Dans l’univers trépidant des actualités, un jour emporte l’autre, sans grande possibilité de flâner trop longuement autour d’une nouvelle. Et pourtant, il y aurait parfois tellement à dire ! Une anecdote, une rencontre inoubliable, un aspect méconnu d’un personnage, tout cela ici réuni dans la mémoire de notre journaliste, relatant ses souvenirs du cinéaste-poète Pierre Perrault.
Lui dans son petit lit d’hôpital, moi accroupi à ses côtés, nous mettions la dernière main à son livre, le tout dernier, Nous autres icitte à l’île, vaste voyage au pays de la mémoire auquel nous travaillions depuis quelque temps déjà. Devant moi, encore une fois, mais pour la dernière, Pierre Perrault essayait de saisir les gens d’ici, avec les tournures de phrase qui leur appartiennent, afin de mieux comprendre comment nous pensons et, surtout, où nous allons. […]
Notre cinéaste-poète était parti très tôt à la découverte du langage et du réel qu’il recouvre, bien certain qu’en chaque lieu, de Blanc-Sablon à Val-d’Or, en passant par les rues de Montréal ou de Québec, se trouvaient des gens capables de démontrer l’existence de ce pays toujours incertain. Perrault avait montré leur héroïsme du quotidien et les avait rendus malgré eux immortels. Au nom de son art du réel, grâce à ses films, Perrault avait ainsi travaillé à faire une place à des hommes qui sont aujourd’hui devenus presque légendaires. Poète, il traduisait la postérité des hommes pour faire entendre leurs voix contre celle des corbeaux de haut vol et autres guetteurs rapaces qui attendent l’essoufflement complet de l’humanité pour se repaître. […]
Même si le temps pressait, il n’hésitait pas à entrer dans une longue digression. Avec force détails, il m’a ainsi raconté comment, dans l’immédiat après-guerre, en 1949 précisément, un voyage avec ses camarades de l’Université de Montréal l’avait conduit jusqu’à Saint-Malo, sur les traces de Jacques Cartier.
La ville était encore en cendres à la suite du déluge de feu lancé du ciel en préparation du grand débarquement de juin 1944. Le clocher de la cathédrale s’était effondré, de même qu’une bonne partie de son toit. Dans ces ruines, au milieu des gravats, le tombeau de Jacques Cartier, perdu au fil des ans, avait soudain été remis au jour, à la suite des indications données par le chanoine Julien Descottes. Le tombeau se trouvait près du croisillon sud du transept.
Cartier, dans la mythologie de Perrault, était déjà une sorte d’Homère qui aurait donné un sens héroïque à son pays. Grâce à un prêtre, possiblement le chanoine Descottes lui-même, Perrault a pu, accompagné de son ami Jacques Joubert, se frayer un chemin à travers les gravillons, puis se pencher sur les restes du célèbre Malouin. Les os du découvreur se trouvaient là, devant lui, à portée de main, au fond d’un tombeau en pierres éclatées. Un crâne, quelques os : voilà tout ce qu’il restait - et tout ce qu’il reste toujours - d’un homme ayant beaucoup vécu, peu importe la fureur avec laquelle il s’était employé à vivre.
Cinquante ans plus tard, à l’heure de faire ses adieux à l’ami Joubert devenu médecin, Perrault eut la surprise de le voir sortir d’un écrin une vertèbre rongée par le temps, une vertèbre du marin malouin ! Jacques Joubert s’en était subrepticement emparé en 1949, sans jamais juger bon d’en parler par la suite, honteux sans doute. La surprise que provoqua cet aveu se transforma vite en franche rigolade. Toute sa vie, Perrault avait fait des voyages du découvreur un guide pour son oeuvre. Et voici que Cartier le rejoignait, au terme même de son existence, par cet étonnant clin d’oeil.
Au fil de sa vie, Perrault a créé un espace où il a joué à son tour un rôle de découvreur, un découvreur de nous-mêmes. Ses livres autant que ses films ou ses séries radiophoniques, tous réalisés avec un soin infini, témoignent de la formidable aventure de cet homme, qui détestait l’arrogance des puissants capables de faire bombance de la misère du pauvre monde.
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