À première vue, la décision rendue par la Cour d’appel la semaine dernière dans l’affaire Lola c. Eric (des pseudonymes employés pour masquer la véritable identité des parties) paraît être une victoire du bon sens et de la modernité sur des vieux concepts démodés.
Le tribunal, appelé à se prononcer sur les droits d’une conjointe de fait éconduite, lui attribue une pension alimentaire, sans toutefois aller jusqu’à lui reconnaître une part du patrimoine de son ex-conjoint de fait.
Tout ça semble aller de soi. Sauf que…
Sauf que, dans le processus, les juges ont mis de côté les règles du code civil pour cause de discrimination, et sont même allés jusqu’à soumettre au législateur une version revue et corrigée de ce que devrait prévoir le code dans ce cas.
Cette intervention judiciaire dans les prérogatives du pouvoir législatif soulève quelques questions dont celles à caractère juridique et constitutionnel ne sont pas les moindres.
En premier lieu, on ne peut que déplorer la tendance de plus en plus répandue des tribunaux à assumer des responsabilités qui ne sont pas les leurs. À la différence des élus qui tiennent de la population le mandat de faire des lois qui répondent à ses aspirations, les juges sont nommés par le pouvoir, et la Commission Bastarache vient de nous donner une petite idée de ce que ça veut dire. Qui plus est, rien dans la formation des juges ne les prépare à assumer ce genre de responsabilité.
Tout ce dont ils disposent, c’est d’un maigre texte de loi dont les auteurs n’ont jamais un seul instant soupçonné la portée qu’il pourrait avoir. Dans le cas présent, ce texte vient modifier des règles qui reflétaient les valeurs de notre société et qui visaient à favoriser l’institution du mariage afin d’assurer une certaine stabilité, utile à la fois sur le plan social et sur le plan psychologique.
En changeant les règles du jeu comme elle vient de le faire, la Cour d’appel envoie le signal que le mariage a désormais moins d’importance et que les parties auront des droits, qu’elles se marient ou non. Elle envoie aussi le signal que si vous ne voulez pas assumer quelque responsabilité que ce soit, ne vivez pas en couple. Déjà qu’on observe chez les jeunes adultes, en particulier les hommes, une fâcheuse tendance à refuser de s’engager, on voit tout de suite les effets qu’aura cette décision sur la formation de couples et éventuellement sur notre taux de natalité.
Quand on voit les bouleversements qu’ont entraînés tous les changements survenus depuis quelques années dans le droit des personnes et de la famille du fait de nos chartes des droits, ce n’est pas faire preuve de conservatisme que de s’interroger sur leur bien-fondé et sur les effets qu’ils auront sur le fonctionnement de notre société.
***
Cette question serait déjà suffisamment préoccupante s’il ne s’en greffait pas une autre qui met en cause, dans son cas, notre identité collective.
En effet, pour régler le cas qui était devant eux, les juges se sont tournés vers la common law pour y puiser les principes qui « manquaient » au code civil. Or on sait que la common law est d’inspiration britannique, et le code civil, d’inspiration française. Ces deux systèmes reflètent des visions différentes de la vie en société, et je constate que, de plus en plus, les tribunaux nous imposent la vision anglo-saxonne en évacuant la vision française.
Autrement dit, nous sommes en train de nous faire assimiler par la porte d’en arrière, à notre insu.
La langue française, ce n’est pas qu’un moyen d’expression, c’est aussi un esprit qui détermine notre façon d’appréhender la réalité, et les rapports entre nous et avec nos institutions. En adoptant des règles empruntées à un modèle qui n’est pas le nôtre, qui procède d’un esprit qui n’est pas le nôtre, notre rapport à notre langue s'en trouve affaibli. S’il fallait poursuivre dans cette direction, notre langue finirait par nous apparaître plus comme un encombrement qu’autre chose, et nous glisserions alors facilement vers l’assimilation.
Notre situation de Québécois n’est pas facile, coincés que nous sommes entre trois influences : l’influence française, par l’histoire, la langue, et l’organisation de la vie civile; l’influence britannique, également par l’histoire (ne nous en déplaise), mais surtout par l’organisation de notre vie publique et notre rapport aux institutions publiques, ce qui se reflète dans l’idée que nous nous faisons de certaines notions comme la démocratie et la justice, pour ne s’en tenir qu’à celles-là; et l’influence nord-américaine, par notre mode de vie et certaines valeurs qui s’y rattachent.
Notre identité est donc une résultante de ces influences, et c’est bien la preuve que nous constituons une société distincte. Mais c’est aussi une preuve de notre vulnérabilité et de la facilité avec laquelle nous pourrions perdre une des composantes de notre identité à moins de faire preuve de la plus grande vigilance. Or, en Amérique du Nord, dans la situation où nous sommes, la préservation de notre identité tient essentiellement à notre capacité de demeurer ancrés dans nos racines françaises, qui englobent entre autres notre langue et le système juridique qui constitue une manifestation de son esprit.
C’est pourquoi je déplore aussi la décision rendue la semaine dernière par la Cour d’appel. Elle suit d’ailleurs de peu une décision de la Cour suprême dans l’affaire « Ma Chouette », où le tribunal, sur la question du droit des journalistes à invoquer le secret professionnel pour éviter d’avoir à divulguer leurs sources, s’est également rabattu sur la common law pour en tirer un critère d’appréciation complètement étranger au droit civil qui aurait dû être le seul à s’appliquer dans ce cas.
Quand je vous dis qu’on est en train de se faire assimiler par la porte d’en arrière…
Identité et assimilation
Lola et le cheval de Droit
Tout ça semble aller de soi. Sauf que…
Chronique de Richard Le Hir
Richard Le Hir673 articles
Avocat et conseiller en gestion, ministre délégué à la Restructuration dans le cabinet Parizeau (1994-95)
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5 commentaires
Archives de Vigile Répondre
10 novembre 2010Est-ce que quelqu'un connait le milieu socio-économique d'origine de Lola? Ce que font ses parents à Rio?
Est-ce que quelqu'un sait si elle parlait anglais à 17 lorsque Éric l'a rencontrée? (Eric avait 32 ans et ne parlait pas portugais)
Archives de Vigile Répondre
10 novembre 2010Nous avons vu lors de la commission Bastarache à quelle enseigne se logeaient les juges du Québec.
Faut-il se surprendre de ce tour de passe-passe fédéraliste unitariste ?
L'engagé Répondre
10 novembre 2010Le politique reflète le culturel, dans notre cas, nous nous intéressons d'abord aux principes, la jurisprudence est secondaire.
En transformant peu à peu le judiciaire par le recours aux chartes et à leur suprématie sur le parlement ou l'Assemblée nationale, nous devenons de plus en plus soumis à l'expérience, à la jurisprudence tout en étant dans un moule qui nous empêche justement de nous en extirper, puisque justement inspiré non pas les principes, mais par la pratique.
De plus, nous ne sommes pas habitués à fonctionner ainsi, ce n'est pas dans notre culture, nous nous faisons violence là où les Canadiens sont dans leur zone de confiance.
Un bon exemple concerne les écoles passerelles : on s'en sacre que cela concerne 4/40/400/4000 étudiants, c'est le principe qui nous dérange.
Et on oublie que ce qui guide la «common law» est justement un « principe » préserver l'ordre et la paix dans une petite île trop peuplée en conservant le pouvoir des nantis.
Nous sommes dans le « Nouveau Monde », un monde où lorsque que nous n'étions pas d'accord avec une communauté, nous pouvions toujours nous exiler.
Les gens du pays ont fini par s'entendre sur un certain nombre de principes à respecter. En invalidant des dispositions du code civil, c'est cette histoire et cet enracinement que la Cour conteste et elle le fait au nom de quoi? De principes, pourquoi les siens seraient supérieurs aux nôtres?
Et enfin, dans ce jugement, on prétend que les conjoints de fait ont droit « aux mêmes protections » que les couples mariés. Mais attention, cette protection, c'était celle d'une égalité de traitement face à des institutions qui ne relevaient pas de l'union et elle était nécessaire, les conjoints de fait subissaient collectivement une discrimination réelle : impôts, assurances, avantages sociaux, succession. En parlant de discrimination entre couples mariés et conjoints, la Cour stipule que c'est contre eux-mêmes qu'elle cherche à la protéger. Or cette discrimination n'est pas systématique, elle est relative.
Il y a une discrimination entre les couples mariés et les conjoints de fait, heureusement! Le statut est explicitement différent et le mariage est un rite précisément institué pour octroyer un statut privilégié. Mais il n'y a pas de discrimination au sens où tous ont accès au mariage. La «discrimination» circonscrit précisément les devoirs et les droits dans deux types d'union. Libre aux gens de choisir ce qui les avantage.
Où la limite sera-t-elle tranchée justement si nous bafouons ce genre de principes? C'est encore la jurisprudence, et non un débat public, qui déterminera ce qui acceptable ou non comme responsabilité des conjoints.
Bref, c'est plutôt la Cour qui est anachronique, elle voudrait imposer aux couples non mariés une version plutôt ringarde des responsabilités des époux. Ce faisant elle infantilise les citoyens et se mêle de ce qui ne la regarde pas.
Jean-Yves Durocher Répondre
10 novembre 2010On se rapellera que lors du dernier référendum, on devine qui avait rouvé un allié dans la Fadoq pour essayer de modifier le Code Civil de la même façon. Toujours avec les aliments, une cause impliquant une jeune femme qui réclamait une pension de ses grands-parents.
Comme il n'y a qu'au Québec en Amérique du Nord ou on se sert du Code Civil (sauf pour l'immobilier en Louisiane de fait) conmme on aimerait simplifier le tout.
Les acteurs de cet vaste cirque aux airs de samba très ensoleillés prouvent qu'il faut choisir ses partenaires de poker avec soin,en évitant la ferraille par exemple.
Pour aider le tout, juste un exemple, vous pouvez devenir philantrophe et donner de l'argent a un hopital francophone pour prouver vos bonnes intentions. Comment alors dire que le principal intéressé, (pas le défendeur, celui paye la poursuite)...
N'en disons pas plus, sinon Frappier devra encore recevoir un huissier... Mais légalemnet rien ne vous empêche de faire une recherche Google avec lola cirque poker..
Et de faire les liens avec:
http://www.maisonneuve-rosemont.org/pages/F/com/MPV2010resultat.aspx
http://www.wednesday-night.com/HerbBlack.asp
Archives de Vigile Répondre
10 novembre 2010Attrappe nigaud par la porte d’en avant.
http://ygreck.typepad.com/.a/6a00d8341c5dd653ef013488b6669d970c-800wi