LES BÂTISSEURS DE L’AN I

Chapitre 5 : Autopsie d’une victoire

Chronique de Richard Le Hir

LES BÂTISSEURS DE L’AN I

par Richard Le Hir

(Tous droits réservés – Septembre 2010)

Toute reproduction, traduction ou adaptation, en tout ou en partie, par quelque procédé que ce soit, est strictement interdite sans l’autorisation écrite préalable de l’auteur.

Et si… http://www.vigile.net/Et-si,30649

[_ Chapitre 1 http://www.vigile.net/Chapitre-1-La…
_ Chapitre 2 http://www.vigile.net/Chapitre-2-Le…
_ Chapitre 3 http://www.vigile.net/Chapitre-3-Ge…
_ Chapitre 4 http://www.vigile.net/Chapitre-4-Panique-au-Canada->rub1191]

***

Chapitre 5 : Autopsie d’une victoire

24 juin 201…, 17h45

À peine l’hélicoptère s’était-il déposé sur la l’immense pelouse de la maison de sa sœur sur le bord de la Rivière des Prairies que ses collaborateurs restés à Montréal et quelques membres de sa famille entourèrent le premier ministre Cardinal. À voir son air grave, ils comprirent tous que l’heure n’était pas aux effusions.

Lorsque le « wop-wop-wop » si caractéristique des hélicoptères se fut enfin tu, Cardinal se tourna vers Jean Vallières pour lui dire :

- Il faut convoquer un conseil des ministres spécial jeudi matin et réunir le caucus en après-midi. Interdiction formelle aux ministres et députés de faire le moindre commentaire sur les événements d’aujourd’hui et sur la suite des choses avant ces rencontres.

- Éminence, pour les députés, ça risque d’être difficile de les réunir tous. Ils ont la campagne référendaire « dans le corps » et s’imaginent pour la plupart être en vacances.

Quant aux ministres, s’ils s’attendaient à une réunion du conseil mercredi prochain, y vont trouver ça « rough » de devoir se rendre à Québec dès demain. Y’en a même quelques uns qui risquent de ne pas être beaux à voir.

Cardinal comprit tout de suite de qui son adjoint voulait parler. Tout parti politique portait son lot de bois mort. Mais les députés étaient élus par le peuple, et non choisis par une agence de ressources humaines. Quant aux ministres, ils avaient beau être choisis par le premier ministre, ils étaient recrutés parmi les députés, et l’obligation d’assurer une représentation équitable des diverses régions et tendances au sein du parti réduisait singulièrement sa marge de manœuvre. Cardinal avait d’ailleurs eu quelque fois l’impression, depuis son élection à la tête du parti et du gouvernement, d’être à la barre d’une nef des fous.

- Il faut ce qu’il faut. La victoire au référendum nous impose de nous montrer immédiatement à la hauteur du choix que les Québécois viennent de faire. Les réjouissances et les vacances viendront plus tard. »

Cela dit, Cardinal comprenait que si le choix du 23 juin pour tenir un référendum avait comporté certains avantages en termes de mobilisation et de ferveur patriotique, il fallait maintenant en vivre les inconvénients. Mais il ne put retenir un mince sourire à la pensée espiègle qui l’avait tout à coup envahi : les anglais doivent-tu nous haïr !

Voyant son visage se détendre, le groupe qui l’entourait comprit que, maintenant que les ordres avaient été donnés, il serait enfin possible de savourer le plaisir de la victoire, et c’est bras dessus bras dessous qu’ils regagnèrent tous la terrasse pour s’asseoir tranquillement, deviser amicalement et profiter enfin de cette magnifique journée.

Jean Vallières, qui s’était rapidement éclipsé après avoir reçu ses instructions, rappela dans le courant de la soirée :

- Nous n’aurons pas le choix de tenir une conférence de presse demain matin à 11h. Le bureau est assailli de demandes d’entrevues en provenance du monde entier. Les médias québécois sont également après nous.

- Bon. Ça, c’était prévisible. On fait ça où ?

- Bonne question. En principe, il faudrait faire ça à Québec. C’est tout de même la capitale, et il serait important de signaler dès le départ que c’est maintenant à Québec que ça se passe. Et puis, vous connaissez la susceptibilité des habitants de Québec. Par contre, c’est sûr que la presse internationale préfèrerait que ça se fasse à Montréal. Si on fait ça à Québec, ils ne la trouveront pas comique.

- On n’a pas véritablement le choix, trancha Cardinal. Ce sera Québec. Tout le monde va être bousculé. La saison touristique bat déjà son plein et la perspective de la victoire référendaire a déjà attiré une foule record. Québec va commencer à comprendre ce que ça veut dire d’être une vraie capitale nationale, et non pas seulement une capitale provinciale. Au fait, comment les choses se passent-elles à Québec depuis l’annonce de la victoire du Oui ?

- On me dit qu’il flotte une espèce d’incrédulité dans l’air. Tout le monde a fêté, mais pas avec le même sentiment de libération qui était presque palpable à Montréal.

- C’est sûr que la victoire a une symbolique beaucoup plus forte à Montréal. Les francophones y ont davantage le sentiment de reprendre le contrôle non seulement de leur ville, mais aussi de leur destin collectif. De toute façon, lorsque les gens de la région de Québec vont comprendre la vitesse à laquelle ils vont se mettre à profiter de la nouvelle situation, ils vont réaliser à quel point ils se sont tirés dans le pied pendant si longtemps.

Dans un an, il n’y en aura plus un seul qui osera même avouer avoir voté Non.

C’est le genre de réflexion dont Vallières n’avait cure. Ça ne l’avançait pas d’un pouce dans ce qu’il avait à faire. Sa responsabilité à lui, c’était l’immédiat et l’intendance, pour faire en sorte que le nécessaire se produise.

- OK. On passe vous prendre à 8h demain matin.

Et c’est ainsi que le premier ministre Jean-Jacques Cardinal put enfin jouir de quelques heures de répit après être parvenu à inscrire le Québec sur la trajectoire qui allait enfin en faire un pays.

On quittait le champ des hypothèses pour entrer dans celui des certitudes. À partir de maintenant, tout allait être déterminant. Et la marge d’erreur était mince, peu importe l’angle sous lequel on abordait le problème. Sur le plan politique comme sur le plan économique ou le plan social, le moindre dérapage pouvait avoir des conséquences catastrophiques.

Mais tout cela avait été décortiqué, analysé, soupesé, mesuré et pondéré, tant au gouvernement depuis l’arrivée au pouvoir de Cardinal qu’auparavant dans les multiples officines qui avaient commencé à éclore vers la fin des années 2000 et qui avaient produit des dizaines d’études et de rapports sur tous les aspects de la démarche du Québec vers son indépendance.

Au cours de la dernière année, le premier ministre Cardinal et son conseil restreint avaient mis la dernière main à la préparation de leur plan d’action pour l’indépendance, et ils avaient passé l’essentiel de leur temps à en communiquer les aspects les plus susceptibles de convaincre la population que l’indépendance était désormais le choix le plus avantageux pour le Québec et pour elle.

Il faut dire qu’ils avaient été bien servis par la conjoncture. Depuis le début de la décennie déjà, l’économie mondiale était entrée dans une phase de croissance extrêmement lente et peinait à se remettre des excès qui avaient occasionné la crise financière de 2007 et 2008. Le Canada ne faisait pas exception à la règle, même s’il était parvenu à tirer honorablement son épingle du jeu au début.

Mais aucun pays, aussi fort soit-il, n’était capable de résister aux effets débilitants et dévastateurs d’une longue période de croissance économique nulle ou quasi nulle, et cela faisait déjà sept ans que cette situation perdurait. Quant à l’économie canadienne en particulier, elle avait été frappée de plein fouet par l’effondrement du secteur manufacturier de l’Ontario, trop dépendant de l’industrie automobile américaine et d’un dollar canadien faible.

Lorsque la demande américaine avait chuté et que le dollar canadien s’était mis à grimper jusqu’au point d’atteindre d’abord la parité avec le dollar américain puis ensuite à le surpasser considérablement en valeur à compter de la forte dévaluation du dollar américain en 2011, l’Ontario s’était retrouvée exsangue, et elle n’était pas parvenue à se redresser depuis.

Au contraire, misant sur une reprise rapide de l’économie en 2010, l’Ontario avait négligé d’adapter son train de vie à ses nouvelles capacités financières, et ses finances publiques affichaient désormais, et de loin, le pire bilan de toutes les provinces du Canada, et hypothéquait très lourdement la capacité du gouvernement fédéral d’intervenir dans l’économie canadienne.

Misant un temps sur les sables bitumineux de l’Alberta pour compenser le manque à gagner de l’Ontario, le gouvernement fédéral avait dû rapidement conclure que la baisse de la demande américaine consécutive à la baisse de son dollar et à la hausse correspondante du prix des produits pétroliers aux États-Unis conjuguée à l’intensification des critiques à propos des problèmes environnementaux associés à l’exploitation des sables bitumineux affectaient considérablement les scénarios de revenus en provenance de cette source qui jamais ne parviendrait à prendre la place du secteur manufacturier ontarien qui avait été la vache à lait du fédéralisme canadien pendant près de 60 ans, soit depuis la fin des années 1950 jusqu’à la fin de 2008.

Le tournant était survenu en 2009 lorsque l’Ontario avait pour la première fois commencé à recevoir des paiements de péréquation, et en l’espace de trois ans ceux-ci avaient grimpé à des niveaux faramineux, amenant une réduction des paiements à l’ensemble des provinces, et notamment au Québec qui non seulement devait assumer sa part de la baisse générale du fait de la capacité moindre du gouvernement fédéral, mais en plus une baisse de sa part relative du gâteau due à l’augmentation de celle de l’Ontario.

En l’espace de quelques mois au début de 2011 était apparue toute la réalité du nouveau portrait du fédéralisme économique canadien avec son cortège de nouvelles tensions entre les différentes régions du pays. Et la situation n’avait fait qu’empirer au cours des années suivantes, chaque province bénéficiaire du système tentant de préserver sa part des miettes d’un gâteau de plus en plus inexistant. Autant il avait été facile de redistribuer la richesse pendant cinquante ans, autant il s’était révélé difficile de répartir la misère depuis les trois dernières années. Et à chaque année qui passait, le fédéralisme prenait une volée de plomb de plus dans l’aile.

Sur le plan politique, les nouvelles réalités économiques n’étaient pas sans conséquence. Jamais la voix du gouvernement fédéral n’avait-elle porté aussi peu. Au point même que Bay Street avait à quelques reprises éprouvé le besoin de mettre le pays en garde contre le danger des tendances centrifuges qui menaçaient de plus en plus l’intégrité politique du pays.

Certains groupes, comme le Conference Board, étaient même allés jusqu’à suggérer que le moyen pour le Canada de régler définitivement cette question était de renoncer au fédéralisme pour se doter d’une structure unitaire. Comme ça, finies les provinces, et finie la menace sécessionniste du Québec. Le Canada pourrait alors vaquer à ses occupations en toute sérénité.

Il va sans dire que cette proposition avait été très bien reçue en Ontario, au Manitoba, au Nouveau-Brunswick, en Nouvelle-Écosse et à l’Île-du-Prince-Édouard. Elle avait par contre été fortement critiquée non seulement au Québec, ce qui était tout à fait prévisible, mais aussi à Terre-Neuve, ce qui l’était moins, en Saskatchewan, en Alberta et en Colombie-Britannique.

À l’exception du Québec qui s’y opposait essentiellement pour des raisons de survie identitaire, les autres provinces y voyaient un moyen pour Ottawa et Toronto de contrôler leur développement économique, l’exemple vécu par l’Alberta dans les années Trudeau au moment de l’adoption de sa politique énergétique nationale servant d’épouvantail.

Les forces qui préconisaient cette solution pour le Canada avaient été encouragées un moment par l’extension à l’Iran du conflit au Moyen-Orient et par la décision du gouvernement fédéral de suivre la position des États-Unis et de l’Europe dans cette voie.

Pour le grand capital, non seulement l’extension du conflit au Moyen-Orient était-elle un moyen de réactiver les économies des pays développées qui étaient sous sa coupe, elle était également un moyen pour les gouvernements en place qu’il contrôlait pour la plupart, de faire taire les voix dissidentes qui menaçaient de plus en plus l’ordre établi en utilisant des moyens non disponibles en temps de paix. Commode le prétexte de la guerre pour rallier à l’ordre établi les brebis égarées, même s’il fallait au besoin les bousculer un peu pour les faire rentrer dans le rang.

Fort heureusement pour le Québec, ce « beau programme » avait échoué. Non seulement les protestations au Québec avaient-elles atteint un niveau de véhémence jamais connu, mais en plus la position du gouvernement fédéral était-elle déjà trop affaiblie lorsque cette proposition fut mise sur la table.

Pour avoir une chance d’être applicable, il aurait fallu qu’elle survienne quelques années plus tôt, avant la déroute financière de la fin des années 2000. Et il faut dire que la succession de gouvernements minoritaires à Ottawa depuis l’entrée du Bloc Québécois dans le jeu politique fédéral après l’échec de l’Accord du Lac Meech au début des années 1990 n’avait pas permis au gouvernement fédéral d’avoir une base politique suffisamment stable pour repenser autrement l’avenir du pays.

Au Québec, les quelques dernières années avaient été très mouvementées sur les plans politique et social.

Le Parti Libéral avait été emporté par les révélations de la Commission d’enquête sur le crime organisé qui avait finie par être mise sur pied pour tirer au clair toutes les affaires de corruption mises au jour par les médias au cours de 2009 et 2010.

L’ADQ s’était effondrée, et Force Québec n’avait jamais dépassé le stade du projet, l’envenimement de la conjoncture économique au début de 2011 ayant rapidement démontré que les solutions de droite ne pouvaient pas constituer une réponse adéquate à l’ampleur des nouveaux défis sans accepter de jeter des centaines de milliers de personnes à la rue sans la moindre protection. Ce qui était vrai au Québec l’était également ailleurs, et 2011 avait été pour le monde entier l’année de cette révélation.

Empêtré dans les contradictions issues de son passé et le manque d’envergure et de vision de son leadership, le PQ avait été rapidement débordé par toutes les factions indépendantistes qui s’étaient réactivées au début de 2010 lorsqu’il était devenu évident qu’un nouveau créneau venait de s’ouvrir pour réaliser l’indépendance. Malgré l’élection au pouvoir d’un gouvernement péquiste et le déclenchement d’une enquête sur le crime organisé, la « mayonnaise » ne prenait pas, et le PQ ne parvenait pas à dominer le jeu politique au Québec malgré la faiblesse de ses adversaires.

C’est dans ce contexte extrêmement mouvant que diverses personnalités du mouvement indépendantiste de toutes les tendances avaient fini par conclure à la nécessité de mettre sur pied un nouveau parti politique et d’en confier la direction à Jean-Jacques Cardinal qui venait de s’illustrer si brillamment à la tête de la Commission d’enquête sur le crime organisé.

L’homme était brillant, cultivé, sûr de lui non pas par arrogance, mais par une force intérieure que ressentaient tous ceux qui l’approchaient. Il avait une expérience très diversifiée et effectué quelques séjours à l’étranger en plus d’être un habile négociateur et de maîtriser parfaitement l’anglais, ce qui serait une exigence incontournable pour négocier la sécession du Québec à des conditions les plus avantageuses possibles.

Au cours de la Commission d’enquête, il s’était montré fin tacticien et brillant communicateur. Il n’avait pas son pareil pour synthétiser une situation et faire ressortir les forces et les faiblesses de tout argument. À la suite d’une conférence qu’il avait donnée devant la Chambre de commerce de Québec, il avait eu à répondre à une série de questions de l’auditoire qui l’avait écouté dans un silence religieux.

Alors que les caméras des médias étaient braquées sur elle, une personne avait préfacé sa question par le commentaire suivant : « Monsieur Cardinal, c’est toujours extrêmement agréable de vous écouter, même lorsque vous abordez des sujets complexes et sérieux. Vous nous faites nous sentir intelligents ! » Ce commentaire correspondait tellement au sentiment généralisé qui se dégageait de l’auditoire qu’il avait été abondamment repris par les médias et avait contribué à asseoir presque instantanément sa notoriété et sa popularité.

La suite des choses s’était déroulée comme dans un rêve. Le parti du renouveau du Québec avait été formé, il en avait été élu le chef, et il avait entrepris des démarches auprès des autres partis pour tâcher de les rallier. Dès le départ, il avait précisé que son but était de faire l’indépendance du Québec, car aucune autre option n’offrait à ses yeux de meilleures perspectives pour son avenir. Le Québec avait toutes les ressources nécessaires, que ce soit sur le plan des compétences, des richesses naturelles, ou de celui de sa capacité économique et financière. Il jouissait d’une position géographique extrêmement avantageuse, et il ferait rapidement l’envie du monde entier.

Il le disait avec une conviction si sincère et intime que tout interlocuteur ne pouvait que partager cette conviction. Il était d’ailleurs très conscient de son pouvoir de persuasion et s’était toujours astreint à ne l’utiliser que lorsqu’il s’était lui-même préalablement convaincu de ce qu’il affirmait, en se disant que tout interlocuteur parviendrait immédiatement à percevoir le moindre de ses doutes s’il fallait qu’il en ait à propos d’un argument quelconque.
C’est donc très rapidement que Jean-Jacques Cardinal s’était retrouvé Premier ministre du Québec et qu’il avait immédiatement entrepris de donner suite à son engagement. Dès les premières semaines de son mandat, un projet de Constitution, déjà prêt, avait été adopté. Ce projet avait été largement discuté au cours des dernières années au sein des États généraux qui avaient été constitués à cette fin, et il faisait l’objet d’un consensus très large. À quelques rares paragraphes et restrictions près, cette Constitution pouvait déjà entrer en vigueur, les provinces ayant toujours eu depuis la Confédération en 1867 le pouvoir de se doter de leur propre Constitution.

D’ailleurs, Cardinal n’avait jamais compris pourquoi les plus nationalistes de ses prédécesseurs n’avaient jamais fait ce qu’il était en train de faire. À croire qu’ils avaient tous été paralysés devant la perspective de poser ce geste premier d’émancipation. Et au point qu’il s’était demandé si ses prédécesseurs n’avaient pas vu un obstacle qu’il ne parvenait pas lui-même à voir.

Pourtant, personne ne s’était retrouvé métamorphosé en quoique ce soit après l’adoption de cette Constitution, et tous les Québécois, même ceux qui étaient opposés à l’indépendance, comprenaient que le Québec venait de franchir une étape importante de son émancipation quelles que seraient les décisions qui seraient prises par la suite.

La date d’entrée en vigueur de la nouvelle Constitution ayant été fixée au 24 juin suivant celle de son adoption, c’est donc tout naturellement que l’idée avait germé dans l’esprit de Cardinal de tenir le référendum sur l’indépendance du Québec exactement un an après son entrée en vigueur. Lorsqu’il avait annoncé son intention au caucus des députés de son parti réuni à cette fin dans la salle de l’Assemblée Nationale qui lui était réservée, la réaction avait été instantanée, unanime, et enthousiaste. Tous les députés s’étaient levés précipitamment en bloc dans un brouhaha de chaises et un tonnerre d’applaudissements frénétiques.

Quels qu’aient pu être les doutes qui l’avaient d’abord assailli sur l’opportunité de tenir le référendum un 23 juin surtout dans l’hypothèse d’une défaite, il s’était dit qu’il ne pouvait se priver de la valeur symbolique du 24 juin même si on allait l’accuser de vouloir s’approprier au bénéfice de son option d’un des symboles forts de la Nation. C’est donc sans le moindre état d’âme qu’il avait décidé d’aller de l’avant, convaincu que les critiques sur le choix de la date ne dureraient pas plus de vingt-quatre heures, tant l’échéance elle-même transcendait la date. Et les événements lui avaient donné raison.

Pour le camp adverse, la campagne référendaire avait été singulièrement compliquée par le désarroi et la désorganisation qui régnaient au sein du parti Libéral après les énormes coups de boutoir que Cardinal lui avait assénés pendant toute la durée de la Commission d’enquête. Le PLC n’était guère en meilleur état compte tenu de ses propres problèmes qu’il n’était jamais parvenu à surmonter au Québec depuis le scandale des commandites.

Les autres partis fédéraux, que ce soit les Conservateurs ou les Néo-démocrates n’étaient jamais parvenus à s’implanter solidement au Québec, et c’est donc très affaibli que le camp fédéraliste se préparait à affronter cette nouvelle campagne référendaire qui allait aussi être la dernière. Les fédéralistes semblaient résignés à leur sort, même s’ils savaient pouvoir compter à la dernière minute sur un mouvement de crainte du saut dans l’inconnu chez une part importante de la population québécoise. Leur espoir d’une victoire résidait tout entier dans la manifestation de cette crainte, et ils comptaient bien faire le nécessaire pour l’amplifier.

Déclenchée dans les derniers jours de mai, la campagne référendaire fut marquée par de nombreux incidents qui témoignaient tous de l’extrême nervosité du camp fédéraliste car les sondages avaient indiqué tout au cours de la dernière année la possibilité très nette d’une victoire du Oui. Dans le pire des cas, la police était parvenue tout à fait par hasard et à la dernière minute à éventer un complot pour saboter une des dernières assemblées publiques du camp du oui. Les fauteurs de trouble avaient été pris en flagrant délit en train de se préparer à couper l’alimentation d’Hydro-Québec à tout un quartier de Montréal pour rendre inutilisable l’aréna de Verdun où devait se tenir cette assemblée.

Mais rien n’y avait fait. Après une campagne où les mouvements de vote n’avaient été que très faibles, le résultat avait été celui qui était prévu depuis presque un an, à quelques fractions près, et le Oui l’avait remporté à 53 % contre 47 %.

Restait maintenant à mettre de la chair sur cette victoire.


Laissez un commentaire



1 commentaire

  • Archives de Vigile Répondre

    17 janvier 2015

    Bravo M. Le Hir pour votre point de vue très réaliste, je vous remercis....