La Journée nationale des Patriotes se déroule cette année sous le thème de la mémoire et du devoir de mémoire envers ceux et celles qui se sont battus pour obtenir un gouvernement honnête et démocratique. En apparence banal, cet aspect est en réalité absolument essentiel, tant pour le Québec entier que pour chacun de nous en son for intérieur.
Imaginez par exemple qu'en arrivant un matin à votre bureau, votre usine ou votre école, vous ayez perdu toute mémoire sur quel est au juste votre rôle, vos tâches de la journée, jusqu'au nom de votre patron. Il est probable que dans les circonstances, vous feriez tout pour ne pas vous faire remarquer et que cela paraisse le moins possible. Vous seriez donc exagérément discret et obéissant à tout, quitte à risquer l'humiliation, de peur qu'on ne s'aperçoive de votre trou de mémoire. Tout compte fait, vous tournerez en rond toute la journée et toute votre énergie passera à vous faire remarquer le moins possible; à vous effacer au point de devenir invisible.
Il en va des collectivités comme des individus. La perte de mémoire rend un peuple incapable de faire des choix éclairés et d'agir sur la réalité. Au contraire, le savoir-faire, l'habilité et le génie d'un peuple reposent sur un ensemble d'expériences collectives ancrées dans l'histoire: d'inlassables essais et erreurs qui nous ont rendus conscients de nos forces et confiants en notre potentiel. Ça n'a bien sûr rien à voir avec vivre dans le passé comme on l'entend parfois. Une mémoire historique entretenue est au contraire la condition sine qua non pour agir efficacement dans le présent et pour préparer l'avenir.
Quel sont les intérêts du Québec? Comment baliser les valeurs québécoises? Comment accueillir des milliers d'immigrants chaque année? Quel type de développement énergétique privilégier? À ces questions, la mémoire historique ne procure bien sûr pas de réponses en soi, mais en réactivant la somme des expériences vécues, elle garantit des choix éclairés dans le présent et insuffle la confiance nécessaire pour poser les choix radicaux qui s'imposent parfois.
L'expérience des Patriotes de 1837-1838 nous est ainsi particulièrement précieuse. Il y a 180 ans, des Québécois déterminés ont entrepris, avec des moyens dérisoires, une lutte pour défendre des principes d'égalité, de justice et de respect des valeurs communes. La mémoire de cette lutte nous sera rudement utile pour faire face aux défis du 21 e siècle. Peuple pacifiste et consensuel, nous avons aussi prouvé notre résilience et notre capacité à faire front quand notre existence est menacée.
Au moment de faire des choix de société, de baliser les voies d'avenir ou de définir nos priorités, exerçons plus que jamais notre devoir de mémoire. L'histoire du Québec et l'exemple des Patriotes de 1837-1838 sont une source intarissable de fierté et constituent un bagage d'expériences précieux pour faire des choix éclairés. En 1839, c'est justement en s'appuyant sur la prémisse que nous formions un peuple «sans histoire et sans littérature» que lord Durham prédisait dans son rapport que nous n'avions aucun avenir. Il avait raison de rappeler que le passé est garant de l'avenir. Prouvons-lui cependant qu'il avait tort de voir en nous un peuple amnésique qui ignore ce qu'il fait au juste dans l'Histoire.
La mémoire au service de l'action
À notre époque où règne l'image, la Journée nationale des Patriotes et les Patriotes en général font immédiatement penser au fameux bonhomme dessiné par Henri Julien il y a plus d'un siècle. Inspirant pour certains, inquiétant pour d'autres, le vieux guerrier n'est pourtant guère menaçant avec sa pipe, sa tuque et son mousquet. S'il est demeuré dans notre mémoire collective c'est qu'il semble en fait nous transmettre un message. Que nous dit au juste ce patriote? Sa puissance évocatrice vient moins de son apparente violence que de sa charge symbolique invoquant un devoir de mémoire. Ce qui frappe finalement dans ce dessin, c'est la vigueur et la détermination de ce corps jeune et vigoureux surmonté d'une tête de vieillard tranquille fumant sa pipe. Ce paradoxe c'est en fait le passé qui interpelle le présent. C'est l'expérience au service de la jeunesse. C'est la mémoire au service de l'action. Le vieux patriote se bat et se souvient tout à la fois dans un rapport constant entre l'action et la réflexion. Tout compte fait, son arme première n'est plus son mousquet, mais l'expérience de la lutte léguée pour le bénéfice des générations futures.
Pourquoi célébrer la Journée nationale des Patriotes?
«Ce jour férié soulignera la lutte des Patriotes de 1837-1838 pour la reconnaissance nationale de notre peuple, pour sa liberté politique et pour l'obtention d'un système de gouvernement démocratique.»
C'est en ces termes que le Gouvernement du Québec créait en 2002 la Journée nationale des Patriotes, le lundi précédent le 25 mai de chaque année (décret no 1322-2002). C'est dire combien ce rendez-vous est l'occasion de commémorer la conquête de nos droits civils et à donner corps à la devise du Québec: Je me souviens...
Né en 1791, la démocratie québécoise est l'une des plus anciennes du monde. Elle a cependant connu un sérieux accroc, de 1837 à 1841 alors que les institutions démocratiques et les droits de la personne sont abolis suite au Rapport Durham et en réponse à la lutte menée par les patriotes. Occasion de célébrer, la Journée nationale des Patriotes rappelle aussi ce devoir de vigilance pour la sauvegarde de nos principes de démocratie en prenant exemple sur la lutte menée par nos ancêtres. Car c'est bien aux Patriotes qu'on doit la naissance d'une presse libre au Canada (1806), le premier parti démocratique (1827), le réseau scolaire francophone laïc (1829); qui fondent une fête et une société nationale (1834) et qui conquièrent pour nous le gouvernement responsable (1848). Longtemps plus tard, leurs héritiers tiendront haut le flambeau du libéralisme et du patriotisme jusqu'aux portes de la Révolution tranquille.
Célébrée au mois de mai, la Journée nationale des Patriotes souligne en particulier la tenue au printemps de 1837 de vastes assemblées publiques, partout au Québec, dénonçant les autorités coloniales et revendiquant la souveraineté du peuple. La lutte patriote fut donc aussi un vaste exercice de prise de parole pour des milliers d'agriculteurs, d'ouvriers et de professionnels, lésés dans leurs droits civils et nationaux, et qui ont alors senti de leur devoir d'affirmer haut et fort ce qu'ils souhaitaient pour eux et pour leur collectivité. À l'heure où il est beaucoup question de corruption, de cynisme envers la politique et de liberté d'expression, la Journée nationale des Patriotes est un moment privilégié pour rappeler la ténacité de Québécois d'hier et d'aujourd'hui dans la défense de nos droits collectifs et dont l'épisode patriote constitue le jalon essentiel.
La lutte patriote montre également que la défense des droits démocratiques est parfaitement compatible avec la promotion d'une identité culturelle distincte en Amérique; que l'avancement des droits de la majorité peut s'inscrire dans le respect des différences. Ainsi, dans son grand discours du 15 mai 1837, Louis Joseph Papineau scande à la fois que «Nous travaillerons sans peur et sans reproche, comme dans le passé, à assurer à tout le peuple, sans distinction, les mêmes droits, une justice égale et une liberté commune» et, du même souffle, que: «La langue et la culture sont la propriété sacrée d'un peuple et doivent par conséquent être défendues avec ferveur par ses représentants.»
La Journée nationale des Patriotes, c'est enfin la fête de toute l'histoire du Québec, à l'heure où l'histoire nationale est occultée dans les écoles. Elle offre ainsi l'opportunité de rapprocher le public de son histoire par le biais de conférences, d'expositions et d'événements festifs. Cette année encore, pour sa huitième édition, la Journée nationale sera soulignée dans toutes les régions du Québec par divers événements culturels auxquels toute la population est invitée à se joindre.
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