La Cour supérieure donne enfin raison aux multinationales du détail Best Buy, Costco Wholesale, Gap, Old Navy, Guess, Wal-Mart et Toys “ R ” Us. Comme celles-ci le plaidaient, elles peuvent, en toute légalité, afficher une marque de commerce rédigée uniquement en anglais sur les enseignes qui ornent la devanture de leurs magasins. La Cour supérieure rejette donc l’argument avancé par le procureur général du Québec, qui était celui défendu par l’Office québécois de la langue française depuis 2009. Le nom de l’entreprise et la marque de commerce sont deux concepts distincts. La Charte de la langue française et le Règlement sur la langue du commerce et des affaires sont clairs à cet effet. Lorsqu’ils encadrent l’affichage des marques de commerce, l’article 25 (4) du Règlement prévoit une dérogation à la règle du français ou de la nette prédominance du français pour permettre à l’anglais d’apparaître seul dans l’affichage public et la publicité commerciale. Lorsqu’ils encadrent les noms d’entreprises, l’article 27 du Règlement exige de l’expression tirée de l’anglais d’être accompagnée d’un générique en langue française. Selon la Cour, rien ne permet de dissocier la marque de commerce des mots anglais qui la composent pour assimiler ceux-ci à un nom d’entreprise, et ainsi exiger des entreprises qui affichent une marque de commerce rédigée uniquement en anglais d’y joindre un générique en langue française. Autrement dit, afficher publiquement une marque de commerce n’équivaut pas à afficher un nom d’entreprise, bien que des mots anglais qui composent la première se retrouvent également dans le nom d’entreprise. Le procureur général peut toujours porter le jugement en appel ; les motifs de la Cour supérieure demeureront d’une logique implacable.
Pourtant, Québec peut prendre le parti du français dans ce dossier. Des solutions existent ; l’état du droit exposé par la Cour supérieure n’est pas une fatalité. Celle-ci reconnaît d’ailleurs qu’il appartient au législateur québécois « de montrer la voie s’il estime que le visage linguistique français du Québec souffre d’une vague, voire d’une déferlante, des marques de commerce de langue anglaise dans l’affichage public et d’imposer, par la voie législative au besoin, les solutions qu’il juge adéquates ». La Cour supérieure l’admet sans ambages : « Ce choix relève de la fonction politique et non du pouvoir judiciaire. »
S’il est vrai que le domaine des marques de commerce relève de la compétence législative exclusive du Parlement fédéral, le Parlement du Québec n’est pas totalement dépourvu de moyens lorsque les marques de commerce sont utilisées dans l’affichage public et la publicité commerciale, lui qui possède la compétence législative en matière de « commerce à l’intérieur de la province ». Comme le Parlement fédéral et les législatures provinciales bénéficient de tous les pouvoirs nécessaires pour légiférer relativement aux sujets qui relèvent de leurs compétences législatives, une législation provinciale peut affecter des matières qui relèvent normalement de la compétence du Parlement fédéral, pourvu qu’elle le fasse de manière incidente et que l’empiétement reste accessoire. Par conséquent, bien que l’Assemblée nationale ne puisse légiférer sur les marques de commerce, elle peut utiliser son pouvoir en matière de « commerce intérieur » et créer l’obligation pour les entreprises qui affichent une marque de commerce rédigée uniquement en anglais d’y joindre des éléments en langue française, par exemple un générique.
Pour y arriver, le gouvernement du Québec n’a qu’à abroger l’article 25 (4) du Règlement et la dérogation qu’il prévoit pour l’affichage d’une marque de commerce rédigée uniquement en anglais. La dérogation désormais inexistante, la question des marques de commerce reviendrait dans le giron de la règle générale prévue dans la loi 101, soit le français ou la nette prédominance du français dans l’affichage public et la publicité commerciale. Une entreprise désireuse d’afficher une marque de commerce rédigée uniquement en anglais sur les enseignes qui ornent la devanture de son magasin pourrait toujours le faire. Évidemment, elle n’aurait pas à la franciser puisque le domaine demeure toujours encadré par les lois fédérales. Toutefois, étant donné l’inexistence d’une dérogation applicable aux marques de commerce en matière d’affichage public et de publicité commerciale, l’entreprise aurait l’obligation d’y joindre des éléments en français — par exemple un générique — pour se conformer à la règle générale énoncée dans une loi provinciale encadrant le « commerce intérieur », soit la loi 101 et la règle du français ou de la nette prédominance du français. Il s’agit pour le Québec de poursuivre un objectif de compétence provinciale, d’affecter de manière incidente seulement la compétence exclusive du Parlement fédéral et de respecter l’intégrité des marques de commerce.
LOI 101 ET MARQUES DE COMMERCE EN ANGLAIS
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