Belle transaction, mais

L'acquisition d'Alcan par Rio Tinto rappelle notre incapacité à survivre dans la jungle de la mise en valeur des richesses naturelles

Économie - Québec dans le monde


C'est une transaction bien ficelée que le président du conseil d'Alcan, Yves Fortier, était fier de présenter hier matin lors de la conférence de presse annonçant l'acquisition de la société de la rue Sherbrooke par Rio Tinto. Pourtant, M. Fortier reconnaissait avoir un "motton dans la gorge" en acceptant l'offre de 38milliards$US du groupe britannique. La dernière grande compagnie canadienne indépendante dans la transformation des métaux va passer sous contrôle étranger.
Pourquoi les Québécois et les Canadiens ne parviennent-ils pas à survivre dans la jungle de la mise en valeur des richesses naturelles? N'y aurait-il pas un manque de "complicité" entre les dirigeants des compagnies dans le secteur des matières premières et les institutions financières obsédées par une gestion modulaire de leurs risques?
Au départ, il faut écarter la dimension dogmatique voulant que tout investisseur venant d'ailleurs ne soit ici que pour exploiter les talents et les ressources locaux. Des entreprises comme Pratt & Whitney, Bell Helicopter ou Paccar grandissent au Québec en réalisant un mandat mondial confié par leur maison-mère. Peu d'avocats, de comptables ou d'experts en communication du Québec vivent des mandats obtenus de ces filiales à 100% d'entreprises étrangères. Mais de jeunes cadres ont accès à des postes de commandes dans des entreprises d'envergure mondiales et peuvent, comme le montre l'exemple de Louis Chênevert, rêver de devenir un jour patron au siège social d'United Technologies.
On sait maintenant que des scénarios de fusion et d'acquisition étaient étudiés depuis deux ans à la maison Alcan. Les administrateurs d'Alcan auraient-ils pu passer en mode acquisition? Le bilan d'Alcan ne pouvait absorber une dette illimitée. Un scénario d'acquisition devait être rédigé avec un grand partenaire financier! Contrairement aux métaux industriels, l'aluminium n'a pas dégagé des bénéfices spectaculaires au cours des récentes années. BHP, Rio Tinto et CVRD surfent au sommet de leur cycle
"Poches profondes"
Avec près de 20 milliards US de liquidités disponibles dégagées seulement au cours des deux dernières années, Rio Tinto a les "poches assez profondes" pour acheter et développer les installations d'Alcan. Les travailleurs devraient s'en réjouir. Mais, hier le message était clair: on veut dégager des synergies de 600 millions US. La direction entreprend un "examen stratégique" afin "d'identifier les éléments qui ne possèdent pas la position concurrentielle" Il faut reconnaître que Rio Tinto s'est bien comporté dans la supervision de ses filiales québécoises, QIT Fer et Titane et Iron Ore qui représentent le douzième de son actif mondial.
Si Rio Tinto a dégagé l'an dernier quatre fois plus de profits qu'Alcan avec un chiffre d'affaires à peu près identique, c'est que le conseil d'administration a recueilli les fruits d'une vision stratégique rigoureuse. Peu de dirigeants canadiens, à l'exception de Peter Munk (Barrick), sont parvenus à bâtir des groupes mondiaux en mode d'acquisition.
Au milieu des années 90, Alcan, sous la direction de Jacques Bougie, a amorcé un mouvement intéressant avec l'achat d'Alusuisse. Mais la firme montréalaise a manqué de souffle
Tant au Québec qu'ailleurs au Canada, les efforts pour assurer le contrôle effectif de la gestion du sous-sol n'ont donné aucun résultat. Le rejeton unique de la SOQUEM, la société Cambior, vient d'être rachetée par des intérêts de l'extérieur. L'effort de la Caisse de dépôt au début des années 80 de s'allier avec le puissant conglomérat Brascan n'a pas abouti à créer une Noranda solide, aujourd'hui pathétiquement transformée en fiducie de revenus Les dirigeants d'Edper n'ont pu s'entendre avec le "gars de mines", Al Powis
Les Québécois et les Canadiens sont-ils condamnés à se tailler une place ailleurs que dans le club des matières premières? Les nouveaux joueurs chinois, russes, indiens et brésiliens ont accès à des ressources financières importantes à partir de leur base locale.
Il faut souhaiter que les conseils d'administrations d'entreprises fassent une meilleure place au mode "acquisitions" dans leur planification stratégique. À la condition que les investisseurs leur donnent plus qu'une échéance trimestrielle pour gérer ces acquisitions, ajouterait M. Coutu!
Chose certaine, les grandes banques canadiennes et les autres grands bassins de fonds pourraient jouer un rôle d'appui plus dynamique en se dotant d'équipes d'experts de haut niveau pour accompagner les firmes d'ici dans leurs projets d'acquisition à l'étranger.
Il est peut-être plus payant à court terme de toucher des honoraires pour conseiller des investisseurs étrangers mais, pour les prêteurs, développer des titans mondiaux demeure la meilleure façon de s'assurer des partenariats viables et durables.
Note(s) :
Président de CDP Capital jusqu'en 2002 et membre de la haute direction de la Caisse de dépôt durant près de 20 ans, l'auteur est directeur général de l'Institut sur la gouvernance d'organisations privées et publiques et conseiller en gestion stratégique.

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Michel Nadeau4 articles

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Durant 20 ans, Michel Nadeau a occupé des postes de haute direction à la Caisse de dépôt. Il est présentement directeur général de l'Institut sur la gouvernance (HEC Montréal-Concordia).

directeur général de l'institut pour la gouvernance des organisations publiques et privées (Igopp)





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