toutes ces réflexions au sortir d’un cours de droit particulièrement révoltant, je m’arrête dans un magasin de sport et je capte une conversation entre deux jeunes commis qui me trouble profondément. La jeune toute en naïveté mais lourde de tant de tant de vérité de dire : ‘coudonc, y nous haït tu les jeunes ou quoi Charest’ ? Ancienne pédagogue je n’ai pu m’empêcher d’échanger quelques mots avec eux. Je leur ai suggéré d’écrire une lettre d’opinion parce que ce qu’ils avaient à dire est très important. Voilà ce qu’ils m’ont répondu : cela ne changera absolument rien et, malgré tous mes arguments, je n’ai pas pu la convaincre de prendre part au débat public. Et on se demande ensuite pourquoi les jeunes décrochent socialement, pourquoi ils sont individualistes, pourquoi ils n’en ont rien à faire du politique ? Nommez-moi une seule réforme qui fut positive pour la jeunesse et je changerai mon fusil d’épaule mais, il n’en sera rien parce qu’il n’y en a pas.
De plus en plus sceptique quant aux motivations réelles du gouvernement Charest, je me suis alors prise à penser : en fin de compte, peut-être qu’elle a raison : notre gouvernement éprouve et affiche sans doute vraiment de la haine envers les jeunes. En fait, ce gouvernement ne fait avec les jeunes que ce qu’il fait avec tout le monde : ce gouvernement n’est qu’un voleur de haut niveau. La question devient alors : comment répondre et désamorcer la haine ? Comment empêcher l’abus, l’appropriation injuste du travail d’autre, bref, le vol. Ouf ! Rien n’est moins simple. C’est la question la plus ancrée dans la nature humaine qui puisse exister. Pourquoi les hommes haïssent-ils leur prochain ? Pourquoi se font-ils la guerre; la violence ? Pourquoi marchent-ils les uns sur les autres ? La question a beau être posée, la réponse ne s’impose pas pour autant. La réponse est complexe et le fond de la question est peut-être insoluble mais j’avancerai tout de même une hypothèse. La jalousie et l’obtention de richesse et d’avantages sont sans doute ici en cause. Le système québécois qui se perpétue sur le dos de la jeunesse répond à un refus de la passation des pouvoirs, de la mort et de la vieillesse au sein des générations nées dans les trente glorieuses et à un avarisme maladif des mêmes générations.
Le cœur me lève au sortir de ces quelques pages parce que j’ai l’impression que mon objectif n’est pas atteint. Il y a tellement d’abus envers les jeunes qu’il devient difficile de tout dénoncer en un seul texte; de tout dire ce qui est passé sous silence depuis si longtemps. Il y aurait tellement d’abus à ajouter à cette liste sommaire que je ne ferais qu’ajouter à la confusion d’un propos difficile à synthétiser parce que pesant de conséquences si je poursuivais ma nomenclature.
J’en appelle malgré tout à tous les lecteurs : posez un geste, dans vos milieux et urgemment pour défendre les droits de la jeunesse. Aînés conscients et justes, jeunes qui trop souvent se taisent malgré la révolte qu’ils tentent tant bien que mal de dominer pour prendre leur place dans la société : agissez, écrivez, dénoncez … afin que bientôt nous puissions regarder nos enfants en face et leur dire, le monde qui t’a précédé te réclame, te respecte et a besoin de toi. Douce utopie : aidez-nous.


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2 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    2 juin 2012

    Je me suis tu tous ces jours, occupée à lire, à écouter, à réfléchir sur la situation des étudiants et les conséquences de toute cette tempête qu'a provoquée un gouvernement obstiné à avoir le dernier mot. Charest incarne parfaitement le rôle de l'Abuseur de cette jeunesse conscientisée, brave, créative et déterminée. Lorsque j'écoute les représentantEs des étudiants,j'admire leurs connaissances, leur manière de s'exprimer, leur calme (que je ne saurais posséder!). Celui que l'on prénomme "le Renard" s'est piégé lui-même en croyant que ces jeunes "loups" rentreraient la queue entre les jambes avec la peur du bâton dès les premiers jours.
    Si ce n'était pas si enrageant ce serait risible d'entendre les sempiternels mots du Premier ministre, toujours les mêmes mots vides, une ritournelle ennuyeuse et creuse au possible qui a perdu tout sens. Quel soulagement d'entendre les mots frais, vigoureux des jeunes combattants. Oui, ils sont des combattants et à les entendre, la langue française est honorée. Je suis surprise de constater qu'ils sont peu nombreux chez les plus âgés, les "politiciens", à s'exprimer aussi facilement. Je me trompe peut-être mais je ne retrouve un bon et beau langage comme celui-là que chez les têtes blanches de près de quatre vingts ans (et plus) ! Quelle génération a été sabordée?(Rires)
    Dans la vingtaine et ça nous en bouche un coin!
    Voilà pourquoi il y a de la haine, de la jalousie, de la frustration. Charest a montré du mépris. Ensuite, a essayé de se reprendre en répétant comme un perroquet les mots soufflés par son Maître...Il courtise les "vieux" bornés et frustrés qui haïssent les jeunes.Qui ne comprennent rien de rien aux discours social et à tout ce qui est sur le bord d'être perdu dans notre société.
    Maintenant,j'ai espoir que les jeunes iront voter.

  • Archives de Vigile Répondre

    2 juin 2012

    En ce qui me concerne, cela n'a jamais fait le moindre doute dans mon esprit et le mouvement étudiant me le confirme.
    Nous sommes, ma femme et moi et les membres de notre famille élargie, derrière les étudiants à 100%.
    Tout cela évidemment en faisant une nuance de taille : dans toutes les générations, il y a des idiots, des imbéciles, des fachos et des racistes.
    Pierre Cloutier