Il y a une grande hypocrisie actuellement à ne pas reconnaître que c'est le religieux qui l'emporte sur toute autre considération dès que la liberté de religion est invoquée. Et les victimes de cette préséance ont un nom: les femmes.
Le gouvernement libéral refuse de consacrer la primauté de l'égalité entre les hommes et les femmes; le président de la Commission des droits de personne et des droits de la jeunesse assure qu'en droit, cela ne se fait pas. Leur argument: les droits prévus aux chartes doivent être traités sur le même pied. Alors, on s'accommode. Ou plutôt, on raccommode l'inacceptable.
Car, dans la réalité, cette recherche de l'équilibre n'a aucun sens. Et ce, pour une raison fondamentale: quasi toutes les religions reposent sur le postulat de l'infériorité des femmes. Bien des croyants sont, bien sûr, sortis de cette logique obscurantiste. Mais la réalité, c'est qu'en Occident, ceux qui brandissent le plus le droit à la liberté de religion sont les intégristes.
Ceux-ci suivent à la lettre les préceptes les plus stricts. Cela touche les moments de prière, les interdits alimentaires, le port de signes religieux, tout comme le refus de certains rapports aux femmes: leur serrer la main, être dans un lieu clos avec l'une d'elles, être soumis à leur autorité. Ou encore interdire aux femmes de faire affaire avec un homme, de montrer leurs cheveux, leur visage ou leur corps en public, etc. En clair, la femme n'existe pas comme être humain: elle est chosifiée, et le comportement à son égard est codifié, au même titre que le déroulement d'une prière, d'un repas ou d'une célébration religieuse.
Quand, dans les institutions publiques, s'expriment des exigences au nom de la religion, il y a donc au départ maldonne. Il y a, du côté intégriste, non pas équivalence, mais refus de l'égalité entre les hommes et les femmes. La hiérarchie des droits qui, selon nos dirigeants, n'existe pas est au contraire totalement à l'oeuvre: c'est la religion qui prime au détriment des femmes, et c'est cela que l'on va «accommoder».
Dans un texte fort intéressant qui tentait de faire voir l'absurdité de «l'accommodement» mis en place à la Société d'assurance automobile du Québec et avalisé par la Commission des droits de la personne, quatre membres du Collectif citoyen pour l'égalité et la laïcité ont mis en scène un homme qui refuse d'être servi par un Noir. Les auteures mettent la réponse suivante dans la bouche du gestionnaire: «Pas de problème, dès qu'un Blanc se libérera, il pourra vous répondre.» Le racisme, inacceptable, intolérable, saute aux yeux. Et devant une telle scène, jamais un premier ministre ne banaliserait l'affaire en disant: «Ce n'est arrivé que six fois en six mois.»
Pourquoi, quand le mot «Noir» est remplacé par «femme», la discrimination devient-elle excusable? Pourquoi trouve-t-on des manières d'y répondre (et c'est la Commission elle-même qui donne le truc: pour que l'employée ne se rende pas compte que l'on ne veut pas d'elle, ce qui porterait «atteinte à sa dignité» (sic!), il suffit que la demande d'accommodement soit traitée par un tiers, au comptoir, ou envoyée par écrit!!!)? Pourquoi des gens intelligents, des progressistes, des femmes ministres qui ne sont pas sans connaître la très dure lutte des femmes pour leurs droits ne voient-ils pas le problème?
Parce que s'enfermer dans la logique juridique fait perdre de vue le système patriarcal qui sous-tend la demande intégriste. L'exemple du Noir reste théorique parce que les religions ne se fondent pas sur le racisme. Le conflit entre la religion et un autre droit protégé par les chartes ne concerne que l'égalité des sexes, car seul le sexisme est intrinsèquement lié aux religions. Transformé en une «croyance religieuse sincère», pour reprendre l'expression de la Cour suprême, le sexisme devient dès lors juridiquement acceptable. Dans nos sociétés de droit, tout le débat s'arrête là.
Devant cette confusion, il y a nécessité d'affirmer la primauté de l'égalité homme-femme, même si cela implique une bataille juridique. Après tout, le droit de vote des femmes aussi a longtemps été perçu comme une aberration, tout comme il a fallu une longue lutte devant les tribunaux pour savoir si les femmes étaient des «personnes».
En corollaire, il devient urgent que le Québec se penche sur la laïcité de sa fonction publique. L'agent de l'État ne devrait avoir ni sexe, ni race, ni religion, tout comme il n'a pas d'appartenance politique, ce qui est un gain de la Révolution tranquille. Dans notre Québec aux multiples visages, il est grandement temps d'arrimer nos institutions à l'évolution de notre société, et que le message soit clair et inébranlable.
jboileau@ledevoir.ca
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