Faut-il accorder un accommodement à un enseignant musulman qui désire être libéré tous les vendredis pour aller à la mosquée?
Cette question posée au service-conseil de la Commission des droits de la personne et la réponse favorable pour le moins discutable qu'on lui a apportée cachent une autre question, beaucoup plus fondamentale. Comment se fait-il qu'un an et demi après le grand remue-méninges Bouchard-Taylor, le gouvernement n'ait pas réussi à énoncer un début de vision sur la question des accommodements religieux et de la laïcité?
Depuis un an, à la suggestion de la commission Bouchard-Taylor, il existe un service 1-800-Accommodements pour guider les employeurs aux prises avec ce genre de demandes. Un service confidentiel qui reçoit les questions des employeurs et les guide dans leurs décisions.
Ma collègue Louise Leduc et moi avons rencontré la semaine dernière la toute petite équipe de ce genre de Tel-Aide version accommodements. Des gens passionnés par leur travail qui, en s'appuyant notamment sur la jurisprudence, offrent un service de médiation aux employeurs. Leurs suggestions n'ont aucun poids juridique. Et les employeurs sont libres d'en tenir compte ou non.
Même si le service-conseil n'est pas une «police de l'accommodement» et qu'on nous assure qu'une «muraille de Chine» sépare le service-conseil du service d'enquête de la Commission, on peut facilement entrevoir dans les fissures de ce drôle de système une apparence de conflit d'intérêts. Car si un demandeur d'accommodement se sent lésé par une décision, c'est aussi à la Commission des droits de la personne qu'il portera plainte. Et il serait pour le moins étonnant qu'une suggestion du service-conseil soit contredite après enquête par la Commission.
Au-delà de cette apparence de conflit d'intérêts, ce qui me semble le plus préoccupant, un an et demi après le dépôt (à la poubelle?) du rapport Bouchard-Taylor, c'est bien davantage l'absence de cadre pour examiner les demandes d'accommodements religieux. Et quand je parle de cadre, je ne parle pas de jurisprudence. Je parle de choix de société pour l'avenir. Je parle d'une vision claire de l'État sur le type de laïcité qu'il défend et sur ce que cela veut dire concrètement dans nos institutions publiques.
Ce cadre, cette vision, brille par son absence. Une ligne 1-800-Accommodements, aussi bien intentionnée soit-elle, ne peut malheureusement s'y substituer. La décision de réaffirmer la place du crucifix à l'Assemblée nationale, non plus.
Pour le moment, au gouvernement, dès qu'on aborde la délicate et complexe question de la laïcité, on a droit à un long silence gêné. Certains croient qu'on pourrait clore le débat en instaurant une seule et même règle rigide pour tous. Ce serait un peu simpliste et surtout injuste. Une laïcité rigide, sous son vernis imperturbable, peut aboutir dans les faits à moins de laïcité, en multipliant notamment les ghettos religieux hors de l'espace public commun. Et comme l'ont rappelé Bouchard et Taylor, la rigueur absolue dans l'application des lois et des règlements n'est pas toujours garante d'équité.
Cela dit, à l'autre extrême, tout ne peut pas non plus se régler au cas par cas, au téléphone, dans un bureau de la Commission des droits de la personne. En matière de laïcité, il faut que l'État joue son rôle d'arbitre et tente d'éclaircir les nombreuses zones grises qui subsistent.
J'en reviens donc au cas bien précis de cet enseignant musulman qui désire prier le vendredi (voir le texte de ma collègue Louise Leduc en page A3). Le service-conseil de la Commission a suggéré de dire oui à l'accommodement. Il a proposé une série de mesures en ce sens, dont celle de faire appel à des suppléants lorsque le professeur doit donner un cours le vendredi.
Raisonnable? À mon sens, non. Priver des élèves, plusieurs vendredis par année, de leur professeur, au nom du droit à la religion, me semble peu compatible avec la mission éducative laïque de l'école. Comme le rappelle lui-même le service-conseil, un employeur n'a pas l'obligation d'accorder un accommodement à un employé en cas de contrainte excessive. Et lorsqu'on parle de contrainte excessive, on ne fait pas uniquement référence aux coûts d'un accommodement. On doit tenir compte aussi, par exemple, de l'impact sur le bon fonctionnement de l'école, sur les droits des élèves ou encore sur la mission de l'institution. Or, ici, en s'imposant le casse-tête de trouver un remplaçant pour le professeur qui désire prier tous les vendredis, il semble qu'on ait peu tenu compte de tous ces aspects.
Et la laïcité dans tout ça? Techniquement, lorsqu'on examine une demande d'accommodement, la laïcité n'a aucun poids. Sauf qu'en principe, la société s'en réclame. On s'attend à ce que l'État et les institutions publiques soient laïques. Pressée par Christiane Pelchat, du Conseil du statut de la femme, la ministre Yolande James a même accepté de modifier le projet de loi 16 pour y inclure une référence à la laïcité de l'État. Qu'est-ce que cela veut dire au juste? Et maintenant que le projet de loi semble avoir été envoyé aux oubliettes pour noyer la controverse (officiellement c'est pour mieux le «bonifier»), que faut-il en penser?
Le Québec n'a pas à avoir honte de sa laïcité - une «laïcité roseau», pour reprendre l'image du sociologue français Jean Baubérot, qui, même si elle n'impressionne pas, pourrait avoir l'avantage de mieux résister aux tempêtes que la «laïcité chêne» dont se réclame la France. Mais encore faudrait-il qu'on l'assume, la défende et la définisse, cette laïcité roseau.
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