Au Canada, la réélection de Trudeau est très mal reçue par des habitants de provinces de l’Ouest. Ils sont maintenant des milliers d’Albertains et de Saskatchewanais à réclamer leur indépendance. Un projet réaliste? Sputnik fait le point avec Todd Wayne, l’un des directeurs de l’Alberta Independence Party, et le politologue Louis Massicotte.
La réélection de Trudeau au Canada, un coup dur pour l’unité canadienne?
Depuis la réélection de Trudeau sans majorité, le 21 octobre dernier, la colère gronde en Alberta et en Saskatchewan. Dans ces deux provinces, une seule circonscription sur 48 a été remportée par un autre parti que les Conservateurs: celle d’Edmonton Strathconan, maintenant aux mains du Nouveau parti démocratique (NPD), une formation de gauche.
How Canada's electoral map changed after the vote https://t.co/LGE7YVyXgj #cdnpoli
— Rachel Aiello (@rachaiello) 23 octobre 2019
Dans la circonscription albertaine de Battle River-Crowfoot, les Conservateurs ont récolté 85,5% des voix. Des chiffres qui en disent long sur la rupture entre l’Ouest canadien et les Libéraux de Trudeau, voire entre l’Ouest et tout le reste du Canada...
«Les résultats des élections ont démontré que le sentiment de frustration et d’aliénation en Saskatchewan était maintenant plus grand que tout ce que j’ai pu connaître dans ma vie», déclarait le Premier ministre saskatchewanais, Scott Moe, en commentant les résultats de l’élection fédérale.
Au cœur de ce sentiment d’aliénation: l’industrie pétrolière des sables bitumineux, considérée comme très polluante, mais dont dépend une grande partie de l’économie de ces deux provinces. Comme son homologue albertain Jason Kenney, Scott Moe réclame la construction d’oléoducs pour acheminer le pétrole de l’Ouest vers l’Est, afin qu’il soit exporté à l’international via l’Océan atlantique. Un projet auquel Justin Trudeau a fermé la porte, dans un contexte marqué par une grande prise de conscience des enjeux liés aux changements climatiques. De fait, les divers mouvements écologistes ont le vent en poupe au pays de l’érable.
Un sentiment d’aliénation tangible
Pour Todd Wayne, l’un des directeurs de l’Alberta Independence Party, le système de péréquation représente une grande source de frustration pour les Albertains. Redistribuant les recettes fédérales à travers tout le Canada, ce système profite surtout au Québec, une province moins riche. Les Premiers ministres de l’Alberta et de Saskatchewan ont déjà fait savoir qu’ils souhaitaient revoir complètement le fonctionnement de ce système.
«Il y a une véritable animosité envers Trudeau en Alberta. Dans l’Ouest, on a le sentiment que Justin Trudeau essaie de faire exactement ce qu’a fait son père [l’ex Premier ministre Pierre Elliott Trudeau, ndlr]: faire tomber notre industrie et notre économie. Les Albertains veulent être traités avec équité et respect. Nous ne voulons plus seulement être considérés comme l’orignal doré du Canada. Nous ne voulons pas seulement réduire les transferts de péréquation: nous voulons les éliminer!», a d’abord réagi Todd Wayne à notre micro.
Des chroniqueurs et analystes estiment que l’Ouest canadien devait diversifier son économie au lieu de s’entêter à extraire du pétrole des sables bitumineux. L’ex-Première ministre de l’Alberta, Rachel Notley (2015-2019), avait d’ailleurs entrepris plusieurs démarches pour réduire la dépendance de sa province au pétrole. Todd Wayne croit toutefois que c’est en quittant le Canada que l’Alberta y parviendra le mieux:
«Nous voulons évidemment diversifier notre économie. Nous n’y parviendrons peut-être pas aussi rapidement que certaines personnes le voudraient, mais nous y parviendrons. Une Alberta indépendante aurait toutefois les moyens de se diversifier plus rapidement. Les surplus budgétaires que nous aurions après avoir quitté la fédération nous permettraient d’entreprendre plus vite ces démarches. L’argent que nous envoyons aux autres provinces ne favorise pas la diversification de notre économie», se désole M. Wayne.
Spécialiste renommé de l’histoire politique canadienne, Louis Massicotte est beaucoup moins enthousiaste que Todd Wayne quant au projet de sécession des provinces de l’Ouest. Il considère le mouvement en faveur du «Wexit» comme une réaction plus ou moins légitime dans le cadre d’une fédération comme le Canada.
«Les Premiers ministres, provinciaux et fédéraux, peuvent avoir des idéologies différentes, mais de partir toujours en guerre contre le reste de la fédération n’est pas vraiment une bonne recette pour faire avancer ses dossiers», a-t-il affirmé d’emblée à Sputnik.
Ce professeur de l’Université Laval, à Québec, estime que les revendications des indépendantistes de l’Ouest relèvent davantage d’une sorte de chantage que d’une claire volonté politique:
«Menacer de se séparer quand on se sent moins représenté par un parti au fédéral n’est pas une façon très intelligente de faire fonctionner une fédération. Parfois, une province est du côté gagnant et parfois elle est du côté perdant. En revanche, c’est clair que les provinces de l’Ouest ont des griefs importants que les provinces de l’Est –et en particulier le Québec– ont tendance à ne pas épouser», a poursuivi le politologue.
Todd Wayne juge ce point de vue réducteur: il ne croit pas du tout que l’Alberta agisse en «mauvaise perdante» en faisant valoir son désir d’indépendance.
Le premier grand rallye pour le #wexit depuis la réélection des libéraux fait salle comble à Edmonton. Environ 1000 personnes sont attendues. #rcab pic.twitter.com/t80GJXEFl1
— Mirna Djukic (@Mirna_Djukic) 2 novembre 2019
«C’est beaucoup plus qu’une simple menace. Notre projet d’indépendance représente un engagement profond envers les travailleurs de l’Alberta et un moyen d’assurer leur prospérité», s’est défendu M. Wayne en entrevue.
Un sondage publié en juillet 2019 indiquait que 25% des Albertains étaient en faveur de l’indépendance complète de leur province. Menée par la firme Abacus, l’étude concluait que seulement 71% des Albertains considéraient leur appartenance au Canada comme étant un élément positif. Prudent, Louis Massicotte rappelle toutefois que rien n’est encore gagné pour les Albertains et Saskatchewanais indépendantistes:
«Il n’est pas encore prouvé que les populations de ces provinces souhaitant réellement se séparer du reste du Canada. Entre quelques politiciens et éditorialistes qui plaident pour la séparation et le reste de la population, il y a un monde», observe-t-il.
L’Alberta et la Saskatchewan finiront-elles par ravir au Québec son titre de mouton noir indépendantiste du Canada?