Des membres de l’état-major de l’Unité permanente anticorruption auraient orchestré des fuites d’informations policières confidentielles dans les médias, et auraient même tenté d’entraver l’enquête déclenchée pour connaître l’auteur de ces fuites.
C’est ce que relate le juge André Perreault de la Cour du Québec, dans sa décision pour justifier le retrait des accusations contre l’ex-ministre Nathalie Normandeau la semaine dernière.
Si l’arrêt des procédures contre Mme Normandeau et ses cinq coaccusés est l’élément qui a retenu l’attention depuis vendredi dernier, la lecture attentive des 82 pages du jugement dresse un portrait extrêmement négatif de l’ancienne haute direction de l’UPAC, au temps où Robert Lafrenière en était le grand patron.
Le magistrat revient sur le fameux Projet A, cette enquête maintenant sous la responsabilité du Bureau des enquêtes indépendantes (BEI) afin de déterminer la source des fuites d’information à l’UPAC, et la façon dont certaines enquêtes ont été menées par les hauts dirigeants de l’organisation.
Le juge Perreault résume comme suit la thèse soutenue par les enquêteurs du Projet A : « Les fuites résultent d’une action concertée des hauts dirigeants de l’UPAC pour des motifs personnels et obliques ».
Il évoque même de possibles infractions criminelles à l’endroit de l’ex-numéro deux de l’UPAC, André Boulanger, subalterne de Robert Lafrenière.
« En septembre 2018, l’équipe du Projet A informe le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) qu’André Boulanger est l’auteur de fuites et qu’il a retenu de l’information pertinente à l’enquête ce qui pourrait constituer de l’entrave à la justice ou de l’abus de confiance », écrit-il dans son jugement.
Le magistrat note aussi des reproches adressés à deux autres hauts gradés de l’UPAC.
« Dès le début de l’enquête du Projet A, les enquêteurs se plaignent du manque de transparence et de l’ingérence de l’inspecteur André Boulanger et de la lieutenante Caroline Grenier-Lafontaine, et, à compter de juin 2018 de l’inspecteur Boulanger et du lieutenant Vincent Rodrigue », peut-on lire.
C’est la première fois qu’un juge écrit aussi clairement que les fuites d’information d’enquêtes de l’UPAC proviendraient de la haute direction de l’UPAC elle-même.
L’honorable juge Perreault affirme même que le DPCP a été victime de la façon dont se sont comportés certains ex dirigeants de l’UPAC.
« Les fuites résultent d’une action concertée des hauts dirigeants de l’UPAC pour des motifs personnels et obliques. »
« Le DPCP [...] a dû se contenter d’être à la remorque des inconduites policières. »
– André Perreault, juge à la Cour du Québec
« Inconduites policières »
« Le DPCP a bien tenté d’atténuer, mais il a dû se contenter d’être à la remorque des inconduites policières dans le dossier des requérants », écrit-il.
Selon lui, il ne faut pas blâmer le DPCP dans les déboires des procédures contre Nathalie Normandeau, d’autant plus que le ministère public aurait été « dupé ».
André Boulanger et Caroline Grenier-Lafontaine ont toujours nié avoir quoi que ce soit à se reprocher quant à la façon dont ils ont mené des enquêtes à l’UPAC. Ils ont été affectés à des tâches administratives en mars 2019 après que les enquêteurs du projet A eurent reçu des allégations à leur sujet, mais ne font à ce jour l’objet d’aucune accusation.
Ils poursuivent Québecor Média et Cogeco Média en diffamation et réclament 9,2 millions de dollars en dommages, en lien avec des reportages les concernant.
Une saga
Les éléments exposés par le juge Perreault sont le dernier des rebondissements dans une saga qui dure depuis près de quatre ans et qui a notamment comporté l’arrestation sans accusation du député Guy Ouellette, la démission-surprise de Robert Lafrenière et la suspension du directeur de la Sûreté du Québec Martin Prud’homme.
Rappelons que, vendredi dernier, Nathalie Normandeau ainsi que l’ex-ministre et VP de Roche Marc-Yvan Côté et quatre autres coaccusés ont bénéficié d’un arrêt des procédures pour délais judiciaires déraisonnables. Arrêtés en mars 2016, ils étaient accusés d’avoir participé à un stratagème d’octroi de contrats publics en échange de financement politique au profit du Parti libéral du Québec.
Le juge Perreault a estimé qu’un retard de 52 mois était attribuable au ministère public, alors que la Cour suprême fixe à 18 mois le délai acceptable pour qu’un accusé soit jugé.