Tout consultatif soit-il, et en dépit des mises en garde fédéralistes, le récent avis de la Cour internationale de justice sur le Kosovo mérite l'attention des souverainistes québécois. Il démontre que le droit n'est pas un obstacle dans les débats sur l'indépendance et renvoie plutôt la bataille à son véritable champ: le politique.
Il faut toujours se méfier de l'empressement à cantonner les débats juridiques aux cas d'espèce qui-ne-peuvent-s'appliquer-ailleurs, comme on l'a lu et entendu depuis que la Cour internationale de justice s'est prononcée sur la «Conformité au droit international de la déclaration unilatérale d'indépendance relative au Kosovo» — titre exact de l'avis consultatif qu'elle a rendu à la demande de l'Assemblée générale des Nations unies.
Bien évidemment que la CIJ n'avait pas pour mandat de rédiger un traité sur le droit général à l'indépendance ou un manuel sur l'accession des pays à la souveraineté! La Cour a seulement fait ce que font tous les tribunaux lorsqu'ils ont à trancher une question: elle a répondu au cas circonscrit qui lui était soumis. Ni plus, ni moins.
L'intérêt de la décision repose donc ailleurs que dans le copier-coller que certains semblent rechercher pour l'apposer ou non au cas du Québec. C'est la mécanique de l'argumentaire des juges qui doit plutôt retenir notre attention. Et ceux-ci, pour arriver à trancher le cas du Kosovo, ont dû poser des principes généraux qui viennent éclaircir le débat.
Le fait par exemple qu'au cours des siècles, «les déclarations d'indépendance ont été nombreuses [...], suscitant souvent une vive opposition de la part des États à l'égard desquels elles étaient faites». Néanmoins, poursuit la Cour, «il ressort clairement de la pratique étatique que le droit international n'interdisait nullement les déclarations d'indépendance». D'accord ou pas, des pays nouveaux se sont créés.
Durant la seconde moitié du XXe siècle, le droit international s'est raffiné: il a bel et bien reconnu un droit à l'autodétermination aux peuples de territoires non autonomes ou soumis «à la subjugation, à la domination ou à l'exploitation étrangères».
Et voilà, nous a-t-on beaucoup dit ces derniers jours: il faut que l'exploiteur fasse couler le sang pour avoir droit de réclamer son pays!
Eh non! Car la CIJ ajoute aussitôt: «Il est toutefois également arrivé que des déclarations d'indépendance soient faites en dehors de ce contexte. La pratique des États dans ces derniers cas ne révèle pas l'apparition, en droit international, d'une nouvelle règle interdisant que de telles déclarations soient faites.»
La CIJ qui, dans les remarques préalables de son avis, indiquait qu'elle n'avait pas à se prononcer sur l'existence, en droit international, d'un droit général à la sécession, choisit donc, dans le coeur de son argumentaire, de souligner en toutes lettres que l'interdit général, lui, n'existe pas. En résumé: on ne sait pas si c'est permis chaque fois, mais on sait qu'on ne peut poser l'interdiction de séparation unilatérale comme principe premier. Voilà qui remet les pendules à l'heure et fait tomber de vieilles peurs!
Il y a certes eu des indépendances condamnées par le Conseil de sécurité de l'ONU (Rhodésie du Sud, nord de Chypre, République serbe de Bosnie), note la CIJ. Mais c'est l'analyse des faits en cause, pas la déclaration d'indépendance en soi, qui a entraîné de tels rejets: «L'illicéité de ces déclarations découlait non de leur caractère unilatéral, mais du fait que celles-ci allaient ou seraient allées de pair avec un recours illicite à la force ou avec d'autres violations graves de normes de droit international général».
En clair, ce sont les cas extrêmes qui n'ont pas droit à la reconnaissance, et non l'inverse, comme la représentation fédéraliste cherche toujours à le faire croire!
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La CIJ appelle donc à l'analyse très concrète des cas, et c'est de cette manière qu'elle aborde la déclaration unilatérale du Kosovo, tenant compte du conflit armé qui l'a opposé à la Serbie, puis de l'administration intérimaire mise en place par les Nations unies en 1999, mais aussi des négociations qui sont finalement entreprises entre les deux parties en 2006, dont on s'attend à ce qu'elles soient menées «de bonne foi et de manière constructive».
Revoilà matière à intéresser les Québécois. Car que note la CIJ? Qu'il y aura plusieurs rencontres en 2006, où des sujets aussi divers que les fonctions gouvernementales, les questions économiques ou le patrimoine culturel sont abordés, mais que rien ne bouge, que les parties restent très éloignées. Toute entente paraît illusoire. Bref, c'est l'impasse.
Et c'est au terme de ce processus qu'arrive, en février 2008, la décision unilatérale, sans référendum préalable!, de l'Assemblée du Kosovo de se séparer.
Dont acte. La Cour n'a plus rien à dire. Tout ayant été raisonnablement tenté, sans recours à la violence, juridiquement, selon le droit international, l'affaire ne peut aller plus loin.
La CIJ ne s'étonne pas de la relative brièveté des négociations, se contentant de noter l'impossibilité d'une entente. Quoi, on n'est donc pas tenus de négocier pendant des décennies? Voilà qui ne manque pas d'intérêt pour nous, quand on sait à quel point dans son histoire, le Québec a donné dans la bonne foi: référendum à deux vitesses, beau risque, interminables débats constitutionnels... Qu'a donc le fédéral à opposer? La non-acceptation par le Québec de la Constitution de 1982, le Love-In de 1995 qui ne respectait pas les règles du jeu, le scandale des commandites... Jolie démonstration en vue s'il fallait faire un jour appel à la CIJ!
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En levant l'hypothèque juridique qui pesait sur les sécessions unilatérales, la CIJ ne tranche pas par ailleurs l'ensemble du débat sur cette question. La reconnaissance par les autres États n'est pas de son ressort: il est strictement celui du politique.
S'il est donc clair qu'avec cet avis de la CIJ, les fédéralistes canadiens ne peuvent plus brandir de menaces quant à la légalité d'une déclaration unilatérale d'indépendance, en revanche les souverainistes québécois ne peuvent croire que la légalité suffira pour emporter l'adhésion du monde.
Comme le soulignait encore Jacques Parizeau dans son récent ouvrage La Souveraineté du Québec, et il a lui-même beaucoup pratiqué la chose!, «cela se prépare». Le général de Gaulle n'avait pas autre chose en tête lors de son célèbre discours de l'hôtel de ville... Un activisme difficile mais nécessaire, comme tous les acteurs de ces joutes de coulisses pour la reconnaissance internationale du Québec peuvent en témoigner depuis 50 ans.
Les souverainistes, échecs référendaires obligent, ont depuis peu été déclassés par le fédéral sur ce terrain. C'est ici que l'avis du CIJ doit sonner comme un réveil: il y a des ponts à reconstruire, entre Québécois certes, mais aussi avec le reste du monde.
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