Ces jours-ci, des analyses journalistiques et des ouvrages de toutes sortes nous rappellent la ferveur, les idéaux et les lendemains un peu moins romantiques des événements de 1968 en France et également au Mexique, en Pologne, en Inde, en Tchécoslovaquie, aux États-Unis et ici avec la Révolution tranquille.
Les jeunes s'y sont mobilisés en masse, prenant la rue et rejetant le conservatisme et les hiérarchies sociales qui dominaient alors. On dénonçait la société de consommation, les abus du capitalisme et du communisme autoritaire, et on réclamait plus d'égalité, plus de liberté et plus de justice sociale.
Le mécontentement était grand face à l'establishment et aux élites au pouvoir dans divers pays. Plusieurs soixante-huitards se remémorent souvent avec nostalgie les événements de l'époque et semblent rêver pour les jeunes d'aujourd'hui qu'une autre révolte populaire puisse leur redonner de telles expériences de solidarité, d'unité et d'espoir de changer le monde.
Mêmes idéaux
Relisant certaines de ces analyses, je ne peux que penser que ces mêmes idéaux sont en fait encore très présents chez les jeunes et les moins jeunes aujourd'hui, en 2008. Il y a certes eu des gains et des progrès considérables depuis 1968: qu'on pense par exemple aux avancées des droits des femmes et des homosexuels. À l'université, on a fait de la place aux étudiants au sein de divers comités et les professeurs sont descendus de leur chaire, comme le réclamaient les étudiants de mai 1968 à Nanterre, afin d'ouvrir un espace de dialogue et de débats.
Mais en 2008, ici même au Québec et au Canada, le mécontentement semble aussi présent face aux structures sociales, aux partis politiques, aux institutions internationales et à leurs politiques néolibérales: qu'on pense à l'Organisation mondiale du commerce, au FMI ou à l'ONU. Est-ce donc vrai que les jeunes d'aujourd'hui sont désillusionnés et non politisés?
De la perspective
Enseignant à l'université depuis quelques années -- entre autres sur les mouvements de résistance -- et ayant moi-même passé de nombreuses années comme étudiante au sein du système universitaire canadien, il me semble important de remettre un peu les choses en perspective. D'abord, en 1968, tout comme aujourd'hui, ce n'était pas tous les jeunes qui étaient fortement politisés et engagés dans toutes sortes de mouvements et qui rêvaient de refaire le monde.
Lorsqu'on parle des neuf ou dix millions de grévistes français qui se sont joints aux étudiants et sont descendus dans les rues pendant trois longues semaines, on oublie souvent qu'un nombre élevé d'entre eux n'étaient pas dans le feu de l'action mais plutôt témoins surpris, souvent interpellés et, pour plusieurs, nouvellement politisés par les revendications d'une révolte étudiante contre le paternalisme autoritaire et patriarcal de l'après-guerre.
On passe aussi sous silence le fait que, vu l'ampleur et la radicalisation des jeunes et de la classe ouvrière, ce sont les leaders syndicaux français qui ont finalement dû faire pression afin de mettre fin aux grands bouleversements de Mai 68. Ceci a certes laissé des traces un peu amères pour cette génération et les suivantes!
Stéréotypes
Aujourd'hui, qu'est-ce qui a changé? Les jeunes sont-ils désabusés et uniquement à la recherche de leur petit confort matériel? Ce type de stéréotypes qu'on entend trop souvent ne nous permet pas de bien saisir le contexte dans lequel les jeunes d'aujourd'hui évoluent. Il est certes vrai que la majorité des étudiants semblent plutôt préoccupés par leurs résultats scolaires et le type d'emploi qu'ils pourront obtenir à la fin de leurs études universitaires.
Parce qu'aujourd'hui, parents, médias, orienteurs et employeurs leur laissent tous croire que pour décrocher un job intéressant, ça prend au moins un bac! [...] Il leur faut donc réussir, se démarquer, se mobiliser dans leur milieu, décrocher la bourse d'études et la mention spéciale, apprendre une troisième langue... L'objectif? Obtenir un bon emploi au plus vite afin de pouvoir rembourser les dettes d'études qui s'accumulent. [...]
Contraintes du quotidien
C'est dans ce contexte socioéconomique et politique qu'on doit s'interroger sur l'engagement des jeunes d'aujourd'hui. Ils ont souvent cette contrainte du temps et des pressions du quotidien qui expliquent également que plusieurs ont peu de temps pour se réunir, réfléchir et militer auprès de divers mouvements, étudiants ou autres. [...]
Malgré ce contexte peu reluisant et le manque de perspectives encourageantes en matière d'emploi au sein d'une société canadienne de plus en plus conservatrice, où les gouvernements provinciaux et fédéral sont en train de renverser certains des acquis de ladite révolution de 1968, plusieurs étudiants sont très informés, passionnés, engagés et politisés. [...]
Peu d'appui pour les jeunes
Pourquoi ne parle-t-on plus ou si peu des grandes manifestations étudiantes au Québec en 2005? Qui est descendu dans la rue pour appuyer leurs revendications pour un meilleur accès aux études universitaires? Où étaient les soixante-huitards qui partageaient ces mêmes idéaux? Certains y étaient, certainement, mais nombreux sont ceux qui se sont demandé pourquoi ces jeunes perdaient encore leur temps avec une telle grève qui ne devait mener nulle part!
Qui a donné la parole aux jeunes manifestants et qui les a encouragés à rêver? Et que nous présentent les médias lorsqu'il y a de grandes manifestations comme celle de Montebello, en août 2007, ou celle du Sommet des Amériques entourant les négociations de la Zone de libre-échange des Amériques, en avril 2001 à Québec? Quelque 50 000 personnes sont alors descendues dans les rues et ont pris position sur des enjeux qui les préoccupent en tant que société (libre-échange, démocratie, droits de la personne, sécurisation, militarisation, droits des peuples autochtones, droits des sans-papiers et, aujourd'hui, certificats de sécurité).
Qui se rappelle aujourd'hui de ces luttes et événements récents lorsqu'on se remémore les manifs de mai 1968? Le 8 décembre dernier, des milliers de jeunes se sont mobilisés pour la Journée mondiale du climat, en parallèle à la conférence de Bali qui tentait de négocier les grandes lignes qui permettraient de prolonger le protocole de Kyoto au-delà de 2012.
D'autres exemples
Dans plusieurs villes canadiennes, des marches et des initiatives diverses ont été organisées afin de dénoncer l'inaction et les politiques antiécologiques du gouvernement Harper et des grandes entreprises pétrolières en ce qui a trait aux changements climatiques. En février 2003, nous avons également assisté à une des manifestations anti-guerre les plus importantes de l'histoire, qui s'est simultanément déroulée un peu partout sur la planète et à laquelle de nombreux jeunes ont participé!
Depuis 2001, des milliers de jeunes se sont intéressés aux forums sociaux mondiaux qui se sont à leur tour multipliés et délocalisés afin de permettre au plus grand nombre de penser ensemble des solutions de rechange pour un autre monde. Ainsi, l'été dernier a eu lieu le premier Forum social québécois à Montréal, auxquels plus de 5000 personnes ont participé à une foule d'ateliers et d'événements artistiques et culturels «engagés». De quoi convaincre les plus récalcitrants que la jeunesse de 2008, loin d'être empotée, a de quoi dire et agir!
***
Marie-Josée Massicotte, Directrice des études internationales et langues modernes et professeure adjointe à l'École d'études politiques de l'Université d'Ottawa
L'engagement des jeunes 40 ans après mai 1968
Pas si désillusionnée, notre jeunesse
Mai 68 - mai 2008
Marie-Josée Massicotte1 article
Directrice des études internationales et langues modernes et professeure adjointe à l'École d'études politiques de l'Université d'Ottawa
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