La répression des Métis et de Riel

Batoche, là où un pays a voulu naître !

Chronique de Marie-Hélène Morot-Sir

Ce petit village ne demandait qu’à vivre paisible sur les berges de la Saskatchewan, jusqu'à ces quatre jours de Mai 1885 !
Sait-on encore aujourd’hui ce qui s’y est passé, ? S’y arrête-t-on quelquefois en rejoignant Edmonton ? Alors qu’il faut faire un vrai détour pour y parvenir, tant aujourd’hui il a été éloigné des voies commerciales, tout au cœur même de la Saskatchewan ?
Ce pays était celui des Cri, des Assiniboine et des Métis à grande majorité francophones et catholiques. En effet les voyageurs Canadiens français, s’étaient mariés avec des Amérindiennes Saulteux, ou Cri, et un véritable peuple, celui des Métis, était né dans les prairies de l’Ouest autour de la Rivière Rouge.
Ils pensaient qu’en se dirigeant davantage vers l’Ouest, dans la Saskatchewan voisine, une terre encore si sauvage, que personne ne viendrait les repousser, ils pourraient y vivre en paix. Alors ils s’installèrent principalement sur les berges de la rivière Saskatchewan, développant un petit village, là où Xavier François Letendre*, en 1873, venait tout juste d’installer sa « traverse » sur cette rivière, pour la piste Carlton, qui était la principale route commerciale entre Fort Gary et Edmonton.
La Colombie britannique était entrée dans la confédération en 1869, le gouvernement d’Ottawa désirait relier cette nouvelle province à celles de l’Est, en peuplant ces vastes territoires qui les séparaient.
D’autre part, il y avait de leur côté les États-Unis qui s’avançaient de plus en plus vers l’Ouest, leur ambition étant importante le Canada pouvait craindre qu’ils revendiquent ces plaines de l’Ouest si elles n’étaient pas rapidement colonisées et protégées. C’est ainsi que de 1871 à 1877 le Canada renforça son contrôle sur ces plaines, et pour cela il signa sept traités avec les Premières Nations ce qui transférait leurs terres au gouvernement de la couronne britannique et en même temps permit à ce dernier de coloniser et de créer la police montée à cheval du N.O, mais tous ces traités n’englobèrent pas les Métis, et le gouvernement ne leur octroya jamais un titre légal, sur les terres où ils s’étaient installés, et où ils travaillaient.
Cependant les arpenteurs des prairies arrivèrent sans tarder, utilisant le système d’arpentage anglais, où la terre était divisée en cantons de forme carrée, comme cela l’était dans l’autre partie du Canada alors que les Métis avaient établi leurs fermes sur des lots riverains tout en longueur, à partir de la berge comme leurs ancêtres, de leur côté français, le leur avaient appris, selon le système seigneurial de l’Ancien Régime Français.
Les Métis ne furent pas les seuls mécontents, les Premières nations en vertu des traités signés, demandaient de la nourriture et de l’aide agricole, parce que, du fait de la colonisation de plus en plus poussée, les bisons se raréfiaient, d’autant plus que le premier ministre John A. Macdonald avait prévu la construction d’un chemin de fer pour relier la Colombie britannique au reste du Canada…
Cependant ayant perdu toute illusion quant à l’aide du gouvernement canadien anglophone, les chefs Métis se réunirent. Gabriel Dumont, Maxime Lépine, Moïse Ouellet, Pierre Parenteau père, décidèrent de rédiger des pétitions afin d’attirer l’attention du gouvernement sur leur situation, ces pétitions ne recevant aucune réponse, ils tinrent des assemblées, puis envoyèrent de nouvelles pétitions.. Cela dura 11 ans !
Ne sachant vraiment plus que faire ils décidèrent d’aller dans le Montana chercher Louis Riel, qui était alors instituteur à la mission Saint Pierre, il les avait aidés une première fois, c’était lui qui avait donné ce joli nom de Manitoba, oui, Louis Riel saurait ce qu’il faudrait faire.
« Il y a quinze ans, j’ai donné mon cœur à une nation, je suis prêt à le lui donner encore aujourd’hui, mais ne pouvant laisser ma famille si vous avez de la place pour tous nous emmener, alors je partirai avec vous » fut la seule réponse de Louis Riel.
A son arrivée à Batoche, vingt-deux jours de voyage plus tard, le père Moulin prêta l’église pour que Louis Riel puisse tenir son discours, mais l’affluence était si nombreuse que cela se fit au-dehors.
Les assemblées suivies de pétitions se poursuivirent, toujours tranquillement. Personne ne désirait engager une rébellion,, ils désiraient uniquement faire respecter leurs droits, car il n’y a pas, au fond, de gens plus doux et plus détachés des biens de ce monde que les Métis, si on leur avait dit que pour obtenir leurs droits cela ne se ferait que dans le sang, ils auraient dit : « qu’ils les gardent, on s’en fout bien après tout ! »

Mais encore là, aucune réponse d’Ottawa !
Le représentant du fort Carlton, Clarke, revint de Winnipeg en expliquant, à tort, car c’était faux, que des policiers allaient arriver pour arrêter Riel et Dumont.. Cela mis le feu aux poudres, Riel proposa pour calmer les esprits de repartir aussitôt dans le Montana, mais tous le retinrent, disant qu’ils n’étaient pas allés le chercher aussi loin, pour rien..
Cette fois la Rébellion armée parut la seule solution !
Grâce à la construction bien avancée du chemin de fer, les troupes anglaises arrivèrent sur place très rapidement, à peine en 9 jours elles étaient à Winnipeg ; Mais cette force expéditionnaire du Nord-Ouest, au nombre de huit cents hommes, commandée par le major général Frederick Middleton, était pourvue de carabines, d’une mitrailleuse Gatling et de 4 canons de 9 livres, contre à grand peine trois cents Métis, dont deux cents seulement étaient armés !
Gabriel Dumont prépara la défense il fit creuser des tranchées où ils s’installèrent comme les chiens de prairies, ils visaient tous bien, et ils donnèrent bien du mal aux assaillants de l’armée les trois premiers jours, y compris contre le vapeur Northcote. C’était une ruse utilisée par Middleton, il était rempli de sacs de sable et de miliciens armés, cependant les Métis abaissèrent le câble du traversier et abattirent les cheminées du vapeur qui fut emmené par le courant…
La résistance des Métis fut incroyable jusqu’au moment où les forces expéditionnaires bombardèrent leurs positions avec les canons, faisant pleuvoir sur les résistants les balles de la fameuse mitrailleuse Gatlin !
Ce 12 mai 1885 fut alors la journée décisive :
Les métis en s’étant si bien défendus jusque-là, arriveraient bientôt au bout de leurs munitions.
De son côté Frédérick Middleton accompagné de 13 hommes, de la mitrailleuse Gatlin, d’un canon avec des obus de 9 livres, voulut tenter un nouveau subterfuge pour faire sortir les résistants de leurs tranchées, afin de les amener du côté de l’église où ils seraient accueillis par la mitrailleuse ! Cette dernière devait être actionnée au moment précis, où le lieutenant-colonel Van Straubenzie entendrait les tirs de Middleton, mais même s’il ne les entendit pas à cause du vent, les Métis étaient sortis et s’étaient avancés vers le Nord… Ils furent immédiatement attaqués, mais ils étaient à cours de munitions, et cela ne dura que quelques minutes…
Riel et Dumont eurent le temps de s’échapper.
Nous savons comment Louis Riel s’est finalement rendu, il a été affirmé que s’il l’a fait c’est dans l’idée de sauver la vie de ceux qui étaient compromis, pensant que le gouvernement se contenterait de sa tête. Mais nous savons aussi de quelle façon il a été jugé, par un tribunal unilingue anglophone, et si tristement pendu le 16 novembre 1885 !
La Rébellion des Métis avait échoué, les forces expéditionnaires détruisirent le magasin de François Letendre et tout ce qui leur fut possible encore.. Les Métis mirent longtemps à s’en remettre et c’est au cours des années 1890 que Batoche releva un peu la tête, mais pour le gouvernement les Métis restaient des Rebelles. Il s’intéressa encore moins à leur sort tant économique que social, et pour finir le chemin de fer isola nettement Batoche en passant plus au sud, ce qui laissa le petit village s’enfoncer davantage car sa prospérité avait été liée aux voies commerciales. En 1915, il n’existait plus qu’un seul magasin. Les colons anglophones arrivèrent de plus en plus nombreux, isolant un peu plus les Métis, c’est alors qu’ils furent nombreux à s’en aller vers le Nord.
Dans une Société où les Canadiens anglophones dominaient, il était désormais difficile aux Métis de transmettre à leurs enfants à la fois leur langue Cri et Française, ainsi que toutes leurs traditions héritées de leurs deux cultures.
Oui, je retournerai à Batoche, revoir avec toujours la même émotion les quelques tranchées ingénieusement creusées sur l’instigation de Gabriel Dumont, les nombreuses traces de balles sur les murs de la petite église Saint Antoine de Padoue, et entendre dans le murmure du vent les noms de ces personnes au grand cœur qui n’avaient voulu qu’une seule chose, faire respecter les droits de leur peuple, les Maxime Lépine, Moïse Ouellet, Parenteau … et leurs compagnons, tous enterrés dans le petit cimetière de l’église.
*François Letendre et avant lui paraît-il son père, jurait sans cesse en utilisant le mot Batoche pour ne pas avoir à prononcer… baptême !
* Il y eut cependant une conséquence importante due à cette arrivée rapide des troupes grâce au chemin de fer : En effet en 1883 les travaux pour cette construction du chemin de fer avançaient mais le gouvernement manquait d’argent, la Rébellion si rapidement écrasée incita le gouvernement en signe de gratitude à voter un prêt supplémentaire pour ces travaux à la CFCP (compagnie du chemin de fer canadien pacifique) ainsi le chemin de fer arrivera à Port Moody le 4 juillet 1886 puis le terminal sera définitivement fixé au petit village de Vancouver en 1887.

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Marie-Hélène Morot-Sir151 articles

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Auteur de livres historiques : 1608-2008 Quatre cents hivers, autant d’étés ; Le lys, la rose et la feuille d’érable ; Au cœur de la Nouvelle France - tome I - De Champlain à la grand paix de Montréal ; Au cœur de la Nouvelle France - tome II - Des bords du Saint Laurent au golfe du Mexique ; Au cœur de la Nouvelle France - tome III - Les Amérindiens, ce peuple libre autrefois, qu'est-il devenu? ; Le Canada de A à Z au temps de la Nouvelle France ; De lettres en lettres, année 1912 ; De lettres en lettres, année 1925 ; Un vent étranger souffla sur le Nistakinan août 2018. "Les Femmes à l'ombre del'Histoire" janvier 2020   lien vidéo : https://www.youtube.com/watch?v=evnVbdtlyYA

 

 

 





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2 commentaires

  • Marie-Hélène Morot-Sir Répondre

    21 juin 2013

    Voici une bonne nouvelle, au sujet de la cloche de Batoche, il semble que la cloche retournera à Batoche cet été... peut-être pas définitivement... mais même si c’est temporairement ce serait déjà important que cela ait lieu et sans doute pourrait-il être exigé par la suite qu’elle reste à Batoche., et qu’elle soit ré-installée à jamais dans son clocher ! Cela devrait être précisé à Saint-Boniface, ce vendredi 21 juin 2013 lors d'une conférence de l'Union métis, en présence de l'évêque de Prince-Albert, de qui relève la paroisse de Batoche.

    Reportage sur la cloche de Batoche, à l'émission Tout le monde en parlait (31 juillet 2012)
    http://fr-ca.actualites.yahoo.com/cloche-batoche-réactions-après-lannonce-so
    Après le combat, entre les Métis de Louis Riel et les soldats canadiens, trois soldats canadiens ont volé la cloche de l'église du village à Batoche, en Saskatchewan, au printemps 1885,et l'ont ramenée à Millbrook, en Ontario, un trophée de guerre qui a ensuite été exposé dans une salle de la Légion canadienne à Mil brook, en Ontario.

    En octobre 1991, la cloche a été volée au cours d'un cambriolage à la Légion, et les rumeurs fusaient depuis, sur ceux qui pourraient savoir où elle se trouvait.
    L'Union nationale métisse Saint-Joseph du Manitoba fera donc une annonce officielle concernant le retour de la cloche de Batoche, symbole de la communauté métisse dans l'Ouest canadien.
    L'annonce qui pourrait concerner le retour de cette cloche dérobée aux Métis il y a près d'un siècle, se fera à la paroisse du Précieux-Sang, dans le quartier Saint-Boniface de Winnipeg, en compagnie de l'évêque du diocèse de Prince Albert en Saskatchewan, l'entité religieuse responsable de l'église de Batoche.

  • Archives de Vigile Répondre

    12 mai 2013

    Il y a encore tellement de mystères sur Riel..As-t-il tuer Scott?
    Est ce que Scott était vraiment en prison?
    Parce que la trahison au Canada n` apportait pas un jugement de peine de mort mais le meurtre oui. Même au Manitoba il y a encore beaucoup de questions .