Ankara somme Moscou et Téhéran d'"assumer leurs responsabilités" et demande à Damas de mettre un terme à son offensive dans la province rebelle d'Idleb.
La Turquie a demandé mercredi à la Russie et l'Iran d'"assumer leurs responsabilités" en stoppant une offensive du régime syrien contre une province rebelle, signe de tensions croissantes entre les parrains des belligérants avant de nouveaux pourparlers.
Moscou et Téhéran, qui soutiennent Damas, "doivent assumer leurs responsabilités" en faisant pression sur le régime syrien pour qu'il arrête son offensive dans la province d'Idleb (nord-ouest), a déclaré le chef de la diplomatie turque Mevlüt Cavusoglu.
La Turquie, qui coopère étroitement avec la Russie sur le dossier syrien, a fait monter la pression ces derniers jours, à mesure que les forces de Damas intensifiaient leurs bombardements à Idleb.
Les observateurs redoutent qu'une escalade de la violence ne provoque une nouvelle catastrophe humanitaire dans cette province frontalière de la Turquie et dont la population a gonflé depuis plus d'un an, avec l'arrivée de déplacés internes.
Ces tensions jettent un voile d'incertitude sur la réunion que le président russe Vladimir Poutine espère tenir les 29 et 30 janvier dans la station balnéaire de Sotchi pour trouver une issue au conflit syrien qui a fait plus de 340.000 morts depuis 2011.
Dans un froncement de sourcils inédit depuis des mois, les autorités turques ont convoqué mardi soir les ambassadeurs de Russie et d'Iran à Ankara pour leur communiquer leur "gêne" face aux bombardements du régime syrien. Le régime syrien mène depuis le 25 décembre une offensive pour reconquérir le sud-est d'Idleb, seule province qui lui échappe entièrement et est aujourd'hui contrôlée par Hayat Tahrir al-Cham, un groupe jihadiste dominé par l'ex-branche locale d'el-Qaëda.
"Si vous êtes les parrains, ce qui est le cas, vous devez stopper le régime", a lancé M. Cavusoglu à l'adresse de Moscou et Téhéran, dans un entretien à l'agence de presse étatique turque Anadolu.
Avant la réunion prévue à Sotchi, un nouveau round de discussions sous l'égide de l'ONU doit se tenir à Genève à partir du 21 janvier.
Humeur de Moscou
En parallèle, Moscou a rappelé Ankara à l'ordre en demandant à l'armée turque de mieux contrôler les rebelles soutenus par la Turquie à Idleb, après une attaque à l'aide de drones contre des bases russes en Syrie. Cité mercredi par le journal Krasnaïa zvezda, le ministère russe de la Défense a indiqué avoir demandé aux chefs de l'état-major et du renseignement turcs d'"empêcher des attaques similaires de drones", affirmant que les appareils utilisés avaient été lancés depuis Idleb.
Après une grave crise diplomatique provoquée par la destruction en novembre 2015 d'un bombardier russe par l'aviation turque, Ankara et Moscou ont réchauffé leurs relations. Mais de profonds désaccords subsistent, notamment sur le sort de Bachar el-Assad, que le président turc Recep Tayyip Erdogan a qualifié le mois dernier de "terroriste".
Alors que les préparatifs en vue du congrès intersyrien de Sotchi se poursuivent, le chef de la diplomatie russe Sergueï Lavrov a reçu mercredi à Moscou son homologue iranien Mohammad Javad Zarif, les deux responsables soulignant l'importance de ces pourparlers.
Ce processus laisse toutefois nombre d'observateurs sceptiques : "La Russie aura du mal à apporter une solution politique. Sotchi a déjà échoué à se concrétiser deux reprises, et il y a un manque de clarté sur la participation", note ainsi un diplomate européen.
Ankara refuse notamment toute invitation des groupes kurdes syriens PYD et YPG à Sotchi, une position réitérée mercredi M. Cavusoglu.
100.000 déplacés
Les tensions s'expliquent principalement par les intérêts divergents que poursuivent les trois pays garants en Syrie, souligne l'expert russe Alexeï Malachenko. Cependant, déclare l'expert à l'AFP, "personne n'a intérêt à une rupture définitive (...) Tous les trois ont intérêt à un consensus".
La situation à Idleb est scrutée à la loupe par la Turquie, qui a déployé des troupes dans cette province syrienne frontalière pour y installer des postes d'observation dans le cadre de la création de "zones de désescalade" négociées par Moscou, Ankara et Téhéran.
La Turquie, pays qui accueille quelque trois millions de déplacés syriens, redoute en outre un afflux de réfugiés sur son territoire si l'offensive de Damas devait s'amplifier.
Près de 100.000 civils ont été déplacés dans la province d'Idleb depuis le 1er décembre, selon le Bureau de l'ONU pour la coordination des affaires humanitaires, qui évoque une "situation extrêmement chaotique".