C'est le début de la fin. Et, ironie du sort, c'est le début d'un temps nouveau, pour reprendre le titre de la chanson de ralliement du PQ de l'époque enivrante des années soixante-dix. C'est la fin d'un parti qui a adulé ses chefs, avant tout René Lévesque, qui en était l'âme vibrante. C'est le parti qui détruit ceux qui l'ont servi. Et c'est le parti qui a été abandonné par ses propres chefs.
La fin du Parti québécois a commencé le soir de la défaite du second référendum, le 30 octobre 1995. Ce soir-là, les souverainistes ont été blessés mortellement. Et le lendemain, leur chef Jacques Parizeau les abandonnait. C'est donc une histoire tragique que celle de ce parti qui non seulement a porté un rêve collectif qui a pris racine dans la défaite de 1759, mais qui renvoie les Québécois à un espoir tapi au plus profond d'eux-mêmes.
Le monde a changé pendant qu'au Québec perdurait cet espoir. Nombreux encore aujourd'hui sont ceux qui se disent souverainistes et qui restent très attachés à l'idée d'un Québec indépendant. La réalité est tout autre et c'est pourquoi la majorité refuse de subir un autre référendum.
C'est le début d'un temps nouveau et il faudra désormais parler de la Révolution tranquille et de son esprit comme une référence lointaine et trop floue. Le PQ vient de subir l'estocade d'un trio qu'on pourrait, sans le caricaturer, qualifier de lyrique. D'abord, Louise Beaudoin, la passionaria souverainiste dont l'histoire personnelle se confond avec celle de son parti. Redoutable pour ses adversaires, elle s'est battue pour affirmer la présence internationale du Québec, sa culture, et aujourd'hui elle contribue à redéfinir son identité. Lisette Lapointe, femme de Jacques Parizeau qu'elle a épousé non seulement par amour, mais parce qu'ils défendaient la même cause, celle de l'indépendance avant tout. Pierre Curzi, le gardien d'une politique linguistique sans concession qu'il a défendue avec une ardeur parfois discutable mais jamais malhonnête.
L'évolution du PQ depuis le 30 octobre 1995 menait inéluctablement à sa disparition tel qu'on l'a connu. Comment le parti pouvait-il renier le principe même de son existence qui est de faire accéder le Québec à l'indépendance? Les Québécois ont renoncé peu à peu à concrétiser ce rêve qu'ils caressent désormais avec nostalgie puisque la realpolitik oblige les péquistes à s'incliner devant le refus majoritaire d'un nouveau référendum. En d'autres mots, le Parti québécois ne peut plus survivre à ce déchirement perpétuel. Cette notion de bon gouvernement en attente des fameuses conditions gagnantes susceptibles de faire triompher l'indépendance appartient au passé. Ce n'est pas qu'à un changement de garde que nous allons assister, mais à une sorte de renaissance politique indispensable si l'on veut éviter les pièges séduisants du populisme de droite comme de gauche.
La partisanerie aveugle, dénoncée dans une chronique précédente et que Louise Beaudoin elle-même remet en cause, a eu un effet délétère sur l'électorat en voie de désabusement. Le gouvernement par sondages transforme la société en une scène où le décor change au gré des humeurs, des modes et des pressions de lobbys divers. Gouverner par sondages, constatons-le, c'est livrer l'avenir d'un peuple au caprice des uns et des autres et, ce qui est plus grave, c'est rendre impossible une vision à moyen et à long terme du bien commun. Sans vision dans l'art de gouverner, une société subit une désintégration destructrice de son âme. Et une société sans âme ne peut plus contenir un peuple au sens fort du terme. Elle ne fait place qu'à des groupes d'intérêts.
Le Québec actuel en perte de repères, secoué dans ses assises, sans autre pouvoir que celui de dire «non», est invivable, ingouvernable. Les plus vieux se sont repliés sur les avantages hérités de la Révolution tranquille ou luttent contre un spleen si familier à Baudelaire, un spleen nourri par un rêve brisé et une lassitude des débats stériles où ils se jouent la comédie des lendemains qui chantent pour ne pas mourir frustrés.
Les jeunes générations fragilisées par une époque de mutations permanentes sont avides d'espoir, cet espoir que leurs parents, tout à leur narcissisme, ont oublié de leur transmettre. L'avenir est entre leurs mains et la renaissance politique à laquelle nous sommes tous conviés est d'abord leur fait. Mais cette renaissance passe par une réconciliation générationnelle afin d'apaiser la colère aveugle qui préside actuellement aux débats collectifs.
On est loin de Pauline Marois et du PQ? Pas si sûr. Le parti a toujours exprimé une dimension de l'inconscient collectif. Ses luttes, ses déchirements fratricides, ses compromissions, ses peurs, ses feintes et ses chefs successifs sont à notre image et à notre ressemblance. Pauline Marois ne pourrait diriger son parti autrement. Son manque d'intuition politique, ses maladresses apparaissent anecdotiques au regard de la lame de fond qui nous balaie désormais. Personne ne sort indemne de cette crise qui exige le retour de la raison passionnée, de la responsabilité assumée et du courage de quitter les zones de confort, cette glu paralysante de l'action salutaire.
Il n'y a qu'une façon de protéger la démocratie malmenée, c'est de revaloriser la politique et de la libérer des entraves politiciennes et du cynisme larvé de ceux qui s'y adonnent. Gouverner non plus pour gagner à tout prix, mais pour vivre mieux collectivement.
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