Une portion de nos archives nationales, pillée par des filous sans scrupules, est revendue sans qu'on ne lève le petit doigt. On voudrait récupérer la part de notre mémoire collective qui s'effiloche dans des voûtes étrangères que nous ne le pourrions pas: les budgets d'acquisition pour les morceaux rares n'existent plus.
Les articles d'Isabelle Paré publiés dans Le Devoir hier et aujourd'hui suivent la trace de documents ayant appartenus aux Archives nationales du Québec. Dérobés à un moment imprécis de l'histoire contemporaine, ces morceaux de notre mémoire ont atterri dans des bibliothèques américaines. Le journal historique Relation du voyage de la Louisiane ou Nouvelle-France a été vendu à New York par Christie's pour 276 000 $US. Rien ne sera fait pour retrouver cette mémoire perdue qui file à gros prix ailleurs.
C'est bien sûr faute de ressources qu'on ne s'activera pas, ni devant les tribunaux, ni non plus dans les ventes aux enchères où sont et seront englouties d'autres parcelles de mémoire. Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ) a déjà eu un mince budget d'acquisition pour enrichir ses fonds autrement que grâce aux dons. Il était même possible de pratiquer l'art de la négociation lorsque le document en valait la chandelle. Hélas! Dans un contexte de compressions, ce budget s'est évanoui. Impossible de combler nos trous de mémoire.
D'immenses brèches zèbrent le tableau général de notre mémoire collective: des incendies survenus en cours d'histoire, de mauvaises conditions de conservation, les transferts liés aux guerres — la Conquête, par exemple, constitue une importante période de flottement —, la confusion entre les intérêts publics et privés, tout cela explique en partie l'absence de certains documents. Des pièces existent sans même qu'on le sache, car elles n'ont pas été répertoriées — impossible de noter au registre 55 km d'archives papier! Certains morceaux ont donc été volés dans l'indifférence totale, puis revendus par des fricoteurs sans éthique.
Difficile de blâmer BAnQ, dont le rôle de gardien du patrimoine documentaire — et d'admirable diffuseur, il faut le souligner — est à la mesure de ses moyens. Des moyens qui sont le reflet d'une politique passoire en matière de patrimoine. Les institutions réagissent comme elles le peuvent lorsque des citoyens lancent des alertes. Mais du haut de la pyramide politique, on pratique l'indifférence. Une vision en matière de protection du patrimoine? Il n'en existe pas.
Les documents archivés sont aujourd'hui bien protégés, et leur diffusion est garantie. Mais pour ces strates perdues — ou volées — de notre histoire, quels sont les moyens consentis à leur recherche et leur acquisition? Croisons les doigts pour que tous les filons de notre mémoire collective soient «donnés» à BAnQ — en échange de déductions fiscales soutenues par la collectivité, notons-le! Mais si d'aventure une pièce essentielle se retrouvait chez Christie's, il faudra regarder passer le train.
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machouinard@ledevoir.com
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