Je ne suis pas de ceux qui ont un problème avec la présence du crucifix à l’Assemblée nationale. Non pas que j’en fasse une religion, sans mauvais jeu de mots. Si on le décrochait, je n’en ferais pas un drame. Mais le fait est qu’il y est, et qu’une majorité de Québécois y est attachée.
Et contrairement à ce que soutiennent ses détracteurs, il représente moins une alliance imaginaire entre l’État et l’Église qu’un simple rappel, au cœur de nos institutions, de notre vieux passé canadien-français qu’on a tendance à réduire à une grande noirceur.
Histoire
En fait, j’y vois un symbole de continuité historique. Il nous rappelle que le présent n’épuise jamais complètement notre réalité et que le passé nous habite encore d’une manière ou d’une autre.
Il rappelle par ailleurs notre inscription dans l’histoire de la civilisation occidentale. Ce message est capital pour les communautés issues de l’immigration qui doivent savoir dans quel monde elles évolueront.
Il n’y a pas d’incohérence collective entre le maintien du crucifix là où il est et la promulgation d’une Charte de la laïcité. Car la laïcité n’a pas pour vocation d’abolir tout ce qui la précède et de javelliser notre univers identitaire.
En fait, nous mettrions simplement en place une laïcité cohérente avec notre histoire. Une identité collective s’alimente à plusieurs sources. D’ailleurs, la formule « catho-laïque » est moins injurieuse qu’on ne le croit. Comme j’aime dire, avec la Révolution tranquille, nous avons heureusement relégué le catholicisme à l’arrière-fond de la vie publique, mais nous n’avons jamais décidé de changer d’arrière-fond.
Toutefois, je le reconnais sans gêne, on peut être favorable au maintien ou au retrait du crucifix de l’Assemblée nationale. Les deux positions se défendent. Car l’essentiel est ailleurs. On ne doit pas accepter que cet enjeu serve de diversion politico-médiatique pour diviser contre elle-même l’immense majorité de Québécois favorables à une interdiction des signes religieux ostentatoires pour les personnes en situation d’autorité.
L’essentiel, c’est la mise en place d’une Charte de la laïcité : autour de cela, le consensus est fort. Nous aurons toujours l’occasion de nous chamailler sur le crucifix ensuite.
Petite observation historique : les Québécois ont une capacité exceptionnelle à se perdre dans ce qu’Honoré Mercier appelait des luttes fratricides. Au moment de la Révolution tranquille, l’immense majorité était favorable à la refondation politique du Québec. Les uns voulaient l’indépendance, les autres la société distincte. Tous rejetaient la subordination du peuple québécois dans le Canada. Mais ce sont les trudeauistes qui ont gagné en profitant de nos divisions.
Diversion
Cette fois, on assiste à la même chose, à plus petite échelle, autour de la question de la laïcité. Allons-nous vraiment renoncer à cette avancée collective parce que certains tiennent au crucifix et d’autres pas ? Allons-
nous permettre aux multiculturalistes de l’emporter parce que le camp nationaliste, favorable à la laïcité, n’est pas capable de surmonter ses divisions ?
Ce qui nous manque, comme peuple, c’est une capacité de résister aux stratégies de diversion qui nous condamnent à l’impuissance.