Chantal Landry: un témoignage étonnant... et inquiétant

Commission Bastarache




D'autres témoins déjà entendus à la commission Bastarache l'ont qualifiée de «courroie de transmission», d'«entonnoir» et de «point de chute» au bureau du premier ministre Jean Charest quant aux nominations faites au gouvernement, sur les conseils d'administration et dans les sociétés d'État. Et ce, depuis l'élection du gouvernement libéral en 2003.
Son nom: Chantal Landry.
Aujourd'hui, lors de son témoignage très attendu, elle confirmait avoir accès à la «courte liste», pourtant «confidentielle», des candidats aptes à devenir juges proposés par le comité de sélection. Et qu'il lui arrive d'informer le PM de l'allégeance politique de certains d'entre eux.
http://lcn.canoe.ca/lcn/infos/national/archives/2010/09/20100927-052223.html
Elle confirmait également que depuis 2003, elle cumulait à elle seule au bureau du PM les fonctions suivantes: 1) relations avec le Parti libéral du Québec; 2) références pour les embauches aux cabinets politiques et bureaux de députés; 3) références pour les nominations au gouvernement, dans les sociétés d'État et sur tous les conseils d'administration; 4) reçoit directement du chef de cabinet du ministre de la Justice la «courte liste» des candidats à la magistrature, leurs cv, de même que la recommandation faite par le ministre, puis elle communique le tout au PM pour avoir son avis et le communiquer ensuite au chef de cabinet de la Justice. Ouf....
Bref, ses responsabilités couvrent trois catégories de nominations: conseils d'administration, emplois «supérieurs» rémunérés (gouvernement & sociétés d'État), juges & tribunal administratif.
Même si son rôle de «responsable des nominations» ne soit jamais apparu à l'organigramme du bureau du PM, il reste que pour une seule personne, cela s'appelle exercer beaucoup de pouvoir dans l'entourage immédiat du PM.
Ce qui amène à penser qu'hormis le chef de cabinet lui-même, Mme Landry jouit de la confiance la plus totale du premier ministre.
Ce qui trouble encore plus, ce sont les quatre risques inhérents à un tel cumul de fonctions partisanes (relations avec le PLQ) et non-partisanes (nominations): 1) confusion des genres; 2) conflits possibles d'intérêts; 3) politisation exceptionnelle du processus de nomination dit des «emplois supérieurs» et possiblement à la magistrature: 4) rôle important joué par un collecteur de fonds du parti dans les nominations publiques «at large», si vous me passez l'expression...
Son titre officiel dans l'organigramme du bureau du PM: directrice des relations avec le Parti libéral du Québec. Mais encore une fois, le titre «responsable des nominations» n'y apparaît nulle part. (*Cette année, Mme Landry est devenue chef de cabinet adjointe du bureau du PM.)
Pourtant, cette «responsabilité» des nominations semble connue de plusieurs, depuis longtemps et pas seulement au PLQ. Un petit exemple parmi d'autres: cet article paru dans La Presse en 2006 présentant en effet Mme Landry comme la «resp. des nominations» au bureau du PM: http://www.vigile.net/Option-Canada-fait-des-vagues-a
Aujourd'hui, elle aura néanmoins donné un témoignage étonnant sous plusieurs aspects.
Quelques exemples:
- Tout comme M. Charest l'a fait la semaine dernière, Mme Landry a affirmé qu'en 2003, elle n'avait aucune idée, ni ne se serait même informée, de la manière dont fonctionnait le processus de nomination des juges sous les gouvernements précédents. (Mais est-ce vraisemblable dans la mesure où il existe un règlement à cet effet et où les les hauts-fonctionnaires du ministère de la Justice auraient pu également en informer facilement le nouveau gouvernement? Après tout, il s'agit ici de quelque chose de très important, soit la magistrature...)
- Mme Landry a confirmé recevoir directement la «courte liste» de candidats à la magistrature et en connaître le contenu, alors qu'il n'est pas prévu au règlement qu'une ou un employé du bureau du PM ait un tel accès à une liste pourtant «confidentielle».
- Mme Landry a dit aussi ignorer que cette liste est «confidentielle», mais dit qu'elle assurait néanmoins cette «confidentialité» en la verrouillant simplement le soir dans son tiroir de bureau. Même «confidentielle», elle reconnaît l'avoir communiquée pour avis à un autre ministre que celui de la Justice, soit Jacques Dupuis à la Sécurité publique.
- Mme Landry dit qu'elle n'a conservé aucune note de cette époque, qu'elle les jetait et aurait détruit ses agendas. (Un réflexe fort possible chez quelqu'un qui quitte un tel poste, mais est-ce vraisemblable pour une personne qui est encore et toujours au même emploi du même bureau de PM? La question se pose tout au moins.)
- Mme Landry a dit n'avoir vu aucun problème à recommander Jacques Champagne, un collecteur de fonds du PLQ, pour représenter le «public» sur un comité de sélection de juges. Il lui arrive aussi d'indiquer au PM l'allégeance politique des candidats.
- Mme Landry a confirmé avoir rencontré le collecteur de fonds libéral, Charles Rondeau, à plusieurs reprises en 2003-2004 pour monter des banques de données de candidats pour diverses nominations - des rencontres qui pouvaient parfois durer jusqu'à trois heures. Pourtant, elle a dit ne voir «aucune ingérence politique» dans un tel processus.
- Mme Landry a également dit ne pas voir de «problème précis» à être responsable de la liaison avec le PLQ tout en ayant accès au processus de nomination des juges.
- Mme Landry a aussi révélé que même si elle rencontrait toujours le PM seule à seul sur le sujet des nominations, l'agenda officiel indiquait néanmoins qu'Hugo D'Amours, devenu depuis attaché de presse du PM, était toujours présent...
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L'énigme de la fameuse rencontre du 2 sept. 2003 entre Me Bellemare & M. Charest:
Cette «erreur» répétitive dans les agendas du PM remet en question la fiabilité réelle de ces agendas imprimés du bureau du PM - des agendas dont, dans les faits, il existe plusieurs versions révisées par jour et modulées selon qu'elles vont au PM personnellement, à son «personnel politique» ou aux médias...
Le coup de théâtre de ce matin fut justement l'annonce faite par l'avocat de Me Marc Bellemare de la découverte présumée, par sa conjointe, de ses agendas sur disquette remontant à 2003. Rappelons que l'agenda du PM ne fait aucune mention de cette fameuse rencontre du 2 septembre 2003 au cours de laquelle Me Bellemare allègue avoir entendu le PM lui dire que si Fava et Rondeau, les deux collecteurs de fonds, lui disaient de nommer tel ou tel juge, alors «nomme-les!»)
D'ailleurs, LA citation fut sûrement celle de Stéphane Bertrand, chef de cabinet du PM jusqu'en 2007. Questionné sur cette fameuse rencontre énigmatique du 2 septembre 2003, plutôt que de dire, simplement, qu'elle n'avait jamais eu lieu, M. Bertrand a plutôt dit ceci: «tout démontre qu'au moment où on se parle», cette rencontre n'aurait pas eu lieu.... Je laisserai aux avocats le soin de reconnaître cette formule on ne peut plus classique...
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Bref, la journée fut étonnante, voire surréaliste.
Et le témoignage de Mme Landry fut étonnant et inquiétant, où les vraisemblances auront allègrement côtoyé les invraisemblances. Le tout confirmant à quel point une seule personne au bureau du PM peut détenir d'aussi importantes responsabilités de nature autant partisane que non-partisane....
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@ Photo: PC


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