Vérifiez autour de vous, peu de gens peuvent nommer les chefs des trois grandes centrales syndicales au Québec*.
Les temps ont changé. Dans les années 70, les leaders syndicaux étaient archiconnus. Leur notoriété a grimpé en flèche lorsque Robert Bourassa a jeté en prison Marcel Pepin, Yvon Charbonneau et Louis Laberge.
Je me souviens du ministre du Travail, Jean Cournoyer, qui passait en coup de vent devant les caméras de télévision, les cheveux en bataille, la cravate défaite, une pile de dossiers sous le bras. C'était le ministre le plus occupé du gouvernement Bourassa.
Pas étonnant. Au milieu des années 70, le Québec avait perdu plus de six millions de jours-personne en conflit de travail, comparativement à un million à la fin des années 60. Et les grèves étaient sauvages. Le Conseil des services essentiels n'existait pas. Les Montréalais se tapaient des grèves-fleuves où les transports en commun étaient paralysés et les déchets laissés à l'abandon.
Même phénomène de notoriété dans les années 80 et 90 avec les Gérald Larose et Lorraine Pagé qui étaient dans nos salons pratiquement tous les soirs via le petit écran.
Aujourd'hui, c'est le calme plat. En 2007, le Québec a connu un creux historique. La province a perdu seulement 200 000 jours-personne en grève ou en lock-out.
Les leaders syndicaux ne font plus les nouvelles. Ils sont moins connus du grand public. Par contre, les mises à pied alimentent les manchettes: les sandales Crocs, l'usine de textile Golden Brand, TQS. Le nouvel ennemi: la mondialisation.
«On est en concurrence avec les pays en voie de développement, pas avec l'usine voisine», affirme Lorraine Pagé.
J'ai rencontré Lorraine Pagé chez elle mardi, à la veille du 1er mai, fête des Travailleurs. Elle n'a pas changé: même voix pointue, même ton de maîtresse d'école, même passion. Elle a dirigé la CEQ (Centrale de l'enseignement du Québec) pendant 11 ans, de 1988 à 1999.
Elle a quitté la présidence de la centrale en mai 1999. Dans la honte. Accusée d'avoir volé une paire de gants dans un magasin La Baie, elle a démissionné dès que le verdict de la cour municipale est tombé: coupable.
L'agent de sécurité de La Baie l'a quasiment traitée en criminelle. «Vous êtes accusée de vol, lui a-t-il dit. Vous ne pouvez appeler personne sauf votre avocat.»
En 1999, Lorraine Pagé annonçait sa démission comme président de la CEQ à la suite de sa condamnation pour le vol d'une paire de gants. Même si elle a été blanchie par la suite, cette histoire la suivra à jamais, estime-t-elle. (Archives La Presse)
«En une seconde, tout a basculé, se rappelle-t-elle. Un incident banal a mis fin à ma carrière. Je me suis dit: «Si je fais un point de presse, les gens ne verront pas la présidente de la CEQ, mais une femme qui a des démêlés avec la justice.»«
Elle a finalement été blanchie par la Cour d'appel, mais cette histoire a laissé des stigmates, dont une facture de 25 000$ de frais d'avocat. Aujourd'hui, elle lève les yeux au ciel dès qu'on prononce le mot gants.
«Cette sapristi de paire de gants, elle va me suivre jusqu'à ma mort!» lance-t-elle en riant.
On a vite laissé les gants de côté pour causer syndicalisme.
Dépassés, les syndicats?
«Non, tranche Lorraine Pagé. Les gens disent: «Ils défendent leurs acquis, ce sont des dinosaures.» Ben voyons donc! Les syndicats ont mené des luttes pour obtenir des meilleures conditions de travail, des salaires plus élevés, un milieu plus sécuritaire, des vacances payées, un congé de maternité payé, l'équité salariale. Les jeunes s'imaginent que les patrons se sont levés un matin et qu'ils nous ont donné tout ça! C'est faux. Chaque gain a été arraché par les syndicats.»
En 1872, le Canada a légalisé les syndicats. Après la Première Guerre mondiale, plus de la moitié de la population du Québec vivait dans des villes. La province s'industrialisait à toute vitesse et les quartiers ouvriers se multipliaient. Seul le clergé niait la réalité et s'entêtait à pousser les bonnes âmes vers l'agriculture, mère de toutes les vertus.
Le syndicalisme a une longue tradition de lutte au Québec. Aujourd'hui, 40% des travailleurs sont syndiqués. Dans le reste du Canada, ce chiffre tombe à 28% et aux États-Unis, il dégringole à 13%. «Le syndicalisme est la seule force organisée pour défendre les travailleurs, l'unique contre-pouvoir», souligne Lorraine Pagé.
Oui, les syndicats sont dépassés par l'impact de la mondialisation et les fermetures d'usine; oui, certains se comportent comme des fiers-à-bras; et oui, les leaders syndicaux ont parfois l'air de dinosaures, mais les travailleurs ont besoin d'eux. Aujourd'hui, plus que jamais.
* Michel Arsenault à la FTQ, Claudette Carbonneau à la CSN et Réjean Parent à la CSQ.
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
Aucun commentaire trouvé