Alyssa Milano n’a pas vraiment gagné son pari. Choquée par les lois restreignant drastiquement l’accès à l’avortement volontaire votées récemment dans plusieurs États (Alabama, Georgie, Missouri), cette comédienne et militante américaine, déjà réputée pour son engagement dans le mouvement #metoo, avait appelé, mi-mai, à une « grève du sexe » pour protester contre les atteintes aux droits des femmes.
Ce mode de contestation, particulièrement intime, lui a attiré quelques messages de sympathie, mais aussi pas mal de moqueries. En quoi se priver d’ébats amoureux devrait embarrasser les législateurs conservateurs à l’origine de ces textes, se sont interrogées nombre de femmes ? « Il s’agissait de lancer le débat », a rétorqué l’actrice.
Depuis, le débat a certes pris de l’ampleur, y compris parmi les nombreux candidats démocrates à l’élection présidentielle de 2020, mais les effets concrets de la contre-offensive des « pro-choice » ne se font guère sentir. Des initiatives, moins intrusives, ont surgi, comme celle incitant au boycott des États concernés et des entreprises qui y font affaire.
Mais aussi classiques soient-ils, ces appels ont tout autant de mal à convaincre que l’audacieuse « sex strike ». Les mots-clés #boycottalabama (où une interdiction de l’IVG même en cas de viol ou d’inceste a été votée) ou #boycottgeorgia (où un nouveau texte pénalise l’interruption volontaire au-delà de six semaines de grossesse) semblent confinés au monde des réseaux sociaux.
« Si la loi devait être appliquée, nous aurions une réflexion sur la totalité de nos investissements en Géorgie. » Ted Sarandos, responsable des contenus de Netflix
Alors que le monde du cinéma (et du sport) avait répondu présent lors de mouvements contre les discriminations envers les personnes transgenres en Caroline du Nord, en 2016, cette fois, la réponse d’Hollywood a tardé à venir. En Georgie, surnommée l’« Hollywood du Sud » en raison des avantages fiscaux qu’elle octroie aux maisons de production et des revenus qu’elle tire de cette activité, aucun tournage n’a pour l’instant été annulé.
Les seuls metteurs en scène qui se sont associés au boycott n’ont pas de projet dans l’Etat. C’est le cas de David Simon, le créateur de la série The Wire (Sur écoute), qui s’est engagé à ne plus tourner en Georgie. D’autres ont promis de faire des dons aux associations qui luttent pour le droit à l’IVG. Le réalisateur Ron Howard, lui, a assuré qu’il quitterait la Georgie… une fois terminé Hillbilly Elegy, le film dont il entame le tournage en juin, pour Netflix, adaptation du best-seller sociologique et autobiographique de J. D. Vance.
Avec prudence, plusieurs géants américains du divertissement ont toutefois fini par sortir de leur silence. Mardi 28 mai, Netflix a annoncé qu’il pourrait ne plus tourner en Géorgie si la loi restreignant l’avortement était appliquée. « Étant donné que la législation n’est pas encore entrée en vigueur, nous continuerons à tourner là-bas, tout en soutenant aussi les partenaires et les artistes qui ont choisi de ne pas le faire. Si la loi devait être appliquée, nous aurions une réflexion sur la totalité de nos investissements en Géorgie », a déclaré le responsable des contenus Ted Sarandos dans un article du magazine spécialisé Variety.
Le lendemain, Disney adoptait une position similaire. Interrogé par Reuters, Bob Iger, le patron de la Walt Disney Company, a expliqué qu’il « serait très difficile » de continuer à tourner en Géorgie, compte tenu de cette récente loi anti-IVG. « Je pense que de nombreux employés de l’entreprise ne voudraient pas travailler là-bas, et nous devrons prendre en compte leurs souhaits à ce sujet », a-t-il déclaré. Enfin, le 30 mai, le groupe WarnerMedia (HBO, Turner, Warners Bros.) a indiqué, dans un communiqué adressé à l’AFP, surveiller de près la situation et réfléchir à un autre endroit que la Géorgie pour ses nouvelles productions.
Côté business, en revanche, encore aucune entreprise n’a pris le risque de se prononcer. Même si deux tiers des Américains souhaitent conserver en l’état le droit à l’interruption volontaire de grossesse, le monde des affaires semble redouter de s’aliéner une partie de sa clientèle sur un sujet qui demeure ultrasensible.
Sollicités par l’AFP, Facebook et Google, qui investissent des centaines de millions dans de nouveaux centres de données en Alabama, n’ont pas donné suite. Discrètement, nombre d’entreprises choisissent plutôt d’inclure dans la couverture santé proposée à leurs salariées le remboursement de l’IVG.
Plus politiques, des responsables de ville ou d’Etat, où la législation sur le sujet est plus progressiste, ont de leur côté adopté des textes « interdisant » à leurs fonctionnaires de se rendre dans ces Etats ultraconservateurs pour des raisons professionnelles. C’est le cas du comté de Los Angeles (10 millions d’habitants), où la présidente du Board of Supervisors, l’organe exécutif du comté, a estimé que la loi adoptée en Alabama « ne concerne pas que les habitantes de cet État mais constitue une attaque contre toutes les femmes ».
Le Maryland a annoncé le même type de mesures, suivi par le Colorado. Quant à la gouverneure du Connecticut, elle a promis des aides aux entreprises d’Alabama dirigées par des femmes qui viendraient s’installer dans son État. Un mouvement pour l’heure plus symbolique que significatif.
Les élus démocrates des Etats montrés du doigt ne sont pas emballés par les appels au boycott qui, estiment-ils, pénaliseraient les habitants et les commerces locaux plus sûrement que les élus ciblés. En outre, les lois vilipendées ont beau ulcérer les défenseurs du droit à l’IVG, elles risquent de ne pas s’appliquer avant des mois, voire des années, suspendues aux recours judiciaires qu’elles commencent à susciter. Un autre genre de bataille, sans doute plus efficace que des appels au boycott.