On dit et on répète depuis des semaines qu'il s'agit d'une commission parlementaire très attendue, mais de toute évidence, il ne faudrait pas en attendre grand-chose...
Dans une ronde incessante d'entrevues, au cours des derniers jours, le ministre responsable de la Charte de la laïcité, Bernard Drainville, s'est félicité de voir le projet débattu sur la place publique, notamment au Salon rouge de l'Assemblée nationale à partir de ce matin.
Débats il y aura, certes. Le sujet est toujours aussi explosif. On peut toutefois se demander à quoi servira l'exercice (outre le positionnement politique du gouvernement minoritaire) puisque la position du ministre Drainville semble bétonnée.
Vrai, les gouvernements arrivent généralement en commission parlementaire avec des idées fermement arrêtées. Nous sommes toutefois ici devant un gouvernement minoritaire, qui devrait rechercher des appuis consensuels à l'Assemblée nationale. Nous sommes aussi devant un projet de loi peu ordinaire, un projet qui remue profondément la société québécoise.
Bernard Drainville a passé les derniers jours à mettre la table: les principes du projet de loi (neutralité de l'État et égalité hommes-femmes) sont non négociables. Soit. Difficile d'être contre cela.
Le problème qui se pose en ce début de consultation, c'est la catégorisation expéditive (et, disons-le, un peu courte) défendue par le ministre Drainville: la Charte est indispensable contre l'intégrisme et, si vous êtes contre l'interdiction des signes religieux (comme le tchador), vous favorisez l'intégrisme. Par extension, si vous privilégiez le respect des droits fondamentaux, vous êtes contre l'égalité hommes-femmes.
Pour les nuances, on repassera.
Parce qu'au fond, le noeud est là: l'interdiction du port de signes religieux par les employés de l'État. Le reste (l'égalité hommes-femmes, la neutralité de l'État, l'opposition aux intégristes, les balises pour les accommodements) reçoit l'appui d'une immense majorité de Québécois.
Le gouvernement est-il «négociable» sur le port de signes religieux? Non, répond M. Drainville, parce qu'il s'agit d'un «visage de la neutralité» (entendu à l'émission de Jacques Beauchamp, à la radio de Radio-Canada, hier midi).
On voit mal en tout cas, entendant cela, ce qu'il reste à débattre et comment le ministre pourra «bonifier» son projet de loi. À moins que ce ne soit pour serrer encore un peu la vis.
Quant aux nombreuses objections des institutions touchées, il faudra plus pour convaincre le gouvernement de lâcher du lest.
«Vous savez que certains viendront vous dire que dans leur milieu, ça ne marchera pas», a lancé l'animateur Jacques Beauchamp.
Réponse du ministre Drainville: «Ben voyons donc! Pourquoi ça ne marcherait pas?»
Je vois au moins une demi-douzaine de raisons pour lesquelles l'application de l'interdiction de signes religieux ne «marchera pas», posera problème, voire provoquera des litiges légaux longs et coûteux, mais je laisserai à des gens plus compétents le soin d'expliquer pourquoi cet outil politique est néfaste à leur institution. Ça sert à ça, non, une commission parlementaire? Espérons au moins que le gouvernement écoutera, mais c'est douteux.
Le ministre Bernard Drainville et le gouvernement Marois ont déjà rejeté d'un revers de main les avis ou l'opposition de la Ville de Montréal, de la Commission des droits de la personne, du Comité sur les affaires religieuses du ministère de l'Éducation, des universités et grands hôpitaux, entre autres. Le Conseil du statut de la femme et sa présidente, Julie Miville-Dechêne, se sont aussi retrouvés dans l'oeil de la tempête politique, l'automne dernier.
Les opposants au projet seront tentés d'évoquer des arguments légaux et juridiques (ce sera le cas, sans doute, du Barreau), mais l'argument du «test de la Charte» (celle des droits et libertés) ne pèsera pas lourd non plus aux yeux de Bernard Drainville. Le gouvernement Marois veut amender la Charte des droits et libertés pour gommer les irritants au projet de l'autre Charte.
Dans les circonstances, cette commission parlementaire a toutes les allures d'une mise en scène préélectorale, sur fond de joute politique entre péquistes, libéraux et caquistes.
Les libéraux de Philippe Couillard ont eu du mal à accorder leurs violons récemment et ils risquent de se faire larguer dans le débat si le chef ne ramène pas l'harmonie dans l'orchestre. Pour le moment, le PQ a beau jeu de dénoncer le flou dans la position libérale.
Logiquement, Pauline Marois et Bernard Drainville pourraient se tourner vers la CAQ, mais lorsqu'un gouvernement minoritaire cherche l'appui d'un parti, il s'ouvre au compromis, ce qui n'est pas le cas pour le moment. Hier, Bernard Drainville a répété qu'il souhaite voir la CAQ «évoluer», ce qui signifie, apparemment, épouser son projet.
De toute façon, le PQ n'a pas besoin que ce projet de loi passe. Au contraire. Garder le sujet dans l'actualité pendant deux mois grâce à la commission parlementaire, dénoncer l'intransigeance des partis de l'opposition, se faire défaire sur le budget, demander, début mai, un mandat fort pour défendre l'identité québécoise.
Au point où il en est, le gouvernement Marois n'a rien à gagner, électoralement, en reculant sur son projet de charte.
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