Année dérangeante

Laïcité — débat québécois

2007 a été une année douloureuse pour ce qu'on pourrait appeler notre substrat québécois. Les divergences d'idées, trop souvent manifestées, hélas, par des échanges injurieux, se sont exprimées autour d'un thème passionnel et explosif: la religion. On ne cessera pas de s'étonner de la violence que provoque chez plusieurs Québécois, en majorité baby-boomers, une approche distancée, donc nuancée, de la religion et de son rôle dans l'histoire du Québec. Toute tentative de remettre l'apport religieux dans un contexte historique et culturel suscite des levées de boucliers sous forme de réactions épidermiques, de rages aveugles et, dans le meilleur des cas, de rires sardoniques.
Le psychodrame autour des accommodements raisonnables s'est joué avant tout sur la scène d'un passé dont les acteurs principaux n'étaient pas les immigrants mais nous, les «de souche». Et cela, parce que la clé de voûte des accommodements contestés repose sur la religion, ce mot chargé de tant de maux. À ce jour, les bilans qui ont été dressés de la Révolution tranquille ont surtout porté sur les aspects socioéconomiques, voire culturels, de celle-ci.
Peu de gens ont tenté d'analyser les secousses telluriques pour ainsi dire subies par le moi collectif. La décléricalisation et la déchristianisation concomitante ou subséquente, plusieurs intellectuels les ont vécues comme des évolutions naturelles sans douleur. Ils en ont, comme diraient les psychanalystes, scotomisé les retombées. Ce sont donc des immigrants fondamentalistes religieux qui, par leurs demandes, ont involontairement attisé les braises sous lesquelles un feu terrible couvait.
Il fallait être bien naïf ou bien ignorant de l'histoire pour croire qu'un peuple «de foi trempé» pouvait réussir en quelques années à se «libérer» de la religion alors que les rares peuples, dont les Français, qui ont instauré la laïcité ont mis quelques siècles pour y arriver. Et encore. Quand on a grandi dans l'odeur des cierges et de l'encens, entouré de chants grégoriens, d'histoire sainte, de faute originelle et de péchés mortels, on demeure marqué dans sa sensibilité.
La haine -- et je pèse mes mots -- qu'expriment plusieurs lecteurs envers toute la sphère religieuse révèle l'état d'esprit de ceux qui l'éprouvent. Le sentiment antireligieux à la québécoise repose souvent sur un refus d'analyse, c'est-à-dire de rationalisation. Il ne peut en aucun cas être confondu avec une défense de la laïcité, laquelle n'exclut guère l'appartenance à une foi religieuse. En d'autres termes, un défenseur de la laïcité peut être croyant ou incroyant, et l'incroyant, la plupart du temps, ne sera ni antireligieux ni même un adversaire acharné de l'Église. Par contre, les zélotes antireligieux en ont davantage en commun avec les fondamentalistes religieux qu'ils ne le croient. On s'en surprendra d'autant moins si on se souvient de l'histoire des croisades, de même que de celle des massacres de la Terreur pendant la Révolution française.
Il y a quelque chose d'infiniment dérangeant dans le débat sur la religion qui nous est tombé dessus en 2007. Comment ne pas sentir chez nombre de Québécois ces blessures anciennes à la cicatrisation impossible? Tant de jeunes ont été heurtés, malmenés, scandalisés au sens évangélique («Malheur à celui qui scandalise un de ces petits qui croient en moi»). Il semble impossible pour plusieurs de faire l'économie du ressentiment et de la vengeance. Au point où les excuses du cardinal Ouellet ont été l'occasion pour ces personnes d'exprimer publiquement une rage qui, en fait, camoufle la douleur.
Il faut souhaiter qu'en 2008 s'apaisent ces colères, s'adoucissent nos débats, aussi vigoureux soient-ils. Si les lecteurs me permettent quelques voeux, j'espérerais d'abord que diminuent les injures, que cessent les attaques ad hominem. Rien n'est plus blessant ni plus stérile que ces débordements exprimés entre autres dans les courriels. La laïcité ne se construira pas sans une capacité de faire la part des choses, autre voeu que je formule avec ardeur. Sur le plan humain, rien ne se construit durablement si on fait tabula rasa du passé, des racines, si on coupe le coeur des vaisseaux qui le drainent. Si on s'arrache à la sensibilité de l'enfance. Si on renie la mémoire de ceux qui ont tracé le parcours dans lequel nous nous sommes inscrits.
Je souhaite pour ma part que les lecteurs de ce journal à la fois fort de son indépendance et vulnérable dans son isolement commercial, donc doublement nécessaire, comprennent que le débat recherché par ces chroniques ne contient aucune arrière-pensée malicieuse. Je ne souhaite offenser personne. Plusieurs, Dieu merci, ont compris que mes apparentes affirmations cachent souvent des interrogations et que le plaisir de débattre est à l'opposé de la volonté d'avoir raison, le contraire même du dialogue recherché.
Bonne année à vous tous, chers lecteurs. Souhaitons-nous une année de clairvoyance et de choc des idées, le sourire aux lèvres.
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denbombardier@videotron.ca
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