Le rouleau compresseur

Pétro-Québec



C'est à propos du projet Grande-Baleine que Jean Charest a écrit dans son autobiographie: «Je dis souvent qu'il ne faut jamais sous-estimer la capacité des gouvernements de se tromper. S'il y a une chose qui me fait frémir, c'est quand j'entends des gens dire: "Après tout, c'est le gouvernement, ils doivent savoir ce qu'ils font". Il ne faut jamais présumer qu'ils savent ce qu'ils font.»
À l'époque où il était ministre de l'Environnement dans le gouvernement de Brian Mulroney, il avait eu bien du mal à convaincre Robert Bourassa que, pour rassurer les opposants au projet, il avait tout intérêt à laisser Ottawa en faire l'évaluation environnementale.
«Ce qui m'avait le plus frappé, c'était à quel point le gouvernement du Québec semblait procéder en faisant fi de ses propres intérêts. À long terme, ce n'était pas dans l'intérêt du gouvernement du Québec, ni des Québécois, d'agir de la sorte, de faire la sourde oreille aux objections, aux inquiétudes formulées, qui en plus se répercutaient chez nos voisins américains. Cela ne servait pas du tout nos intérêts, comme Québécois, ni comme Canadiens, de se transformer en rouleau compresseur et de passer par-dessus ces gens-là. C'était une grave erreur.»
Il est toujours plus facile de relever les erreurs des autres. Depuis des mois, ceux qui risquent de faire les frais d'une éventuelle exploitation des gaz de schiste dans les basses terres du Saint-Laurent ont précisément eu l'impression d'être victimes d'un rouleau compresseur.
Le gouvernement Charest a été bien lent à comprendre ce que le jeune ministre de l'Environnement de Brian Mulroney avait tenté d'expliquer à Robert Bourassa. Malgré les audiences publiques dont la tenue a été annoncée dimanche, les opposants à l'exploitation gazière ont de bonnes raisons de croire qu'ils seront finalement placés devant un fait accompli.
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Certes, le projet de loi dont la présentation était prévue cet automne sera reporté au printemps 2011, en attendant le rapport du Bureau d'audiences publiques sur l'environnement (BAPE), mais le refus de décréter un moratoire, alors qu'il n'y a aucune urgence, laisse croire que les jeux sont déjà faits. D'ici là, le BAPE tiendra des audiences publiques.
Il est vrai que les moratoires ont tendance à s'éterniser au Québec. Alors que les forages sont en cours, écarter tout moratoire équivaut cependant à un feu vert, qui pourrait simplement être balisé.
Selon la ministre des Ressources naturelles et vice-première ministre, Nathalie Normandeau, le gouvernement a la «responsabilité» de «mettre en valeur un pareil potentiel». A contrario, il serait donc irresponsable d'y renoncer. Son collègue de l'Environnement, Pierre Arcand, a bien expliqué que le BAPE doit proposer un «cadre de développement» de l'exploitation des gaz de schiste.
Comme par hasard, vingt-quatre heures après la conférence de presse mouvementée des deux ministres, l'Association pétrolière et gazière du Québec annonçait une grande campagne d'information — ou de promotion — dans les régions concernées. Son président, André Caillé, a promis que toutes les questions obtiendraient une réponse. Cela ne signifie cependant pas que les objections seront prises en compte.
Les talents de communicateur de M. Caillé ne sont plus à démontrer. À l'occasion de la crise du verglas de 1998, ses apparitions quotidiennes aux côtés de Lucien Bouchard étaient des modèles de relations publiques. Rassurer est sa grande spécialité.
Dans une entrevue accordée à La Presse, M. Caillé a déjà entrepris de faire miroiter les avantages de l'exploitation des gaz de schiste: des investissements de deux ou trois milliards par année, des salaires dignes de l'Alberta, le développement d'une nouvelle expertise, etc. Sa comparaison entre l'exploitation gazière et l'agriculture, où tout est toujours à refaire, était particulièrement savoureuse. Pourquoi pas l'horticulture, tant qu'à y être?
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Malheureusement pour les opposants, la conjoncture ne joue pas en leur faveur. Au moment où la recherche de l'équilibre budgétaire est devenue une obsession, il est facile de présenter l'exploitation gazière comme un moyen de préserver les services publics.
Qui plus est, aucun intérêt politique ne s'y oppose. À l'automne 1994, Jacques Parizeau a dû se résoudre à annuler le projet Grande-Baleine, parce que les Cris avaient réussi à convaincre l'opinion américaine que le Québec se rendait coupable d'un véritable crime contre l'humanité. À la veille du référendum, le gouvernement péquiste devait impérativement se débarrasser de ce boulet.
Dans le cas des gaz de schiste, la question autochtone n'est pas un facteur, et l'opinion internationale ne risque pas de s'en émouvoir. Au Québec même, 60 % des personnes interrogées au printemps dernier par la maison de sondage Crop, pour le compte du magazine L'Actualité, se disaient favorables à leur exploitation.
Le PQ ne s'oppose pas à l'exploitation des gaz de schiste, bien au contraire, même s'il reproche au gouvernement de mettre la charrue devant les boeufs. Il n'en fait pas mystère: l'indépendance énergétique du Québec pourrait faire partie des «conditions gagnantes». Encore faudrait-il qu'elle devienne un facteur d'unité, plutôt que de division. À cet égard, c'est plutôt mal parti.


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