Les petits enfants vont bientôt devoir se présenter à la garderie équipés de leur boîte à lunch.
Des CPE s’apprêtent à renoncer à servir des repas aux enfants, conséquence directe des nouvelles coupes budgétaires de 74 millions $ infligées au réseau des garderies dans le dernier budget Leitao.
En entrevue à La Presse Canadienne, mardi, le directeur général de l’Association québécoise des centres de la petite enfance (AQCPE), Louis Sénécal, a été formel: en raison des nouvelles compressions imposées par Québec, les services aux enfants seront touchés directement et réduits.
À terme, c’est la vocation éducative du réseau qui paraît en jeu.
Depuis la publication du budget jeudi dernier, c’est le branle-bas de combat dans le réseau des services de garde. Les dirigeants de CPE sont atterrés et résignés à faire des choix déchirants, selon M. Sénécal.
«Les gens qui m’appellent, c’est pour me dire que déjà ils ont pris des décisions de couper dans les repas», assure M. Sénécal, lors d’une longue entrevue téléphonique durant laquelle il exprime le ras-le-bol du réseau.
Normalement, le coût de la place en service de garde subventionné inclut le repas du midi et des collations santé servis aux enfants. Parfois, aussi, le petit-déjeuner.
Tout cela est remis en question.
Depuis vendredi, l’AQCPE consulte ses membres pour décider comment conjuguer avec la nouvelle ponction de 74 millions $ annoncée par le ministre des Finances dans son budget 2015-2016.
Le lendemain de l’annonce, la ministre de la Famille, Francine Charbonneau, a lancé un ultimatum au réseau: elle lui a donné trois jours pour choisir entre quatre scénarios de coupes, jugés tous plus catastrophiques les uns que les autres par les premiers intéressés.
Selon M. Sénécal, l’ultimatum de la ministre survient après toute une série de décisions (dont le changement du mode de financement avec des hausses de tarif, l’imposition de sanctions financières pour les «places fantômes» et d’autres coupes de 129 millions $ l’an prochain) qui trahissent la volonté du gouvernement libéral de «démembrer petit à petit» le modèle de services de garde éducatifs construit depuis une vingtaine d’années au Québec.
Il ne s’agit donc plus de gratter les fonds de tiroir pour faire des économies, mais de constater que le gouvernement semble déterminé à changer la nature même des services offerts par l’État, selon lui.
La marge de manoeuvre financière des CPE est pratiquement inexistante, explique-t-il, l’essentiel des budgets allant aux salaires. Pour couper, il reste les services aux enfants, qui devront être revus à la baisse.
Conséquence: le volet «éducatif», à la base même du projet des CPE, «on oublie ça», pour devoir se contenter d’«occuper» les enfants, déplore M. Sénécal, dans une sortie sans précédent. «Pour ce gouvernement-là, c’est des services de garde, c’est pas des services éducatifs.»
Le service de garde éducatif semble donc être désormais associé à un produit de «luxe», un luxe qu’on ne peut plus s’offrir au Québec.
Le modèle privilégié par Québec serait plutôt celui des garderies privées non subventionnées, soutient le dirigeant de l’AQCPE.
Il en veut pour preuve que depuis l’arrivée des libéraux au pouvoir, le réseau des garderies privées non subventionnées connaît une croissance «exponentielle», de 2004 à 2014, avec un nombre de places qui a bondi de 1907 à 46 641.
«Vous savez qu’il y a deux candidates libérales _ dont Marie-Claude Collin, candidate dans Blainville et présidente de la Coalition des garderies privées non subventionnées _ qui ont perdu leurs élections, mais qui sont propriétaires de garderies non subventionnées», commente M. Sénécal.
En appui à sa thèse, il note qu’au moment où le gouvernement est en train de revoir tout le régime fiscal des Québécois, «il n’y a jamais eu l’ombre du début d’une réflexion» au ministère des Finances pour remettre en question le demi-milliard de dollars de crédits d’impôt versés annuellement aux parents dont les enfants fréquentent les garderies privées non subventionnées, tandis que le gouvernement «s’acharne» sur les CPE, de toutes les manières possibles.
«Il n’y a aucun contrôle, aucune imputabilité» demandée aux garderies privées non subventionnées, dénonce-t-il.
Dans une garderie non subventionnée, le parent doit accepter de payer un prix élevé, mais il a droit à la fin de l’année à un crédit d’impôt qui rend le coût du service équivalent à celui offert en CPE.
L’opposition péquiste est aussi d’avis que le budget Leitao favorise les parents qui fréquentent la garderie non subventionnée. En se basant sur le «bouclier fiscal» inscrit dans le budget (qui vise à éviter une perte de revenu résultant d’une hausse de salaire entraînant un nouveau taux d’imposition), le PQ a calculé que les parents ayant choisi le CPE au lieu de la garderie non subventionnée seraient pénalisés sur le plan fiscal.
Pendant ce temps, les relations entre le réseau _ tant des CPE que des garderies privées _ et la ministre Charbonneau ne cessent de se détériorer. «Il y a de la colère, c’est clair», résume M. Sénécal.
Les ponts étaient coupés depuis que les CPE et les garderies privées avaient demandé sa démission en février. Récemment, la ministre avait fait une tentative de réconciliation en créant avec eux un groupe de travail sur les places fantômes. Mais depuis les nouvelles coupes, le réseau semble plus désillusionné et désabusé que jamais, selon M. Sénécal.
La ministre, qui a pris l’habitude de se tenir à bonne distance des médias, a refusé une demande d’entrevue.
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