Contrairement à ce que croit M. Richard Le Hir

Vite, une nouvelle politique de l'énergie

Le Québec doit jouer dans la cour des grands

Pétro-Québec



La recommandation de M. Richard Le Hir dans le débat sur la nationalisation de la raffinerie Shell m'a inspiré ce texte. Rappelons tout d'abord que M. Le Hir, compare le Québec à un certain promoteur new-yorkais du nom de John Shaheen. M. Le Hir affirmait que quand on est petit, on ne s'aventure pas à aller jouer dans la cour des grands. Il répondait à un texte de Robert Barberis-Gervais qui s'inquiétait de la perte des emplois de la raffinerie. La perte de 800 emplois est grave en soi, mais il y a des enjeux encore plus considérables à prendre en considération. En effet, outre la perte d'emplois, le Québec va devenir encore plus dépendant de sources d'approvisionnement extérieures en hydrocarbures. Notre intérêt comme société commande là-dessus une réflexion et des actions énergiques, sans jeu de mots.
Le Québec a une politique énergétique qui date et qu'il aurait intérêt à mettre à jour. Il ne se passe pas un mois sans voir des experts venir nous expliquer qu'il faudrait augmenter les tarifs d'électricité pour payer notre déficit, même si en bout de piste, nous perdrions en péréquation ce que nous gagnerions en taxes indirectes ; d'autres souhaitent nous voir développer l'exploitation du gaz naturel et/ou du pétrole du golfe ; enfin, nous bâtissons des centrales hydro-électriques et des parcs éoliens bien au-delà de nos besoins, pour exportation. Nous avons fait l'économie d'un vrai débat public sur ces questions, et le moins qu'on puisse dire, c'est que notre politique énergétique a pris de l'âge et ne permet pas aux acteurs du domaine une action concertée et acceptée par la société.
Examinons les principaux enjeux que devrait traiter une telle politique.
Tout d'abord, il faut traiter de la question de la sécurité des approvisionnements. En clair, il nous faut disposer de sources d'énergie fiables, en quantité suffisante et à des prix acceptables pour maintenir notre développement économique. Les pays de l'Europe de l'Est sont régulièrement victimes du chantage des Russes pour des raisons politiques ou économiques parce qu'ils dépendent du bon vouloir des Russes pour leur approvisionnement en gaz. Plus près de nous, même le président Obama déplore la dépendance des États-Unis à l'égard des Saoudiens.
Revenons brièvement à une conséquence de la fermeture de la raffinerie Shell. Nous dépendrons encore davantage de sources étrangères, et nous devrons accepter de voir plus d'argent sortir du Québec pour payer notre pétrole. En prime, comme les Européens de l'Est, nous nous exposons au chantage à l'énergie pour des raisons politiques. Évidemment, ce risque de chantage augmentera en période référendaire et viendra compliquer notre accession à l'indépendance.
Ensuite, il est impensable de dissocier politique de l'énergie et politique environnementale. Le Québec a fait pour la production d'électricité des choix encadrés par une politique de développement durable (il avait commencé bien avant que le concept de développement durable soit élaboré).
Avant de poursuivre le développement de la filière gazière, il faudra voir comment la rendre acceptable au plan environnemental. Il est bien possible que nous soyons obligés d'aller de l'avant avec cette filière, mais il faudra des garanties de ce côté pour convaincre les Québécois du sérieux d'une telle démarche.
De plus, compte tenu de l'importance économique du domaine de l'énergie, il ne faut pas perdre de vue les retombées économiques pour le Québec d'une politique énergétique. Un complexe hydraulique a un contenu local beaucoup plus considérable que des centrales au gaz ou même éoliennes. Les tarifs que nous payons à Hydro-Québec ne sortent pas beaucoup d'argent du Québec par rapport au gaz ou à l'huile. Outre l'indépendance en énergie que nous procurerait une source gazière importante, ses retombées locales pourraient faire pencher la balance en sa faveur, c'est pourquoi j'écrivais plus haut que nous pourrions pratiquement être obligés de la développer.
Enfin, je passe rapidement sur certains autres enjeux importants. Les politiques de recherche scientifique, de transport et de développement régional sont reliées à celle de l'énergie. Allons-nous continuer à bâtir des routes ou des ponts pour des autos roulant au pétrole sans développer le transport en commun mû à l'électricité ? Pouvons-nous encore utiliser le développement électrique comme outil de développement régional ? Devrions-nous envisager, et à quelles conditions, des filières d'efficacité de l'énergie comme la géothermie ?
La fermeture de la raffinerie Shell de Montréal-Est nous ramène au cœur de ces débats qu'il nous faut refaire périodiquement. Dans ce cas-ci, en l'absence d'une telle politique, la prudence s'impose. Pour préserver la sécurité de nos approvisionnements et les emplois de ce secteur, le gouvernement du Québec devrait aller jusqu'à la nationalisation des installations de Shell au Québec, y compris son réseau de distribution. Il est indécent que Shell refuse de se départir de sa raffinerie, d'autant plus qu'elle aurait généré des dizaines de millions de profits par année depuis déjà un bon moment. Mais il nous faut élaborer et faire approuver par l'Assemblée nationale une politique de l'énergie le plus tôt possible.
Car contrairement à ce que croit M. Le Hir, nous avons quelques pouvoirs qui nous permettent de jouer dans la cour des grands. Le Canada comme pays n'est pas beaucoup plus fort que le Québec devant ces grands ; même le président des États-Unis est démuni devant eux. Cela n'a pas empêché le Canada de décider de concentrer sa pétrochimie à Sarnia en Ontario, ce qui, au fil des ans, a amené la disparition de ce secteur du paysage montréalais pour le concentrer à Sarnia.
Quand il est question de ses politiques, un État dispose de moyens et de temps pour aboutir à ses fins. Ses politiques fiscales, tarifaires et de subvention, les agences du Gouvernement et sa réglementation environnementale sont de puissants leviers dont ne disposait certes pas le promoteur new-yorkais John Shaheen.
Mais pour mener à bien l'élaboration et le déploiement d'une telle politique, encore faut-il une clairvoyance et un courage qui ne me semblent pas la marque de commerce du gouvernement actuel.
Louis Champagne, ing., 14 juillet 2010



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2 commentaires

  • @ Richard Le Hir Répondre

    16 juillet 2010

    M. Champagne,
    Shell confirme aujourd'hui dans des annonces parues dans les grands quotidiens l'ordre de grandeur des chiffres que je vous avançais dans mon commentaire d'hier et le raisonnement que je vous expliquais.
    Voir http://fr.canoe.ca/infos/quebeccanada/archives/2010/07/20100716-084115.html
    Richard Le Hir

  • @ Richard Le Hir Répondre

    15 juillet 2010

    M. Champagne,
    Vos titres prêtent à confusion. Je n’ai jamais dit que je ne croyais pas à la nécessité d’une politique de l’énergie. Je suis justement en train de préparer un texte sur ce sujet. Cela dit, je ne crois pas du tout à la nécessité pour l’État québécois de se faire le repreneur des activités de raffinage de Shell à Montréal-Est, et je constate que votre texte ne contient aucun élément d’information qui me convainque de cette nécessité.
    L’argument de la sécurité de nos approvisionnements ne tient pas. Nos approvisionnements ne sont en aucune façon menacés. La raffinerie de Petro-Canada à Montréal-Est et celle d’Ultramar à St-Romuald suffisent à répondre aux besoins du marché québécois, et la décision de Shell résulte très certainement du constat que l’équilibre actuel entre l’offre et la demande ne justifiait pas les investissements qui auraient été nécessaires pour poursuivre l’exploitation de sa raffinerie sur une base de rentabilité. Soyez certain que si la rentabilité avait été au rendez-vous, Shell aurait fait les investissements nécessaires. Soyez aussi certain que si ce n’est pas rentable pour Shell, ce ne l’est pas pour personne d’autre, sauf à nous faire collectivement courir la multitude de risques posés par des installations désuètes pour la sécurité des personnes ou la qualité de l’environnement.
    Cela dit, Shell est parfaitement justifiée de ne pas vouloir vendre ses actifs pour une bouchée de pain. La valeur de remplacement d’une raffinerie de la taille de celle de Shell à Montréal-Est se situe entre 2 ou 3 milliards $ selon le degré de raffinement technologique des installations. Le prix qu’un acheteur éventuel devrait débourser devrait tenir compte à la fois de ce chiffre et du montant des investissements nécessaires pour mettre à niveau les installations actuelles. En l’absence de toute information et sans être un spécialiste de l’évaluation des raffineries, j’ai avancé une valeur de 750 millions sur la base de mes expériences dans ce secteur, mais il faudrait encore savoir dans quelle mesure le réseau de distribution aurait un caractère stratégique pour un nouvel exploitant, et si le prix offert devrait aussi comprendre ce réseau.
    Par ailleurs, Shell doit se soucier de ses responsabilités environnementales. Si elle devait vendre sa raffinerie de Montréal-Est, et pour éviter de les voir lui rebondir dessus dans l’avenir, il faudrait qu’elle s’assure de la solvabilité du nouvel acheteur au delà du prix de vente pour couvrir les coûts de décontamination du site advenant que son aventure se solde par un fiasco rapide comme c’est souvent le cas lorsque des activités de raffinage sont reprises par des entreprises qui n’ont pas les reins suffisamment solides sur le plan financier.
    Et vous voudriez que le Gouvernement du Québec s’aventure là-dedans, maintenant, à un moment où il a toutes les peines du monde à s’acquitter correctement de ses responsabilités actuelles envers les Québécois ? Pour ma part, je serais très inquiet de le voir s’engager dans cette voie.
    Richard Le Hir