La Saint-Jean-Baptiste - ou fête nationale - n’est pas l’apanage des Québécois. Du Yukon jusqu’en Acadie, le 24 juin est célébré dans toute la francophonie canadienne, et même américaine. Si la même fierté est portée aux nues, la fête s’adapte aux saveurs locales.
L’idée n’avait pourtant pas de quoi défriser le petit Saint-Jean- Baptiste. Curieuse de la réaction des Québécois, la Franco-Ontarienne Andréanne Germain, flanquée de deux Québécois qui ont joué le jeu, est allée se promener avec un drapeau de son coin de pays (un étendard vert et blanc portant l’emblème de l’Ontario et la fleur de lys) en pleine fête de la Saint-Jean à Québec.
Entre les visages ébaubis et les regards incrédules - « Ben voyons, la Saint-Jean, c’est la fête des Québécois ! » -, la jeune cinéaste d’une vingtaine d’années et ses acolytes imposteurs devront s’expliquer à plusieurs reprises : « À la base, la Saint-Jean, c’est la fête des Canadiens français. » Le tout est capté par une caméra qui la suit et qui deviendra le film Pis nous autres, dans tout ça ?, un court métrage de réflexion et de confrontation identitaire sur la trame de la francophonie canadienne produit en 2007 par l’ONF.
Quelques années plus tard, la confusion - l’ignorance, peut-être - règne toujours. À qui appartient la Saint-Jean-Baptiste ? Aux Québécois nationalistes ou à toute la francophonie ? « C’est un faux débat », tranche Marc-André Gagnon, candidat au doctorat en histoire de l’Université de Guelph en Ontario. La fête est de toute façon d’origine païenne, alors qu’on allumait de grands feux pour célébrer le solstice d’été, ensuite récupérée par l’Église.
Mais pour comprendre la Saint-Jean dans sa forme actuelle, dit-il, il faut se replonger dans le Canada du XIXe siècle, particulièrement après les rébellions de 1837-1838. « Il y a deux facteurs à cette époque. D’une part, on a la force de l’Église et des sociétés porteuses d’identité nationale comme la Société Saint-Jean-Baptiste et deuxièmement, il y a de grandes vagues migratoires, celles des Québécois qui s’installaient dans l’Ouest canadien par exemple. La fête s’est répandue comme ça, à travers le continent.»
De saint Joseph à saint Jean-Baptiste
Avant cela, à l’époque de la Nouvelle-France, le saint patron était saint Joseph, comme décidé par les Jésuites, rappelle pour sa part l’historien et auteur de manuels scolaires, Sébastien Brodeur-Girard. Et jusqu’au début du XIXe siècle, il n’y a eu que très peu de références à saint Jean-Baptiste, avant qu’il ne devienne le « saint patron spécial auprès de Dieu des fidèles franco-canadiens », comme entériné par le pape Pie X.
C’est toutefois Ludger Duvernay qui introduit d’abord la référence à ce saint, en fondant en 1834 « Aide-toi et le Ciel t’aidera », qui deviendra plus tard la Société Saint-Jean-Baptiste. « On fête d’abord la fête nationale des Canadiens, et ça s’inscrit dans le projet politique des patriotes d’une république en devenir. On assiste à des banquets qui font la promotion des produits du terroir et on va accorder plus tard [à cette fête] la personnalité de Saint-Jean-Baptiste », raconte Marc-André Gagnon.
La légende veut que Jean-Baptiste fût un prénom populaire chez les hommes, ce qui aurait influencé Ludger Duvernay, rappelle M. Brodeur-Girard. Saint-Jean-Baptiste, c’est surtout « l’agneau sacrificiel » dans un Bas-Canada qui vit un renouveau du christianisme. « Ce n’est pas anodin que ce renouveau religieux corresponde à l’échec des rébellions », précise-t-il, soulignant que des Irlandais et des Américains étaient aussi de la fête.
Les Canadiens français étant un très grand peuple de missionnaires, pas étonnant que le français se parle et que la Saint-Jean se fête dans plusieurs endroits, y compris dans les communautés francophones du Canada, en Alberta, en Ontario jusqu’en Acadie (en 1880). « La fête n’est pas une transplantation de ce qui se fait au Québec, pas plus que le Québec se l’est appropriée, insiste Marc-André Gagnon. Chacun la célèbre à sa façon, mais toujours dans une optique où, oui, on célèbre le local, mais pour le projeter dans quelque chose de plus grand. »
C’est ainsi qu’à La Broquerie, par exemple, petite ville du Manitoba, la Saint-Jean, célébrée depuis 1897, poursuit sa tradition de pique-nique et d’activités festives. Elle a des échos en Alberta, où des célébrations semblables ont aussi lieu depuis la fin du XIXe siècle. Le Yukon n’est pas en reste où, à Whitehorse, l’Association franco-yukonnaise (AFY) organise des festivités dans une version où le bleu du fleurdelisé est quelque peu édulcoré par souci d’inclusion. « Ici, c’est plus multiculturel, il y a ce sentiment que c’est une plus grande ville, plus urbaine que Dawson, par exemple. On attire et rassemble les gens et il y a un mélange des cultures, des langues, des coutumes », explique Roch Nadon, directeur des arts, de la culture et des jeunes à l’AFY.
Méli-mélo de plusieurs traditions, la fête Solstice Saint-Jean-Baptiste (ainsi renommée en 2008) de Whitehorse inclut désormais dans son programme aussi bien les traditionnels feux de la Saint-Jean sous le soleil de minuit que de la musique québécoise et acadienne, de la salsa ou du bhangra (danse indienne) et du « barn dance » aux accents country.
C’est tout le contraire de Dawson, cette petite ville plus isolée aux frontières de l’Alaska, où, étonnamment, vous risquez davantage de voir des drapeaux du Québec et d’entendre des haut-parleurs crachoter du Vigneault et du Paul Piché.
Mais célébrer sous le signe de l’ouverture ne signifie pas de renier ses origines, croit Roch Nadon. « Ces activités-là sont des opérations de relation publique. On a mené plusieurs batailles pour le français, certaines gagnées et d’autres perdues, et il ne faut pas que ce soit dilué », souligne-t-il, précisant toutefois que les maîtres de cérémonie sont bilingues. « Mais si on veut démystifier c’est quoi la Saint-Jean auprès des Anglos et leur expliquer nos demandes et nos défis, il faut leur parler en anglais ».
Une fête politique
Le film d’Andréanne Germain en fait bien la démonstration : la Saint-Jean semble être devenue, pour les Québécois, une fête associée à l’indépendance, valeur que ne partagent pas nécessairement les communautés francos hors Québec. Pourquoi ? « Ça date du début des années 1960, dit Marc-André Gagnon. C’est là qu’on va commencer à coller une étiquette souverainiste aux célébrations de la Saint-Jean-Baptiste. » À cette époque, souligne-t-il, la Société Saint-Jean-Baptiste prend officiellement position pour l’indépendance. On délaisse les traditionnels banquets pour se tourner vers de grands spectacles de musique en plein air comme vecteur de l’affirmation identitaire des Québécois. Dans un contexte de tension entre le Canada et le Québec, René Lévesque fait de la Saint-Jean-Baptiste la fête nationale des Québécois. Le Canada a bien son 1er juillet…
Mais les Québécois souverainistes ne sont pas coupables du vol ou de la récupération de la fête, insiste M. Gagnon. « Comme historien, j’essaie de casser le mythe que les souverainistes ont politisé la fête. Elle a toujours été politique. Elle l’a été pour les francophones en situation minoritaire au Canada, du moment que cette fête-là servait à exprimer la fierté de parler la langue et de la culture francophone, dit-il. Toutes les célébrations nationales sont des fêtes à propriété partagées. Elles sont la propriété des gens qui les célèbrent, qui les promeuvent et les organisent. […] Elles sont un point de rencontre et un tremplin pour la discussion entre les communautés francophones. »
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