Aux vues de l’histoire

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« La révolution plus nécessaire que jamais »

«On dirait un film de missionnaires, du prêchi-prêcha. » L’ancien felquiste Francis Simard n’apprécie pas du tout la romance révolutionnaire que donne à voir La maison du pêcheur en guise d’explication de la crise d’Octobre 1970.

Je suis allé voir le film avec lui. « Cette histoire-là n’a jamais existé telle qu’elle est racontée. Dommage, ça aurait été d’actualité pour ce que c’est : l’été de jeunes militants qui ouvrent un café, qui se font dire que ce n’est pas possible, que ça dérange le système. Même René Lévesque s’en était mêlé ! Ça aurait rejoint le sens de la contestation des jeunes d’aujourd’hui, le ras-le-bol de tout le monde écoeuré d’être dépossédé. »

Un cinéaste a le droit de construire une fiction. Mais on ne peut pas prétendre en même temps servir l’histoire, comme le soutient pourtant le réalisateur du film. « On n’imprimait pas de tracts ! On était crevés juste à faire fonctionner la Maison jour et nuit. La “révolution” n’était pas dans chaque phrase… Et imagines-tu que si des filles toutes nues dansaient là, je m’en serais pas souvenu ? »

Le projet bascule pour de bon à la suite d’une charge des pompiers de Percé. Mais dans le film, cet épisode est relégué à la suite d’affrontements violents qui n’ont pas eu lieu, soutient Simard. « Nous sommes partis pour Percé sans les Rose. Paul et Jacques sont des êtres extraordinaires, mais ils n’étaient pas là au tout début. On a organisé une conférence de presse à Montréal pour dénoncer la situation. Après nous sommes revenus ensemble pour nous organiser, durer. »

Plume, Charlebois et Dubois chantent à la vraie Maison du pêcheur. « Claude Dubois s’est poussé quand les pompiers sont arrivés. On n’a pas payé le loyer parce qu’on n’a jamais pu opérer. L’histoire autour du loyer, c’est pas vrai. » Et que penser de celle du Gaspésien Bernard Lortie qui, dans le film, devient felquiste parce que son père se voit déposséder de son bateau de pêche ? Selon les souvenirs de Simard, le père Lortie était plutôt concierge…

Pas du tout amer, Francis Simard. Juste déçu de voir le cinéma imposer ainsi ses images a posteriori.« Désormais, la force du moteur historique, c’est le cinéma. Si par exemple ton père travaillait dans un sous-marin, on dira que c’était comme Das Boot. Et l’image du film se superposera à la réalité. » Plus grave encore selon lui est le fait que notre regard sur l’histoire souffre de plus en plus d’une erreur de perspective qu’illustre bien La maison du pêcheur. « Le problème principal du film est qu’il plonge dans une approche que tous les historiens rejettent : la téléologie », l’idée que l’avenir est entièrement prévisible à partir des situations antérieures.

« On voudrait nous faire croire que ce qui arrive quatorze mois plus tard - la crise d’Octobre - trouve sa naissance et son sens dans ce qui survient en un seul été, au bord d’un quai ! On militait déjà au RIN. J’organisais des manifs. J’avais lu. La mort du Che m’avait touché, comme d’autres choses. En plus, c’est raconté comme si nous venions expliquer à des niaiseux ce qu’il faut faire et penser ! Et comme les Gaspésiens ne comprennent pas tout de suite, on est poussés à devenir plus durs, ce qui expliquerait encore octobre 1970 ! Faudrait arrêter avec les niaiseries ! Ce film montre du mépris pour les Gaspésiens sans même s’en rendre compte. Il ne faut pas surestimer la culture historique des gens, mais il ne faut pas non plus sous-estimer leur intelligence. Dans le fond, c’est la bêtise de ce film que j’haïs le plus. »

Révolution

La morale qui recouvre l’ensemble ne fait qu’ajouter à sa critique. « La Maison du pêcheur devient ici la “maison du pécheur”, au sens judéo-chrétien. On veut que les gens comprennent, qu’ils acceptent ce que nous avons fait. Alors, les explications et les justifications n’en finissent plus. Ça dit : “Excusez-nous, on a péché, mais on voudrait vous expliquer d’où c’est venu”. C’est quand même incroyable de voir autant de gens passer leur temps à essayer de s’excuser, à se justifier et à se sentir coupables à notre place ! »

Se sentir coupable n’est pas la même chose que de se sentir responsable. « J’assume ce que nous avons fait. Les gens voudraient qu’on s’accuse, qu’on s’explique à l’infini parce qu’un Québécois, c’est bon, c’est fin, c’est gentil. Je suis pas gentil ! Je n’ai jamais menacé personne avec une hache comme dans ce film, mais j’ai jamais eu peur non plus d’avoir peur : j’assume mes convictions. »

En finissant son verre de bière, Simard résume. « On a vraiment voulu changer les choses. Et certains voudraient qu’on soit pardonnés pour ça ? J’ai pas à l’être. J’y ai cru, j’y crois encore. J’étais idéaliste. Je le suis resté. C’est pas un crime. Ce film veut ériger un monument. Je déteste les monuments. Changer les choses, c’est encore plus nécessaire aujourd’hui. On retourne vers un capitalisme sauvage. Et on n’a même plus le mirage du socialisme pour s’en consoler. »

Alors quoi, Simard ? « Alors une révolution me semble plus nécessaire que jamais. »


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