Des incidents comme celui rapporté vendredi dans Le Devoir — un citoyen refusant de se faire servir par une employée de la Régie d'assurance maladie du Québec (RAMQ) qui était voilée — risquent de se reproduire tant que le gouvernement du Québec ne statuera pas sur la neutralité de l'État. Une mise au point exigeante, mais devenue urgente.
La nouvelle du Devoir a suscité bien des réactions ces derniers jours, transformant à nouveau les lieux de débats en un concentré de commission Bouchard-Taylor. Comme avant cette commission, et comme c'est toujours le cas depuis — car non seulement le rapport couvrait mal le sujet, mais il a été remisé —, les esprits s'échauffent vite dès qu'un incident survient. Les accusations de racisme ne sont jamais loin, les appels à la laïcité la plus assumée, sur le modèle français, abondent.
Il est très tentant pour les Québécois, si proches de la France, de vouloir s'en inspirer. Mais tout ne se transpose pas facilement. Car il est tout à fait vrai que, dans le cadre légal en vigueur au Canada, contrairement à la France, rien ne permet de défendre juridiquement la laïcité de l'État.
L'avocat Jean-Claude Hébert donne des explications limpides à ce sujet. Dans sa chronique du Journal du Barreau de décembre qui a pour titre «Laïcité et symboles religieux - Croisade des juges», il explique que là où la Convention européenne protège à la fois la liberté de croire et celle de ne pas croire, le préambule de la Constitution canadienne reconnaît sans ambages «la suprématie de Dieu». Dans cette optique, les juges ont généralement tranché au profit de la liberté religieuse. Il n'y a donc pas ici de stricte neutralité de l'État, mais une neutralité bienveillante de celui-ci, résume Me Hébert.
Ce qui est fascinant toutefois, c'est à quel point un critère interprétatif devenu aussi fondamental dans notre société bigarrée tient presque à l'accident de l'histoire, comme en témoigne un autre texte de Me Hébert, publié ci-contre. La venue de Dieu dans la Constitution, qui va colorer toute l'analyse juridique, ne tombe pas du ciel, mais est le produit politique d'une société chrétienne, homogène, qui voulait défendre un certain type de civilisation. À cet égard, Pierre Elliott Trudeau s'est montré bien léger d'avoir cédé sur ce terrain, lors de l'adoption de la loi constitutionnelle. Mais il faut dire que toute notion d'accommodement n'était alors que pure fiction intellectuelle.
Le contexte a changé, aux politiciens de refaire leurs devoirs, et de livrer bataille s'il le faut. Il y a un vide à combler. Les institutions de l'État manquent de balises et se tournent — comme vient de le faire la RAMQ, et comme l'a fait avant elle la Société d'assurance automobile du Québec dont on a tant parlé cet automne — vers la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, elle-même aux prises avec ses contradictions, évoquant dans un dossier sur le hidjab l'atteinte «au principe de neutralité religieuse de l'État», niant au contraire l'existence même de ce principe face au plaignant de la RAMQ.
Faut-il que nos élus du Québec votent une Charte de la laïcité, une clarification du préambule de la Charte québécoise des droits? Il s'agit là de propositions dont tous les tenants et aboutissants devront être mesurés. Mais ce qui est sûr, c'est qu'il faut agir. Donc faire preuve de courage politique. Le gouvernement Charest en est-il capable?
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jboileau@ledevoir.ca
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