CHARTE DE LA LANGUE FRANÇAISE

De langue et de résignation

Philippe Couillard prône une hausse du nombre d’immigrants que reçoit le Québec

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Toute honte n'est pas encore bue

Tout comme son prédécesseur Jean Charest, Philippe Couillard répugne à intervenir sur le plan linguistique. Le premier ministre a dû toutefois s’y résigner, tout comme Jean Charest avait dû le faire, et pour la même raison : un jugement de la Cour lui a forcé la main.

À l’automne 2010, le gouvernement Charest faisait adopter le projet de loi 115 (une adaptation du précédent projet de loi 103) modifiant la Charte de la langue française pour permettre l’accès à l’école publique anglaise à des enfants que les parents fortunés ont envoyés pendant quelques années dans une école privée anglaise non subventionnée. C’est ce qu’on a appelé les écoles passerelles.

C’était en réaction à un jugement de la Cour suprême qui avait invalidé en 2009 la loi 104 adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale sept ans plus tôt. Le gouvernement Charest n’avait fait que se plier à cette décision. Ainsi, les parents d’allophones et de francophones qui n’avaient pas le droit d’envoyer leurs enfants à l’école publique anglaise détenaient maintenant une recette pour y parvenir : satisfaire les critères d’une grille d’évaluation pour déterminer le « parcours authentique » de leur progéniture, qu’ils souhaitaient angliciser.

Il semble toutefois que seulement une poignée de parents a depuis eu recours aux écoles passerelles : en 2014-2015, seulement 62 élèves ont pu obtenir le droit d’étudier à l’école publique anglaise après un passage dans une école privée anglaise non subventionnée, selon le livre des crédits du ministère. Certes, ce droit s’étend à la fratrie de l’élève et à ses descendants, mais l’effet est minime, comme le prédisait la ministre Michelle Courchesne à l’époque. Et puis, les riches n’ont cure de l’école publique : ils peuvent assumer les droits de scolarité de 18 000 $ par an qu’exigent des écoles privées sélectes comme The Study, à Westmount, cette même école qui a permis à Eugenie Bouchard de ne pas avoir d’accent québécois quand elle s’exprime en français, ce dont s’est d’ailleurs félicitée la jeune tenniswoman.

L’annonce

Mercredi, c’est fièrement qu’Hélène David, la ministre responsable de la Protection et de la Promotion de la langue — on ne dit plus responsable de la Charte de la langue française chez les libéraux — a annoncé mercredi que le Conseil des ministres donnait son aval à une modification du règlement de la Charte afin d’obliger des détaillants multinationaux comme Best Buy, Costco Wholesale et Walmart à apposer un descriptif ou un slogan en français à l’affichage de leur marque de commerce en anglais.

Le nouveau règlement doit être publié cet automne pour entrer en vigueur probablement au début de 2016, a indiqué la ministre. Le gouvernement Couillard a dû se résoudre à modifier par règlement la Charte de la langue française après que la Cour d’appel eut confirmé une décision de la Cour supérieure statuant que l’Office québécois de la langue française ne détenait pas le pouvoir, en vertu de la loi 101, de forcer ces commerçants à ajouter quoi que ce soit à leur marque de commerce. Le gouvernement n’a d’autre choix que de légiférer, estimait le juge de première instance ; le gouvernement Couillard a décidé d’en faire le minimum : procéder par un simple règlement.

« J’aurais souhaité que toutes les entreprises le fassent volontairement », a déploré Philippe Couillard. Il y voit une question de « délicatesse », une reconnaissance par ces entreprises qui affirment : « Je sais où je suis, je sais dans quel environnement je suis, je connais l’existence du fait français au Québec », a-t-il souligné la semaine dernière.

Pas de modification

Grâce au nouveau règlement, l’OQLF pourra revenir à la politique que son ancienne présidente, Louise Marchand, sous le gouvernement Charest, avait instaurée à l’égard de l’affichage des marques de commerce. Pour apaiser les multinationales, Hélène David a rappelé que les marques de commerce sont de compétence fédérale et sont visées par des traités internationaux.

Dans ses discours, Philippe Couillard ne manque jamais une occasion de rappeler son devoir de protéger et de promouvoir la langue française. Or, à plusieurs reprises, les libéraux ont réitéré qu’ils étaient fermés à toute modification à la loi 101 et qu’ils tenaient au statu quo.

Ainsi, ils ont rejeté en bloc le projet de loi 14 que la ministre péquiste Diane De Courcy a présenté en 2013. Ce projet de loi imposait, notamment, des exigences linguistiques aux entreprises de 26 à 49 employés pour faire en sorte que le français soit leur langue normale et habituelle de travail, comme l’énonce d’ailleurs la Charte de la langue française. Le porte-parole libéral en matière de langue, Marc Tanguay, avait répliqué en vantant les vertus du bilinguisme au travail. « Si je n’avais pas eu cette capacité-là [de parler anglais], je n’aurais pas les beaux emplois que j’ai eu l’occasion, très humblement, d’occuper », s’était-il épanché.

Bilinguisme

En campagne électorale, Philippe Couillard a d’ailleurs prôné le bilinguisme pour tous les enfants du Québec. À l’étranger, il a justifié son emploi exclusif de l’anglais. Son ministre responsable des Affaires intergouvernementales canadiennes, Jean-Marc Fournier, refuse d’appuyer le Nouveau Parti démocratique, qui propose que les entreprises de compétence fédérale comme les banques fassent du français leur langue de travail au Québec.

Surtout, que ce soit Philippe Couillard ou ses ministres, on vante les progrès que le français a connus et continuerait de connaître, même à Montréal. Ce faisant, on occulte les données de l’OQLF ou du Conseil supérieur de la langue française (CSLF). La moitié des allophones travaille surtout en anglais. Un peu plus du tiers des nouveaux arrivants qui ne connaissent pas le français ne l’apprennent que dans une proportion de 15 %, soit le même pourcentage qu’en 1971. Les deux tiers des « enfants de la loi 101 » poursuivent leurs études en anglais au cégep. Tout va pour le mieux, répètent les libéraux.

Au diapason du Conseil du patronat du Québec, Philippe Couillard a exprimé sa volonté de hausser les seuils d’immigration au Québec, le nombre d’immigrants reçus, dits « économiques », que sélectionne le Québec. C’est inévitable, a-t-il soutenu. Comme on n’arrive pas à ne recruter que des immigrants francophones — 65 % des nouveaux arrivants disent, à l’heure actuelle, connaître le français —, on voit mal comment les nouveaux seuils ne conduiront pas à une augmentation du nombre des nouveaux arrivants qui ne parlent pas le français et qui, pour la grande majorité, ne l’apprendront pas.

« Sur cette planète troublée, menacée, des centaines de millions de femmes et d’hommes rêvent de partager notre citoyenneté », affirmait Philippe Couillard devant les militants libéraux réunis en congrès la semaine dernière. Chose certaine, pour peu qu’on leur ouvre les bras, qu’ils parlent ou non le français, le Québec n’aura aucun problème de recrutement.


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